Tunisie : Faudrait-il remettre en cause l’indépendance de la banque centrale ? (Un analyste financier répond)

14-09-2023

« L’autonomie de la Banque centrale ne veut pas dire l’indépendance par rapport à l’Etat ». Tels sont les mots du président Kaïs Saïed lors de sa visite inopinée au siège de la BCT il y a quelques jours. Une phrase qui a suscité de vives réactions, d’aucuns ont fustigé une volonté de remettre en cause l’indépendance de l’institution financière. 

Bassem Ennaifar, analyste financier, nous livre son point de vue sur la question. 

Un peu d’histoire…

La dernière loi portant amendement du statut de la Banque centrale de Tunisie date de 2016. Avant cela, il était possible à l’État de se financer directement auprès de la BCT. 

« Avant 2010, il y avait une certaine rigueur budgétaire. Après 2011, la situation est devenue incontrôlable, menant à une cavalerie financière qui a eu des conséquences lourdes sur les finances publiques », affirme Bassem Enneifar.

Ainsi, en 2012, a été mis en place un nouveau système qui s’est imposé à un moment où les dépenses budgétaires ont explosé. « L’objectif était à l’époque de choquer l’économie avec beaucoup de dépenses et de hausser la consommation, dans l’espoir de récolter un retour sur investissement sous la forme de recettes budgétaires après 5 ou 6 ans », rappelle l’expert.

Or l’inflation qui a été créée n’a pas permis ce bénéfice. Ajouter à cela un déficit important au niveau des dépenses publiques et un déséquilibre, amenant la Tunisie a faire appel au FMI en 2013.

« Au moment du programme de financement avec le FMI, l’institution a bien vu que l’Etat s’endette beaucoup trop et que donc il y avait un risque de dépréciation du dinar alors même que les ressources en devises étaient faibles et que la dette extérieure était en train de grossir. Il fallait donc protéger le dinar dans un régime de change flexible, c’est-à-dire avec le minimum d’intervention de la BCT sur le marché de change. Ce qui est le cas aujourd’hui puisque cela est limité à 25% ». 

C’est ainsi qu’en 2016, la loi régissant le statut de la Banque Centrale a donné plus d’indépendance à l’institution.

Selon Ennaifar, il s’agit d’une indépendance dans la détermination de la politique de lutte contre l’inflation. Ainsi, pour emprunter de l’argent à la Banque Centrale, l’Etat était contraint de passer par les banques. Si par le passé, l’État pouvait emprunter à la Banque Centrale autant d’argent qu’elle le voulait, augmentant dangereusement le volume de monnaie en circulation, aujourd’hui le refinancement de la BCT ne peut dépasser les 60%. Les 40% restants devant provenir des liquidités déjà existantes. « Par conséquent le risque était donc limité », souligne l’analyste financier.

A son arrivée à la tête de la BCT, Marouane Abassi a choqué l’économie en augmentant la TMM de  100 points de base, renversant ainsi les ratios mentionnés ci-dessus, et ce dans le but de lutter contre la hausse de la monnaie en circulation mais aussi de limiter la hausse de l’inflation. 

« Ainsi, aujourd’hui la volonté de Kaïs Saïed de revenir au système antérieur risquerait d’augmenter la monnaie en circulation et donc de faire exploser l’inflation », estime Ennaifar.

Un retour en arrière non sans risques

Le projet de loi relatif à l’amendement de la loi portant statut de la Banque centrale de Tunisie permettra donc à l’Etat d’obtenir directement des crédits auprès de la BCT, sans toutefois dépasser les seuils de 10% du PIB et de 20% du budget. 

« Cela représenterait entre 15 et 16 milliards de dinars qui devront être remboursés sur une période d’un an maximum. En sachant que les conséquences de ce choc ne se feront sentir qu’après un an. La question est donc de savoir comment fera la Tunisie pour contrôler l’explosion de l’inflation qui deviendra incontrôlable », prévient l’expert.

Si le statut de la Banque Centrale venait à être modifié, ce dernier estime  que le cumul des deux sources de financement que sont la BCT d’un côté et les banques de l’autre peut être risqué. En effet, ce projet de loi ne prévoit pas d’annuler la possibilité d’emprunter auprès des banques. 

« Or nous savons très bien que l’Etat le fera afin de refinancer la dette. La question est donc de savoir si la dette sera refinancée en faisant en sorte qu’il reste encore des titres sur le marché ou est ce qu’elle sera financée à 100% par la BCT afin d’effacer l’ardoise en cours? », s’interroge l’expert. 

Ce dernier souligne également que si l’Etat se dirige vers l’amendement du statut de la Banque Centrale, il faudra créer le cadre législatif adéquat, à travers une loi ou la Constitution, pour limiter le déficit budgétaire. « Il faut une forme de discipline en termes de dépenses pour éviter de se diriger vers les banques qui imposeront un taux d’intérêt important. En somme, c’est une rigueur imposée par le marché. La discipline budgétaire limitera a fortiori l’impact inflationniste de cette loi », conclut-il. 

Wissal Ayadi