Édito: L’errance d’une jeunesse tunisienne en quête de sens

18-09-2024

À la veille de l’élection présidentielle du 6 octobre, la jeunesse tunisienne se trouve à un carrefour incertain, marquée par une désillusion croissante et une quête de sens qui semble lui échapper chaque jour un peu plus. La révolution, porteuse de tant de promesses, n’a finalement offert que des rêves inachevés et des illusions brisées. Dès les premières années post-révolution, les espoirs de liberté, de justice sociale et de prospérité se sont rapidement dissipés, laissant place à une réalité dure marquée par le chômage, la précarité et l’instabilité politique.

Aujourd’hui, les jeunes Tunisiens, qu’ils soient instruits ou non, se retrouvent pris dans une spirale de misère économique. Selon une étude de l’Afrobarometer (2023), la gestion de l’économie et le chômage sont les principaux problèmes qui préoccupent cette jeunesse. Beaucoup déplorent la situation économique du pays ainsi que leurs propres conditions de vie. Bien qu’ils soient plus instruits que leurs aînés, près de quatre jeunes Tunisiens sur dix (38%) déclarent être sans emploi et à la recherche d’un travail, contre seulement 25% des adultes à l’échelle nationale. De plus, plus de la moitié (52%) des jeunes sans emploi qui sont à la recherche d’un travail estiment que travailler en tant que contrebandier est « répréhensible mais compréhensible », révélant l’ampleur du désespoir économique et social.

Le chômage, toujours omniprésent, pousse beaucoup d’entre eux à envisager l’émigration comme seule échappatoire. Les plus chanceux poursuivent leurs études à l’étranger, tandis que pour d’autres, l’exil clandestin à bord de bateaux de fortune semble être la seule issue. Cette quête désespérée d’une vie meilleure, souvent marquée par des tragédies en mer, illustre la gravité de la crise sociale que traverse le pays.

L’émigration n’est cependant qu’un symptôme d’un mal plus profond : une génération qui se sent abandonnée par son propre pays. Les statistiques sur les suicides parmi les jeunes, en constante augmentation, témoignent que la souffrance est bien plus que matérielle. C’est une jeunesse en quête de dignité et de sens, cherchant à échapper à une société où les perspectives d’avenir semblent bouchées.

Dans ce contexte, la politique, autrefois perçue comme un levier de changement, suscite de moins en moins d’intérêt. Les jeunes se sentent trahis par une classe dirigeante incapable de répondre à leurs aspirations. Devenus spectateurs désabusés d’un jeu politique qui semble se dérouler loin de leurs préoccupations, ils assistent à des discours électoraux qui n’ont plus le pouvoir de raviver leur espoir. Le cynisme est devenu une posture de survie face à des promesses sans lendemain.

Pourtant, cette jeunesse représente une force considérable, un potentiel que la Tunisie ne peut plus se permettre d’ignorer. L’avenir de ce pays dépendra inévitablement de ces millions de jeunes, souvent éduqués, connectés au monde, et désireux de contribuer à une société plus juste et équitable.

À l’approche des élections, il est donc essentiel, voire primordial de se demander : que faisons-nous pour nos jeunes ? Quelle place leur accordons-nous dans ce processus démocratique en construction ? L’avenir ne peut se bâtir sans eux, et il est du devoir des dirigeants, actuels et futurs, de redonner à cette génération une raison de croire en l’avenir.

Le défi est immense, mais il est nécessaire. Si la Tunisie continue à perdre ses jeunes, à les voir partir ou sombrer dans le désespoir, c’est son propre avenir qu’elle compromet. Il est temps d’écouter cette jeunesse et de lui offrir autre chose que des promesses vides. Un pays qui néglige sa jeunesse est un pays qui s’éteint.

Wissal Ayadi