France : Le Sénat vote un texte pour demander pardon et indemniser les Harkis

26-01-2022

AFP – A l’issue de très importants débats, le Sénat a adopté, mardi 25 janvier au soir, un projet de loi visant à demander « pardon » aux harkis et à mettre en place une politique de réparation. Le texte a été adopté à l’unanimité des sénateurs présents : 331 d’entre eux ont voté pour, et 13 autres se sont abstenus. Un peu plus tôt, l’Assemblée nationale avait déjà adopté le projet de loi.

Soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie, qui a fait près de 500 000 morts entre 1954 et 1962, le texte est la traduction législative du discours tenu par Emmanuel Macron. Le 20 septembre dernier, le président de la République avait demandé pardon aux harkis, ces soldats algériens s’étant battus aux côtés de la France, mais abandonnés par le général de Gaulle à l’issue du conflit.

Ce texte est « celui de la reconnaissance par la nation d’une profonde déchirure et d’une tragédie française, d’une page sombre de notre Histoire », a souligné la ministre chargée de la Mémoire et des Anciens Combattants, Geneviève Darrieussecq. Pour la rapporteuse Marie-Pierre Richer (LR), s’il « comporte des avancées importantes », le projet de loi « a un goût d’inachevé ».

Le texte reconnaît « les conditions indignes de l’accueil » réservé aux 90 000 harkis et à leurs familles, qui ont fui l’Algérie après l’indépendance. Près de la moitié d’entre eux ont été relégués dans des camps et des « hameaux de forestage ». « Ces lieux furent des lieux de bannissement, qui ont meurtri, traumatisé et parfois tué », a affirmé la ministre.

Pour ceux-ci, le projet de loi prévoit « réparation » du préjudice avec, à la clé, une somme forfaitaire tenant compte de la durée du séjour dans ces structures. Le nombre de bénéficiaires potentiels est estimé par le gouvernement à 50 000, pour un coût global de 302 millions d’euros sur environ six ans. Les sénateurs ont précisé le texte pour intégrer « certaines prisons reconverties en lieux d’accueil pour rapatriés » dans la liste des structures éligibles au mécanisme de réparation.

Mais les déceptions se sont cristallisées sur les quelque 40 000 rapatriés qui n’ont pas séjourné dans ces structures, mais dans des « cités urbaines », exclus de la réparation. « Leur seul tort est de ne pas avoir vécu entourés de barbelés », s’est insurgé Philippe Tabarot (LR), fustigeant un mécanisme de réparation « à la fois partiel et partial ».

Le Sénat a adopté successivement deux amendements visant à élargir les prérogatives de la Commission de reconnaissance et de réparation que crée le projet de loi. Celui du gouvernement tend à garantir « à tous les harkis combattants » un accès à cette commission, qui pourra examiner leurs situations individuelles et leur proposer « toute mesure de reconnaissance appropriée ».

Le chef de file des sénateurs LR, Bruno Retailleau, a souhaité voir plus loin en lui confiant, pour tous les harkis, le soin de « proposer toute mesure de reconnaissance et de réparation ». La ministre a mis en garde contre « les faux espoirs » que pourrait susciter cet ajout, car « la Commission ne pourra pas décider elle-même d’attribuer une indemnisation ». Députés et sénateurs vont maintenant tenter de s’accorder sur un texte de compromis. En cas d’échec, l’Assemblée aura le dernier mot.

« Le temps du silence et de la honte est révolu », a déclaré la sénatrice de Paris Esther Benbassa. « La douleur est toujours vive, les plaies peinent à cicatriser et les mémoires sont encore troublées », a souligné la socialiste Émilienne Poumirol. En témoigne l’accès de fièvre qui a échauffé les esprits sur tous les bancs lors de la discussion d’amendements, qui n’ont pas été adoptés, visant à inscrire dans la loi que les harkis sont des « citoyens français ». « J’ai toujours dit que les harkis étaient Français, ce sont des citoyens français depuis toujours », a affirmé la ministre.

Jusqu’à 200 000 harkis avaient été recrutés comme auxiliaires de l’armée française pendant le conflit entre 1954 et 1962. Une journée d’hommage de la nation leur est consacrée le 25 septembre, depuis un décret de 2003. Symboliquement, les députés ont inscrit cette date dans la loi. « Chaque année, la République vous entendra », a lancé la centriste Brigitte Devésa, à l’adresse des représentants d’associations de harkis présents dans les tribunes.