Ghar el Melh, Sidi Ali Mekki…Des plages paradisiaques victimes de surexploitation et de privatisation !
Chaque été c’est la ruée des vacanciers vers les plages de Ghar El Melh, Sidi Ali Mekki ou encore Coucou Beach situées dans le gouvernorat de Bizerte. Depuis près de 20 ans, ces paradis ont été surexploités par des restaurateurs qui ont construit des paillotes et proposant des packs all inclusive (déjeuner, encas…) transformant le visage de ces zones protégées.
C’est donc une véritable privatisation de ces plages qui s’est mise en place au détriment de la préservation de l’environnement et d’un développement économique réglementé où la corruption est devenue la règle.
Derrière les photos aux airs de Caraïbes, se cache pourtant une réalité beaucoup plus sombre. Enquête.
Conséquences environnementales
La privatisation des plages de Ghar el Melh en Tunisie a débuté dans les années 2000, avec une exploitation accrue de la plage de Coucou Beach après la révolution de 2011. Cependant, ces développements ont des conséquences environnementales importantes, selon Moez Shaïek, expert en milieux marins et côtiers.
L’une des conséquences concerne d’abord le paysage qui a été littéralement défiguré par les constructions anarchiques ne respectant aucune norme. Cabanes sur pilotis à même l’eau, hamacs en fer rouillées par l’érosion.
Selon l’expert, des constructions telles que des maisons d’hôtes ou des gîtes auraient été plus appropriés.
De plus, la présence d’une station d’épuration du côté de la ville d’Utique, qui déverse les eaux usées, soulève des inquiétudes quant à la pollution de l’eau, y compris au niveau de l’embouchure du fleuve du Oued Madjerda.
La construction anarchique d’installations directement sur le sable a également un impact sur l’environnement. « En l’absence de cahier des charges précis, ces structures ne respectent pas les normes de construction appropriées », nous dit Shaiek. De plus, la construction de paillotes dans la mer, au milieu des herbiers de posidonie, nuit aux écosystèmes marins.
Un autre problème concerne la circulation en voiture sur le sable, ce qui est interdit par la loi. Pourtant, des parkings accueillant des milliers de véhicules ont été créés le long de la zone de Ghar El Melh et Sidi Ali Mekki.
La surfréquentation des plages entraîne également une pollution due à la mauvaise gestion des déchets par les restaurateurs et les visiteurs. Certains n’hésitent pas à les jeter derrière les dunes qui séparent la mer de la lagune, comme c’est le cas à Coucou Beach.
Enfin, la privatisation totale de la côte par les restaurateurs, sans respecter l’obligation de laisser un tiers de la plage accessible au public, est également une préoccupation.
Moez Shaïek souligne que la zone de Ghar el Melh est classée SIPAM (Systèmes ingénieux du patrimoine agricole mondial), ce qui signifie qu’elle abrite des systèmes agricoles et culturels traditionnels menacés de disparition. « Si l’exploitation des plages se poursuit de cette manière, elles risquent de se dégrader et de devenir inexploitables à l’avenir », conclu l’expert.
Il faut un plan d’aménagement
Borhene Dhaouadi, architecte urbaniste, estime qu’il est encore possible de réguler la situation en appliquant la loi et en établissant une réglementation pour ces zones sensibles. Selon lui, il s’agit d’une responsabilité de l’État, qui doit exercer son autorité sur cette zone.
Dhaouadi souligne également que l’exploitation anarchique de ces sites est due au manque de projets de développement dans la région. Les habitants locaux ont donc pris les choses en main pour survivre économiquement. Cependant, l’absence de réglementation a entraîné des aménagements anarchiques et illégaux, parfois en corrompant l’administration pour obtenir des autorisations.
Pour sauver ce qui peut encore l’être, l’architecte propose la mise en place d’un plan d’aménagement urbain pour mettre fin à cette anarchie, en tenant compte du classement de la zone en tant que site RAMSAR (zone humide d’importance internationale).
Selon Dhaouadi, il est nécessaire de mettre en place un plan d’occupation temporaire estival, en cohérence avec les principes de développement durable et de protection de l’environnement. Il suggère de limiter le nombre de visiteurs par jour et de mettre en place un mode de transport spécifique, comme des embarcadères partant du port de la « Galaa ». « L’objectif est de réguler le flux de visiteurs et de protéger l’endroit sans pour autant en interdire l’accès », explique-t-il.
Un potentiel mal exploité
« Une poule aux œufs d’or torturée », « les caraïbes à deux heure de Paris », c’est comme cela que Borhen Dhaouadi qualifie la région de Ghar el Melh. Avec Il propose la création de structures touristiques intelligentes et écologiques qui attireraient les touristes étrangers et permettraient de générer des revenus substantiels.
Dans le cadre du projet de développement de la Smart City de Bizerte, appelé « Bizerte Smart City », Dhaouadi a présenté plusieurs fiches de projets, notamment la réorganisation du centre-ville et du port de Ghar El Melh, ainsi que la création d’une cité lacustre avec une extension du port de pêche pour les bateaux traditionnels.
Pour la plage de Coucou Beach, il propose la construction de 10 unités en bois montées sur pilotis, avec une orientation vers la lagune et la mer, et une partie réservée au grand public.
En ce qui concerne les exploitants de la partie de Ghar El Melh appelée Bounta, Dhaouadi préconise de régulariser leur situation et de mettre en place une plateforme logistique pour le ravitaillement en nourriture, ainsi que de les raccorder au réseau électrique.
En conclusion, la privatisation des plages de Ghar el Melh en Tunisie a eu des conséquences environnementales importantes, notamment sur le paysage, la pollution de l’eau, la surexploitation des plages et la gestion des déchets.
Les experts, tels que Moez Shaïek et Borhene Dhaouadi, soulignent la nécessité d’une réglementation stricte et d’une planification adéquate pour protéger cet environnement fragile. Ils proposent des mesures telles que l’application de la loi, la mise en place de plans d’aménagement urbain, la limitation du nombre de visiteurs et la création de structures touristiques respectueuses de l’environnement.
Il est crucial de prendre des mesures afin de préserver ces sites naturels uniques et de promouvoir un développement durable dans la région.
Wissal Ayadi