Drogue en milieu scolaire: Un fléau qui touche de plus en plus d’enfants (Enquête)

07-12-2021

Cannabis, cocaïne, ecstasy, médicaments mais aussi tabac et alcool… Depuis plusieurs années ces produits stupéfiants ont fait leur entrée dans le milieu scolaire en Tunisie. Le deal se fait désormais dans les cours de récréation aux yeux et au su de tout le monde, menant certains  adolescents dans le chemin de la délinquance.

Et les conséquences peuvent être désastreuses chez l’enfant: baisse du rendement scolaire, détérioration des relations sociales, de l’équilibre familiale, agressivité, isolement, troubles de la concentration, de la mémoire, du sommeil…

La dernière enquête MedSPAD menée en 2017, a révélé que près d’un tiers des adolescents scolarisés âgés de 15 à 17 ans, soit 31% des lycéens, ont déclaré avoir consommé au moins une drogue autre que le tabac et l’alcool, au moins une fois durant leur vie.

Des chiffres alarmants face à un fléau auquel peu de solutions ont été mises en oeuvre.

Quelques chiffres

Le dernier rapport de MedSPAD en 2017, qui donne un aperçu de la consommation de drogues chez les jeunes dans les écoles de la région méditerranéenne et de leur attitude à l’égard des drogues, indique que la consommation de cigarettes pour la tranche d’âge de 15 à 17 ans est situé à environ 25%, tous sexe confondu. L’alcool est à 6%, le cannabis à 3,8%.

Mais les chiffres les plus effrayants sont ceux de la consommation d’ecstasy qui ont été multipliés par 7 en 4 ans, la cocaïne à 0,5%et la consommation de médicaments à 3%. Autre substance qui gangrène les adolescents, celle de la colle (également appelée drogue du pauvre) qui est elle est établit à 4%.

Le mal-être des enfants tunisiens

Pour Moez Cherif, Président de l’Association de défense des droits de l’enfant, l’apparition des stupéfiants en milieu scolaire témoigne d’un signe de souffrance et de mal-être chez les enfants Tunisiens. Il explique d’abord que l’avènement de l’internet et le développement des réseaux sociaux constituent une donnée nouvelle dans l’’entrée de la drogue à l’école.

Dr Moez Cherif / Président de l’Association de défense des droits de l’enfant

« Cela a permis aux enfants d’avoir un accès direct à l’information et la possibilité de communiquer entre eux sans contrôle. Il y parlent de leur préoccupations et les plus fragiles sont vite influencés. Tomber dans la consommation de stupéfiants leur permettent de fuir leur mal-être et la réalité. En Tunisie, nous n’avons pas d’éducation aux médias. De leur côté, les parents n’ont pas la même maîtrise de cet outil et les enfants arrivent donc a détourner tous les systèmes de contrôle qui peuvent êtres mis en place », nous dit-il.

De plus, il déplore l’absence de stratégie pour prendre en considération la santé mentale des enfants. « C’est un sujet qui n’est pas soulevé ni au niveau du ministère de la santé ni au niveau du ministère de l’éducation. L’enfant n’est pas considéré comme une priorité. Cette décennie a été gangrenée par une crise politique, sociale, économique qui ont été aggravé par la crise sanitaire. Ainsi la situation des enfants a été reléguée au dernier plan », explique Mr Cherif.

Toujours selon le président de l’Association de défense des droits de l’enfant, depuis la révolution les mécanismes de protection des enfants sont en panne. Il indique à cet égard que l’école n’est plus une institution d’éducation mais est devenu une institution d’enseignement, perdant toutes ses qualités de transmissions de valeurs. « Et les enfants l’ont ressenti et se sont permis de transgresser les règles en toute impunité. L’école est devenu ouvert aux tentations et fermé à toutes les valeurs positives de culture et de principes de vie. C’est ce qui a permis l’apparition des déviances comme la violence ou la drogue », conclue-t-il.

Les dealers recrutent dans les écoles

Le Dr Faten Driss est médecin tabacologue et addictologue à l’hôpital Razi à Tunis et également membre de la Société tunisienne d’addictologie. Elle nous explique, dans un premier temps, qu’aucune drogue n’est anodine, y compris le tabac.

Selon elle, il s’agit d’un phénomène multifactoriel, Ainsi, les raisons qui poussent en adolescent à consommer de la drogue sont multiples. D’abord il  y a le facteur génétique et la fragilité psychologique. «Un enfant fragile psychologiquement à plus de prédisposition à l’addiction », souligne-t-elle.

