Tunisie : De nouvelles idées et initiatives pour contrer la Fast Fashion et ses effets destructeurs sur la planète !

27-01-2023

Au cours des 20 dernières années, la production de vêtements a connu une croissance exponentielle, grâce aux géants de la mode à bas prix qui ont créé un modèle de consommation toujours plus attractif et rentable, mais qui a un impact dévastateur sur l’environnement et les conditions de travail.

Ce modèle, appelé « fast fashion », consiste à produire toujours plus et toujours moins cher, permettant aux poids lourds de cette industrie de voir leurs chiffres d’affaires augmenter chaque année. Les marques de fast fashion sont devenues expertes dans la reproduction de collections de luxe à des prix abordables, avec des gammes en constante évolution qui attirent surtout les plus jeunes.

Et la Tunisie n’est pas en reste puisque depuis le début des années 2000, les boutiques de fast fashion se sont installées en force, notamment dans la capitale Tunis, où les clients n’hésitent pas à dépenser des fortunes dans des vêtements de qualité médiocre.

Cependant le vêtement de seconde main ou plus communément appelé la fripe fait de plus en plus d’émules à travers le pays en raison de son prix, faisant du pays un des pionniers de ce que l’on appelle la « Slow Fashion »…

Qu’est ce que la Fast Fashion ?

L’industrie de la fast fashion est caractérisée par une production effrénée de vêtements à bas coût, sortis en grande quantité et souvent, s’inspirant des tendances actuelles.

Les marques de fast fashion sont parfois amenées à proposer jusqu’à 36 collections par an, un rythme accéléré qui les distingue des marques traditionnelles de mode qui ne dépassent généralement pas 4 collections par an.

Il est connu que la réduction des coûts de production se traduit généralement par une baisse de qualité des matières utilisées. C’est pourquoi, les vêtements de fast fashion sont souvent fabriqués à partir de matières synthétiques peu coûteuses, tels que le polyester et l’élasthanne, ou de coton non-biologique, qui ont tendance à être moins résistantes et de moins bonne qualité. Les finitions sont également souvent défaillantes, ce qui affaiblit la durabilité globale des vêtements dans le temps, poussant les consommateurs à acheter toujours plus à coup de matraquage publicitaire pour susciter le désir et pousser à la surconsommation.

Les conséquences environnementales et sociales

Depuis quelques années, cette industrie est largement décriée pour ses conséquences sociales et environnementales dévastatrices. Elle est extrêmement gourmande en énergie, en ressources humaines et en matières premières. Des ateliers de misère, des désastres sanitaires et écologiques, des drames humains et des discriminations, cachent une réalité peu reluisante.

Les marques de fast fashion produisent leurs vêtements à l’autre bout du monde, dans des pays où les salaires sont plus bas, pour réduire les coûts de production.

Ce modèle de consommation effréné, où les articles sont achetés et jetés rapidement, a mené à une augmentation de la vente de vêtements de 100 milliards par an, soit deux fois plus qu’au début des années 2000. Les applications de vente en ligne et les livraisons à domicile gratuites ont amplifié cette frénésie d’achat. Les marques de mode ont adopté cette stratégie pour continuer à croître dans un marché saturé, masquant les conséquences néfastes de leurs actions.

Effondrement de l’usine de confection « Rana Plaza » au Bangladesh en 2013

Le gaspillage des vêtements est un fléau en constante croissance. En Europe seulement, 4 millions de tonnes de vêtements sont jetées chaque année, et malheureusement, seule une infime partie est recyclée ou réutilisée. Cette réalité rappelle l’importance de repenser le modèle de consommation de vêtements et de mettre en place des alternatives durables pour préserver la planète.

L’utilisation de matériaux de qualité inférieure, tels que les textiles synthétiques, est l’une des principales caractéristiques de la fast fashion. Non seulement ces matériaux sont nocifs pour l’environnement lorsqu’ils sont jetés, mais ils le sont également lorsqu’ils sont lavés. Des millions de microfibres sont rejetés dans les eaux environnantes à chaque lavage, représentant plus d’un tiers des microplastiques présents dans les océans. La mode est considérée comme l’une des industries les plus polluantes, responsables de 10% des émissions de gaz à effet de serre, soit autant que le transport aérien et maritime combinés.

La Tunisie reçoit 140.000 tonnes de déchets textiles par an

Chaque année, les dépotoirs contrôlés et sauvages de Tunisie reçoivent près de 140 000 tonnes de déchets textiles, notamment des vêtements usagés de sources inconnues et des friperies, selon l’Agence nationale pour la gestion des déchets. Malheureusement, une grande partie de ces déchets est brûlée de manière nuisible pour l’environnement.

En outre, les usines textile en Tunisie produisent également des tonnes de déchets, et les magasins et les marchands de tissus ont des stocks importants de vêtements invendus à cause de la fast-fashion

Cependant, ces déchets embarrassants et encombrants pour la nature et l’Homme constituent un potentiel valorisable et des matières premières à recycler pour alimenter des ateliers de couture, lancer des marques locales et de nouvelles modes respectueuses de l’environnement et non destructrices pour la planète.

