Tunisie : Généraliser et rendre obligatoire l’enseignement préscolaire dès l’âge de 3 ans

15-02-2024

La ministre de la Famille, de la Femme et des Personnes âgées, Amal Belhaj Moussa, a annoncé récemment que 5000 enfants supplémentaires seront bénéficiaires cette année du programme « Rawdhetna fi Houmetna » (Notre jardin d’enfants est dans notre quartier). La ministre a précisé que ces enfants proviennent de zones défavorisées des gouvernorats de Tozeur, Sidi Bouzid, Mahdia, Tataouine, Médenine, Kasserine, Siliana, Le Kef, Kébili, Gafsa, Béja, Jendouba et Kairouan.

Une enveloppe de 13 millions de dinars a été allouée cette année pour financer ce programme, visant à inscrire les enfants issus de familles à faible revenu dans les jardins d’enfants.

Belhaj Moussa a également souligné que le nombre d’enfants bénéficiaires de ce programme est passé de 20 000 en 2023 à 25 000 cette année. Elle a rappelé que depuis son lancement en 2010, le programme a profité à 82 532 enfants, avec des investissements dépassant les 42 millions de dinars.

L’objectif de ce projet est la promotion de la politique de discrimination positive.

L’occasion de se pencher sur le préscolaire en Tunisie avec Ridha Zahrouni, Président de l’Association tunisienne des parents et des élèves (ATUPE).

Avoir les moyens de ses ambitions

L’éducation préscolaire joue un rôle essentiel dans le développement cognitif, social et émotionnel des enfants. Ainsi le projet « Rawdha fi Houmetna », pourrait constituer une étape essentielle pour l’amélioration du système éducatif. Dans une interview, le président de l’Association Tunisienne des Parents et des Élèves, Ridha Zahrouni, a partagé ses préoccupations quant à ce projet. Selon lui, cette initiative pourrait ressembler davantage à un effet d’annonce sans les moyens nécessaires pour la concrétiser.

« Aujourd’hui dans le système éducatif actuel nous sommes en train de souffrir d’un phénomène de discrimination puisque 70% de la population tunisienne n’arrive pas à investir dans l’éducation de leurs enfants. De son côté, lui aussi, l’Etat dispose de moyens limités pour avoir une infrastructure correcte sur tout le territoire. Il faut rappeler que certaines écoles en Tunisie ne sont même pas raccordées à l’eau potable, sans parler du manque important en termes de ressources humaines. Donc quand il y a des annonces dans le sens de la généralisation du préscolaire en Tunisie, on induit l’opinion publique en erreur en la charmant, alors que tout le monde sait que ces projets sont difficiles à mettre en œuvre », déplore-t-il.

Ce projet va encore renforcer la discrimination entre les niveaux de vie des familles et les régions.

Généraliser le préscolaire est une nécessité

En Tunisie, la nécessité de généraliser et rendre obligatoire l’enseignement préscolaire dès l’âge de 3 ans devient de plus en plus évidente, car cela peut avoir des avantages significatifs pour le bien-être et la réussite future des jeunes apprenants.

L’éducation préscolaire offre un environnement stimulant qui favorise le développement cognitif des enfants. À l’âge de 3 ans, les capacités d’apprentissage sont à un stade crucial, et une stimulation précoce peut avoir un impact durable sur les compétences intellectuelles. Les activités ludiques et éducatives dans un cadre préscolaire bien conçu renforcent la curiosité naturelle des enfants, facilitent l’apprentissage des compétences linguistiques et numériques de base, et jettent les bases d’une future réussite académique.

Zahrouni insiste sur l’importance du préscolaire, soulignant que la période entre 3 et 5 ans est cruciale pour le développement des enfants. Il a exprimé des préoccupations quant à la nécessité d’un cadre éducatif bien formé, affirmant qu’il faut des compétences hautement qualifiées pour transmettre des valeurs qui influenceront l’enfant tout au long de sa scolarité.

« Il ne faut pas prendre le préscolaire à la légère car cette tranche d’âge (entre 3 et 5 ans), c’est une période très délicate car elle est le socle qui déterminera leur avenir. A cet âge-là, les enfants sont certes très réceptifs mais surtout très influençables. Il faut des compétences hautement qualifiées pour transmettre les valeurs et les principes qui suivront l’enfant tout au long de sa scolarité ».

De nombreuses études montrent que les enfants ayant bénéficié d’une éducation préscolaire ont tendance à mieux performer académiquement au fil des ans.

Concurrencer l’offre du privé

Toutes les anciennes générations se souviennent des jardins d’enfants municipaux qui étaient présents dans tous les gouvernorats du pays. Aujourd’hui ces structures ont fait place à des établissements privés qui proposent des tarifs parfois exorbitants, en fonction de la localisation et des services proposé, limitant ainsi l’accès aux tranches les plus défavorisées.

La disparition des jardins d’enfants publics est due, selon le président de l’ATUPE, à l’érosion du système éducatif et plus globalement social. « Nous étions à l’époque dans la période de l’indépendance, solidaires des uns et des autres avec un effort sincère pour que nos enfants réussissent. Le système éducatif public était la voie de l’excellence contrairement au privé qui était considéré comme l’école de la dernière chance pour les élèves en échec scolaire. Aujourd’hui c’est tout le contraire », nous dit-il.

Ainsi, aujourd’hui pour que ce projet de jardins d’enfants municipaux réussisse, il faut qu’il puisse concurrencer l’offre qui émane des structures privées qui sont à la pointe, pour certaines, des techniques d’enseignements et dotées de structures de bonne qualité.

Ridha Zahrouni a appelé à la généralisation de la scolarisation en préscolaire dès l’âge de 3 ans en la rendant obligatoire, tout en insistant sur l’importance de le faire de manière équitable pour tous les enfants du pays, quel que soit leur origine sociale, favorisant par la même occasion la mixité sociale.

« La généralisation du préscolaire serait bénéfique pour les enfants, les préparant davantage au cycle primaire et offrant aux parents la tranquillité d’esprit nécessaire pour travailler sereinement », poursuit-il.

En effet, cela contribue à réduire les inégalités éducatives en offrant à tous les enfants, quelle que soit leur origine socio-économique, un accès égal à une éducation de qualité. En rendant l’enseignement préscolaire obligatoire, la Tunisie enverrait un message fort sur son engagement envers l’équité éducative, garantissant ainsi que chaque enfant ait les mêmes chances de réussite dans son parcours éducatif.

Wissal Ayadi