Faten Driss / Médecin tabacologue/addictologue et membre de la Société tunisienne d’addictologie

Ensuite vient le facteur environnemental. D’abord, le Dr Faten Driss indique à cet égard que la consommation de stupéfiants peut toucher toutes les couches sociales. Elle n’est pas réservée aux plus défavorisés. « Il suffit d’un déséquilibre familial ou social, une situation professionnelle précaire ou un tissu sociétal délétère pour que le jeune touche à la drogue ».

D’après elle, l’approche sécuritaire exclusive ne permettra jamais d’éradiquer ce fléau. Les tactiques de recrutement des dealers se sont développées au fur et à mesure pour atteindre les plus jeunes. « Le dealer, qui peut être soit un voisin ou un ami propose à l’enfant d’essayer les stupéfiants gratuitement jusqu’à le rendre accro. Une fois cet objectif accompli, il lui propose de vendre de la marchandise au sein même de l’établissement scolaire pour ainsi recevoir en contrepartie sa dose quotidienne », dit le Dr Driss. « L’ecstasy a fait un bond important car cela ressemble à des comprimés semblables à des bonbons. On arrive a piéger l’enfant facilement. Même à 13 ans il peut être piéger », ajoute-t-elle.

De la drogue à la délinquance

Le passage entre la consommation de drogue à la délinquance est facile. Les drogues, appelées  aussi, substances psychoactives ont un effet sur le cerveau et finissent par modifier le comportement et la capacité de jugement. « Certains consommateurs peuvent tomber dans la délinquance pour se procurer la drogue en volant ou en faisant usage de la violence par exemple », nous dit Faten Driss.

D’après la l’addictologue, ce qui pousse les enfants à consommer c’est le vide, le stress à l’école, la pression des parents et les structures culturelles quasi inexistantes. Ainsi, l’enfant ne trouve pas d’exutoire et tombe dans la drogue. D’où l’importance de la sensibilisation.

A cet égard, depuis plusieurs années, la Société tunisienne d’addictologie organise des ateliers de sensibilisation dans les écoles afin de freiner ce fléau . « Notre objectif est de faire acquérir aux enfants des compétences de vie: art, théâtre, musique… Lui apprendre à produire quelque chose pour le valoriser et lui redonner confiance à travers l’estime de soi. Avec cela il ne cherchera plus à se sentir bien avec des stupéfiants ».

Atelier de sensibilisation organisé par la Société tunisienne d’addictologie

Selon la spécialiste, l’addiction est une maladie chronique et est donc soignable. « Il faudrait que la justice prenne en compte le fait que l’enfant est malade et qu’il a commis ce vol parce qu’il est malade. Au lieu de l’enfermer dans un centre fermé pour mineur il faut le faire suivre psychologiquement et le désintoxiquer pour éviter qu’il ne récidive », souligne Mme Driss.

La prévention plutôt que la répression

Pour le Dr Driss, la vraie stratégie n’est pas d’interdire complètement la drogue. « Un monde sans drogue n’existe pas. Même les pays les plus développés n’ont pas réussi l’éradiquer », nous dit-elle. Ainsi, la prévention est la première solution à adopter. Il ne faut pas attendre que l’enfant soit dépendant pour agir. Il s’agit là de la psycho-eductation.

« Il y a des établissements scolaires qui nous contact d’eux-même et depuis peu nous avons proposé un programme de management du temps libre des collégiens. Il s’agit d’expliquer aux enfants comment exploiter leur temps libre pour éviter qu’ils ne tombent dans les comportements déviants comme les stupéfiants ». 

L’objectif à travers ces ateliers de sensibilisation est dans un premier temps de briser le tabou. En effet, il est très important de poser sur ce phénomène encore difficile à aborder avec le personnel enseignant. Au final , les premiers résultats de ces ateliers sont probants. D’après Faten Driss, les adolescents ont été très intéressés par le sujet et certains ont même demandé des conseils aux spécialistes sur le comportement à avoir au cas où il seraient témoins de scènes de consommation ou de deal et venir en aide à leurs camarades.

« Beaucoup savent ce que c’est que la drogue. C’est à la fois une bonne chose car ils sont conscient que ce n’est pas un bon comportement mais à la fois cela veut dire qu’ils ont déja vu cela de leur propres yeux car ils arrivent à différencier les différents formes de drogue », conclue l’addictologue.

Wissal Ayadi