« Moodha Okhra » : détourner des invendus de la fast-fashion pour en faire de nouveaux vêtements

C’est le défi que s’est lancé le programme « Moodha Okhra » qui a décidé de prendre à contrepied la fast fashion en travaillant autour de l’Upcycling des vêtements et des produits textiles, dans l’objectif de réduire les déchets et adopter la thématique Zéro déchets. « Créer et travailler dans le secteur de la mode, c’est être éco-responsable et sensible aux problèmes environnementaux. C’est aussi réduire la pollution causée par l’industrie de la mode à l’échelle locale et internationale », indique Meriem Aouadi, chef de projet « Moodha Okhra ».

La jeune femme nous explique que  5 designers triés sur le volet se sont lancés dans la création d’une collection « Upcyclée » de vêtements et de chaussures. « Nous avons réussi à créer un partenariat avec le groupe Indigo, leader des marques de fast fashion en Tunisie. Nous avons récupéré leurs invendus pour les associer et ainsi créer des pièces uniques. Et les déchets générés pendant la phase du montage ont été réutilisés pour créer des chaussures en collaboration avec « 13 Rue de la mode », une marque tunisienne de chaussures pour femmes spécialisée dans la maroquinerie », souligne Meriem.

 

Collection Moodha Okhra à partir de vêtements invendus / Crédit photo: Hamza Bennour      
Atelier de confection Moodha Okhra / Crédit photo: Hamza Bennour

Des actions de sensibilisation et d’éducation ont aussi été conçues pour les professionnels du domaine et le large public afin d’éveiller les consciences et interroger notre mode de consommation. Des actions qui lancent les prémices d’une mode de demain, consciente et circulaire.

Ce projet fructueux a donné lieu à l’exposition « Moodha Okhra », qui s’est déroulé du 10 au 17 décembre 2022.

Le digital au service de la mode responsable

La fast-fashion a également pour conséquence d’encombrer nos placards avec des vêtements, souvent très peu portés. C’est de ce constat qu’est née l’idée de l’application « Save Your Wardrobe », en français « Sauve ta garde-robe », initiée par la Tunisienne Hasna Kourda installée à Londres.

Contactée par Gnetnews, la jeune entrepreneuse nous explique d’abord que les Tunisiens sont inscrits dans un mode de surconsommation. « Une bonne partie des crédits  à la consommation sont dédiés à la mode et à l’électroménager », indique-t-elle.

En outre, elle rappelle que culturellement la Tunisie est un pays basé sur une économie manufacturière. Un savoir-faire qui détiennent les « terzi » et les « khayata ». « Avant tout le monde faisait ses vêtements de manière artisanale. C’était quelque chose d’assez solide jusqu’à l’arrivée des grandes enseignes au début des années 2000. Avec ce changement de culture, les gens ont commencé à adopter la fast-fashion en portant des vêtements une seule fois et passer très vite à une autre tendance. L’Identité traditionnelle du fait-main ou du sur-mesure a été perdue et a été remplacée par ces marques occidentales », nous dit-elle.

« Ce n’est pas forcément de la surconsommation, mais plutôt une attraction pour ces marques étrangères qui donnent un côté luxueux. Pour exemple, les marques comme Zara ou Mango restent chères pour le Tunisien moyen, mais il fera tout pour se le procurer afin de montrer qu’il a une certaines place dans la société », ajoute Hasna.

Hasna Kourda explique par ailleurs, qu’à partir de 2024, l’Union Européenne interdira l’exportation  de vêtements de seconde main en dehors de l’UE. Ainsi, les pays africains ne pourront plus recevoir de vêtements de seconde main pour développer l’immense secteur de la fripe. Une mort annoncée d’un secteur qui habille et qui fait aussi vivre des milliers de familles tunisienne à travers les usines de tri réparties sur le territoire.

Ainsi, l’idée de « Save Your Wardrobe » pourrait constituer une alternative à la cherté des prix dans les boutiques et à la mort de la fripe. En effet, cette application permet de mieux utiliser ses vêtements et d’avoir accès à la réparation, à la retouche, à la location de vêtements et à la revente et le rachat de seconde main.

« Il y a deux volets dans cette application. D’abord aider les gens à faire un inventaire de ce qu’ils ont dans leurs placards grâce à la reconnaissance d’image et le tickets de caisse numérique. Ensuite on aide les gens à mieux s’organiser en les guidant pour créer des tenues avec les vêtements qu’ils ont déjà », nous dit-elle.

Le deuxième volet, qui n’est pas encore disponible en Tunisie, permet de connecter des tailleurs qui peuvent réparer ou transformer le vêtement. 

« On travaille aussi avec les marques parce qu’on pense qu’elles sont responsables de tous les vêtements qui sont sur le marché. Nous avons établi un partenariat avec la marque Hugo Boss qui permet d’aller en boutique et demander une réparation gratuite », conclut Hasna.

La préservation de la planète, une consommation plus raisonnable et durable, tout cela à des prix accessibles, sont les principaux enjeux du secteur de la mode dans le monde à condition que les géants de la Fast-fashion prennent conscience de leur impact à la fois sur la société et l’environnement.

Wissal Ayadi