Tunisie : Gabès vit un désastre écologique que le naufrage vient aggraver !

18-04-2022

Un bout de mat qui flotte à la surface de la mer… c’est tout ce qui reste du navire XELO qui a coulé au large du Golfe de Gabès ce vendredi 15 avril. A son bord, 750 tonnes de carburant qui risquent de se déverser dans la mer et qui pourraient provoquer une catastrophe environnementale.

Le ministère de l’Environnement a déployé des barrages flottant afin d’éviter une marée noire. Pour le moment, les autorités indiquent que les réservoirs contenant le carburant sont étanches et qu’aucune matière ne s’est déversée dans les eaux à part le carburant des réservoirs du navire, d’une quantité maîtrisable. 

Le pompage n’a pas encore démarré

D’après nos dernières informations recueillies auprès de Khaireddine Debaya, membre de l’association SOS Pollution à Gabès, la zone est encerclée par l’Armée et non accessible. « Pour le moment les opérations de pompage n’ont pas encore commencé. On nous a dit que le matériel restant arrivera d’Italie aujourd’hui à 17h », affirme le militant.

« Gabes ne mérite pas un autre incident de cette nature », lance Rem Benzina, présidente de la Saison Bleue et co-présidente du Forum de la Mer de Bizerte.

Contactée par téléphone, elle indique que les autorités tunisiennes disposent de peu de moyens pour faire face à ce genre de catastrophe. « Heureusement que nous avons des accords avec des organismes internationaux ». Ainsi, elle indique que la Tunisie a fait appel au REMPEC ( Centre Régional Méditerranéen pour l’Intervention d’Urgence contre la Pollution Marine Accidentelle) qui a pu mettre à disposition de la Tunisie des experts.

« L’urgence est de contenir les éventuelles fuites. Heureusement, les cales étaient bien étanches. C’est une chance incroyable! », nous dit-elle.

16.000 tonnes d’acides rejetés quotidiennement dans la mer

Pour autant, les habitants de Gabès et notamment la société civile craignent une fuite qui viendrait aggraver une situation écologique déjà désastreuse dans la région. En effet, la pollution du Golfe de Gabès est un dossier vieux de plus d’une décennie.

« Par rapport aux problèmes de pollution que vit Gabès depuis plus de dix ans, on peut presque qualifier cet incident comme un accident mineur », nous indique Nazih Hachaichi que nous avons contacté par téléphone. Il est le porte-parole du Collectif national pour les oasis et le golfe de Gabès (CNOGG).

Ce collectif réunit plusieurs associations et activistes écologiques de la société civile qui luttent contre la pollution et la sauvegarde de Gabès. « Cet accident est une occasion de remettre sur la table le dossier de Gabès qui est une affaire écologique nationale. Le profil écologique de la région a complètement changé depuis plus d’une décennie », souligne-t-il.

Gabès constitue la dernière oasis maritime de la planète. Mais elle est vouée à disparaître si la situation ne s’améliore pas. En cause, la pollution qui attaque à la fois l’air, la terre et la mer, trois ressources naturelles vitales pour les habitants. « Le caractère unique de cet oasis vient du fait qu’elle soit côtière. De plus, la côte de Gabès est une des côtes les plus poissonneuses de Méditerranée. C’est une niche écologique pour la reproduction des espèces marines », indique Nazih Hachaichi.

Cette pollution vient essentiellement des complexes industriels installés dans la région. D’abord le Groupe chimique tunisien et également la cimenterie située dans la localité d’El Hamma. « Aujourd’hui les statistiques montrent que 16.000 tonnes de phosphogypse sont rejetées dont 3000 tonnes qui partent directement dans la mer. La pollution ne vient pas seulement du groupe chimique mais aussi de la cimenterie qui pollue l’air. En plus des rejets, ces deux complexes industriels sont des consommateurs importants d’eau issue des nappes phréatiques naturelle qui sont une des sources qui irriguent les oasis », déplore le président du CNOGG.

Classement au patrimoine mondial de l’UNESCO

« Aucun ministre ni gouvernement n’a eu le cran de prendre le dossier de Gabès au sérieux », s’insurge Kheireddine Debaya. En 2017, le gouvernement avait mis en place un comité de pilotage pour un projet de délocalisation du Groupe chimique tunisien sur une période de 8 ans. « Depuis les quelques réunions qui ont été faites au début, rien n’a avancé », déplore Debaya.

Il explique que Gabès disposait il y a encore quelques années de 120 sortes de poissons, aujourd’hui il n’en resterait plus que 20. Il y a donc un risque pour les pêcheurs mais aussi pour les agriculteurs, qui sont de plus en plus nombreux a abandonner leurs exploitations.

A noter que Gabès compte environ 120 cultivateurs de dattes de diverses variétés. « On cultive aussi de la grenade, du henné, de la corète (mouloukhia), des raisins, des bananes, des fruits et des légumes.

Le seul espoir pour Gabès, demeure dans son classement au patrimoine mondial de l’UNESCO. A cet égard, nos interlocuteurs indiquent que Gabès et son oasis font partie de la liste indicative de l’UNESCO pour un classement naturel et culturel. Cette demande date de 2008 et depuis aucune avancée n’a été réalisée. La faute, selon eux, aux autorités qui n’ont fait aucun effort pour secouer le dossier.

« Gabès a assez souffert. On a pu juguler une catastrophe mais il ne faut pas oublier la vraie catastrophe qui est le phosphogypse. Avant il y avait des langoustes, des dauphins, des coraux. Aujourd’hui, il n’y a plus cette richesse. Elle a été massacrée et détruite », déplore Rym Benzina.

Wissal Ayadi