Tunisie : Déficits abyssaux, personnel pléthorique…de quelles entreprises, l’État devra-t-il se désengager ?

20-01-2022

La Tunisie compte en tout 111 entreprises publiques. Leurs difficultés financières n’est un secret pour personne. En effet, selon un récent rapport du ministère des finances, 77 d’entre elles cumulent à elles-seules un déficit de 711 millions de dinars en 2019 (année du dernier audit).

L’Etat ne cesse, d’année en année, de renflouer les caisses de ces entreprises et certaines sont même endettées auprès de l’Etat lui même.

Comment en est-on arrivé là ? La privatisation est-elle la solution pour sortir de cette cavalerie financière qui creuse la dette du pays ?

Quelques chiffres

Près de 10 milliards de dinars, 9,9 pour être exact, ont été injectés dans les entreprises et établissements publics en 2020. Ce chiffre a été dévoilé dans le récent rapport du ministère des Finances sur les entreprises publiques. Une hausse de 1,9 milliards de dinars par rapport à 2019.

Cette somme faramineuse représente pas moins de 8,9% du PIB de la Tunisie, dont 60% ont été reversés à la STIR, la STEG, l’Office des Céréales, la CNRPS et la CNSS.

Source: Rapport du ministère des Finances

En vue des prochaines négociations avec le Fonds monétaire international, une des conditions posée pour l’octroi de nouveaux fonds est celle de la réforme des entreprises publiques. Lesquelles souffrent de plusieurs anomalies et dysfonctionnements dont une pléthore de personnel.

Dans le top 3 des entreprises publiques ayant le plus grand nombre d’employés on retrouve en pole position la STEG avec 573,3 millions de dinars, suivi par la Compagnie des phosphates de Gafsa (299,7 millions de dinars) et Tunisie Télécom (296,8 millions de dinars).

Source: Rapport du ministère des Finances

L’Etat endetté auprès de l’Etat…

Autre phénomène, celui de l’effet dominos, appelé également crise systémique. C’est le cas par exemple de l’ETAP (Entreprise tunisienne d’activités pétrolières).

Toujours selon le rapport du ministère des Finances, l’entreprise serait redevable de la somme de 774 millions de dinars auprès  de la STEG et de 1034 millions de dinars auprès de la STIR, qui elle-même se situe sur la première place des entreprises publiques les plus déficitaires du pays.

Suite à sa non-capacité à rembourser ses dettes auprès de ses clients, essentiellement étatiques, l’ETAP à suspendu le paiement de ses créances contactées auprès des fournisseurs, mais surtout de ses redevances à l’Etat qui s’élèvent à 373 millions de dinars.

Ainsi, le déficit financier de l’ETAP a atteint à la fin juillet 2021, 830 millions de dinars.

Modèle de gouvernance archaïque

La question est de savoir comment en est-on arrivé à cette situation qui a mené certaines entreprises au bord de la banqueroute. D’après Abdelkader Boudriga, expert financier et président du Cercle des financiers tunisiens, l’échec des établissements publics est du essentiellement à un mauvais modèle de gouvernance et de gestion du personnel, qu’il qualifie d’archaïque.

Abdelkader Boudriga / Expert financier

« Depuis 2011, de nombreuses compétences présentes dans les entreprises publiques se sont désengagées de leur mission à cause notamment d’un manque de volonté d’améliorer les méthodes de travail et donc l’efficacité ». A titre d’exemples, il cite la  restructuration de certaines banques publiques en 2014 qui a consisté en un allègement de leur mode de fonctionnement et donc à une meilleure efficience.

Boudriga ajoute, par ailleurs, qu’à partir de 2011, des recrutements ont été faits afin de remplacer les charges fournisseurs par des salaires. « Souvent ces ressources humaines ont été embauchées sur fonds de préservation de la paix sociale, de calculs politiques et de pratiques de complaisances, sauf que leurs compétences n’étaient pas à la hauteur des postes où ils ont été affectés, faisant fuir les élites de ces entreprises vers le secteur privé ou l’étranger », nous dit-il.

« La masse salariale est un faux problème. C’est la gestion d’un nombre important d’employés qui est le vrai problème », ajoute-t-il.

Ainsi, Boudriga considère que la privatisation à outrance n’est pas la solution. « L’autre alternative serait de garder une certaine forme de participation publique en adoptant des méthodes de management privé pour que la répartition des richesse soit toujours gérée par l’Etat ».

Privatiser les secteurs concurrentiels et réformer les grilles salariales

Selon l’économiste Ridha Chkoundali, le problème avec les entreprises publiques c’est qu’elles ne jouent pas leur rôle de service publics. IL estime à cet égard que les avantages tant au niveau salaires qu’avantages en nature ne correspondent pas au rendement de ces établissements.

« La corruption a gangréné les entreprises publiques et c’est ce qui les a menées à leur perte. Ce n’est pas normal qu’un agent de la STEG soit payé plus qu’un enseignant universitaire et avec cela il ne paye pas ses factures d’électricité et en fait profiter les membres de sa famille », déplore-t-il.

Ridha Chkoundali / Economiste

Pour l’expert il faut tout d’abord réformer les grilles salariales des entreprises publiques et de la fonction publique selon la productivité.

En ce qui concerne  la privatisation, Chkoundali affirme que la privatisation de certaines entreprises dites concurrentielles peut être une solution pour minimiser les charges. « La RNTA par exemple n’est pas un secteur stratégique, tout comme les banques où l’Etat dispose d’une faible participation », indique-t-il.

La privatisation de certains établissements permettra à l’Etat d’investir dans des secteurs stratégiques comme celui de l’énergie afin d’améliorer les infrastructures et la qualité des services, conclut-il.

Wissal Ayadi