Tunisie : Les positions des Etats-Unis, et de l’Europe déterminantes pour que les négociations avec le FMI aboutissent (analyste)

03-10-2022

Les pourparlers engagés entre la Tunisie et le Fonds monétaire international (FMI) en sont à leur dernière ligne droite. Une délégation se dirigera cette semaine aux Etats-Unis en vue de poursuivre les négociations, afin d’espérer obtenir un nouveau plan d’aide de près de 4 milliards de dollars.

Un processus qui dure depuis de longs mois et dont l’accord reste tributaire des réformes demandées par l’institution financière.

De son côté, la cheffe du gouvernement, Najla Bouden ne ménage pas d’effort en rencontrant différentes chancelleries, en vue de solliciter leur soutien.

Pour comprendre les dessous de ces négociations, hautement importantes pour l’avenir de la Tunisie, GnetNews s’est entretenu avec Michaël Ayari, analyste principal pour International Crisis Group.

Le FMI teste la résilience politique

Tout le monde s’accorde à dire que ce programme tarde à arriver. Séances de travail, réunions…cela fait plusieurs mois que la Tunisie tente de trouver la formule adéquate qui lui permettra d’obtenir ce nouveau programme de coopération financière avec le FMI, afin de faire face à une crise financière inquiétante, et de pouvoir financer son programme de réforme.

« Le FMI attend des réformes préalables dans le cadre de l’étape de ce qu’on appelle les « prior reforms ». Le FMI n’a plus trop confiance car, auparavant, la Tunisie n’a pas honoré ses promesses de réformes. Il s’agit pour eux de tester la résilience politique du pays », nous dit Michaël Ayari.

Michael Ayari / Analyste principal pour International Crisis Group

En effet, au début de l’année 2020, le FMI avait suspendu son programme de financement à la Tunisie en ce qui concerne la cinquième tranche, car Tunis n’avait pas honoré les réformes demandées par le Fonds, qui portent principalement sur la baisse de la masse salariale, la rationalisation de la subvention des produits de base et des produits énergétiques et la réforme des entreprises publiques. Une situation qui a coïncidé avec la pandémie de Covid-19 ; le FMI avait alors octroyé à la Tunisie une aide financière de 750 millions de dollars pour faire face à la crise sanitaire. Somme qui, selon les dernières négociations, sera déduite du prochain programme.

D’après Ayari, le FMI souhaite également un engagement de la part de la présidence auprès des Tunisiens. « Certes il est important d’échanger avec les chancelleries sur place. Le président a également un rôle à jouer avec ses homologues internationaux. Mais le Fonds monétaire international veut un président qui prépare son peuple à l’austérité. Or ici on voit Marouane Abassi  qui essaye de rassurer et l’UGTT, en tenant un discours variable en fonction des situations. Le FMI demandait un pacte social qui aille au delà du pacte classique entre UTICA/UGTT. Le récent accord conclu entre le gouvernement et l’UGTT portant essentiellement sur les majorations salariales dans la fonction publique et le secteur public est un début…mais il faut aller plus loin », affirme l’analyste.

Michaël Ayari explique à cet égard que les milieux financiers et notamment les fonds d’investissement ont très bien accueilli cette nouvelle car cela correspond au final à une diminution des salaires car l’inflation est supérieure. « Cela va permettre de diminuer, en chiffre absolu, par rapport à la montée de l’inflation, la masse salariale qui est une des premières demandes du FMI ».

Un véto américain reste possible

L’étape de la validation de ce qu’on appelle le « board » a une dimension beaucoup plus politique que technique. Ainsi, lors de cette étape ultime, si le FMI accepte cela veut dire que les bailleurs du FMI, en premier lieu les Etats-Unis, sont d’accord pour aider la Tunisie. Selon Michael Ayari, il existe une certaine division au sein de ce « board ».

« Aux Etats-unis il y a une certaine opinion défavorable vis a vis de la Tunisie et notamment de la politique menée par Kais Saïed. Ce sont des démocrates et ils voient le discours de Kaïs Saïed comme ayant certaines affinités avec les discours des leaders populistes dans le monde et les Américains ne sont pas enthousiaste envers cela. Ils comparent également le discours de Saïed avec ceux prononcés par certains leaders en Afrique qui ont penché du côté de la Russie et de la Chine. Même si la Tunisie n’est pas dans cette logique, les Etats-Unis estiment tout de même que le risque existe, doutant de la fiabilité du président d’être un allié contre la Russie », a fait savoir Ayari.

« Les Etats-Unis prônent l’approfondissement de la démocratie « formelle » avec un régime un peu plus parlementaire et ici on a Kaïs Saïed qui fait tout a fait le contraire. Ainsi, Washington y voit un effacement du peu d’acquis réallisés ces 10 dernières années de printemps arabes », poursuit-t-il.

L’Europe encourage la stabilité

Et de l’autre côté, il y a l’Europe qui semble être beaucoup plus pragmatique. D’après Ayari, l’Union Européenne considère que s’il n’y a pas d’accords avec le FMI, la Tunisie sera en état de  faillite avec un risque de « libanisation » du pays. « L’UE considère que si le pays fait faillite, cela augmentera l’immigration illégale, le risque de terrorisme, de trafics en tout genre… Il ne faut pas oublier qu’un pays qui fait faillite peut s’allier avec n’importe qui ».

Si l’Europe n’est pas pour autant enthousiaste quant à la situation politique du pays, elle ne veut  pas que ce soit le peuple qui en paie les conséquences et prône, ainsi, la stabilité. Ainsi, ll y a un jeu diplomatique qui est en train de se faire au sein du conseil d’administration du FMI. « Entre l’appui de l’UE et le possible véto américain, la Tunisie devrait s’attacher à renforceer ses relations diplomatiques avec l’Europe pour pouvoir défendre le plan et contrer un éventuel véto américain  qui est basé sur des raisons politiques », affirme Michael Ayari.

Un accord…et après ?

Aux vues de la fragilité de la situation économique tunisienne, ce n’est pas parce qu’il va y avoir un accord avec le FMI qu’une solution sera trouvée à tous les problèmes. Le FMI distribuera les fonds par tranche à condition de faire des réformes.

« Les fonds débloqués par le FMI vont certes permettre l’arrivée de nombreux investissements étrangers. On pense notamment au Japon », précise l’analyste. En effet, rappelons que lors de la dernière conférence internationale de Tokyo sur le développement en Afrique (TICAD 8s), le Japon avait annoncé que les investissements prévus en Tunisie seraient réalisés en fonction de l’accord conclu avec le FMI.

« En réalité, l’accord avec le FMI démontrera que la Tunisie est solvable, et que politiquement la Tunisie n’est pas un état voyou. Mais cela ne va pas sauver l’économie du pays et les finances publiques. On connait le pesanteurs bureaucratiques, les projets d’aides qui n’ont jamais été réalisés et décaissés », ajoute-t-il.

Michael Ayari, prévient, « le futur programme d’aide financière n’est pas un chèque en blanc! ».  En effet, même si cet accord est signé le FMI restera en alerte. « Aujourd’hui la Tunisie est dans l’urgence car elle risque le défaut de paiement. La restructuration de la dette s’impose comme étant une bouée de sauvetage à laquelle tout le monde se raccroche ».

En somme, les réformes s’imposent et ne peuvent plus rester tributairese d’un manque de courage politique qui a mené jusqu’ici à une crise économique, = de plus en plus dur de jour en jour.

Wissal Ayadi