L’individualisme : Une source de bien-être ou de délitement des liens sociaux?

28-03-2022

L’individualisme est pour bien de gens une réponse, à la question des pressions sociales. Avec un esprit anti conformiste, qui refuse de se fondre dans la masse, plusieurs personnes s’estiment comme l’unique maitre de leurs vies, rompant ainsi avec la quête de reconnaissance sociale.

L’intégration dans le groupe est désormais considérée, comme un obstacle pour leur créativité et évolution, notamment pour les nouvelles générations, qui croient à la glorification de soi, la sacralisation du succès et de la performance, à l’importance des victoires individuelles, et à la primauté de l’intérêt personnel…

En effet, étant imprégnée par la culture du développement personnel, le coaching…Nos sociétés préconisent désormais un nouveau conditionnement, qui lutte contre les compromis, le fait de s’effacer, supporter l’inconfort ou la frustration pour gagner la reconnaisse d’autrui.

Bien que cette perception individualiste de la vie, apporte une grande satisfaction pour soi, elle est pour certains, signe, de l’effondrement du souci pour autrui, et synonyme d’égoïsme, de manque d’empathie et de solidarité.

L’individualisme provoque-t-il un délitement du tissu social et sociétal, ou au contraire, renforce-t-il la liberté? Est-il un tremplin pour la paix intérieure et une source de satisfaction ?

Un professeur de philosophie et une coach de vie ont accepté de répondre à nos questionnements. 

En nous expliquant les origines de l’individualisme, le professeur en philosophie Habib Rouis, a rappelé que les droits individuels sont apparus avec la montée des sociétés de consommation, suite à la multiplicité des options qui se présentaient aux individus, dans tous les domaines de la vie.

En effectuant sa propre sélection d’achats, de vêtements, de nourriture, et en choisissant son mode de vie, la personne commence à s’individualiser, créant ainsi ses propres gouts…Conséquence; la pensée collective s’estompe petit à petit, et les choix stratégiques pour la pérennité du groupe disparaissent, souligne-t-il.

Ces choix qu’on effectue pour se distinguer ou encore pour avoir les codes permettant d’appartenir à un groupe social, nous définissent. Le fait aussi que différents centres d’intérêts se présentent à nous, facilite de se trouver en retrait, mais tout en étant convaincu de ses choix, car on privilégie son propre bien-être, explique Pr.Rouis.

« Deux membres de familles ont désormais accès chacun à son écran individuel, dans le même salon. Avec les smartphones ou les télévisions. Ainsi, nous pouvons parfois partager  le même espace sans pour autant échanger, car absorbé par nos centres d’intérêt différents. Les adolescents aussi, en sont les victimes. Ils s’isolent de plus en plus, car transportés dans les chimères du monde virtuel, ils vivent dans un retrait social, collés quotidiennement à leurs engins…Leurs conversations y sont désormais plus froides, avec l’absence du contact humain réel. Les gens y sont plus hostiles dans leurs réponses, critiques et avis…Ceci alimente largement l’individualisme, le manque d’empathie et la permissivité…».

Par ailleurs, avec l’apparition des notions du développement personnel, qui préconisent essentiellement l’amour de soi, pour plus de sérénité, rendement personnel/ professionnel et compétitivité…Plusieurs personnes, jugent que cette volonté de réalisation de soi voire d’individualisme, se contredit avec les principes du compromis, invite au conflit et aux confrontations inutiles…

A ce sujet, nous avons fait appel à Amira Ferjani, coach de vie professionnelle, qui nous a expliqué la différence entre égoïsme, individualisme et amour de soi.

Selon elle, en développement personnel, il existe une large différence entre ces trois attitudes.

« L’égoïsme se traduit par l’atteinte à l’intégrité physique et psychique de l’autre. C’est le fait de ne pas prendre en considération ce que l’autre pourra ressentir suite à un acte ou une parole. L’égoïste ne pense aussi qu’à son propre intérêt, confort et satisfaction. Cette personne centrée sur elle-même, n’écoute pas les autres ce qu’ils ont à dire, ce qui compte c’est son point de vue. L’individualisme en revanche, n’est qu’un état d’esprit qui permet d’avancer d’une manière plutôt solitaire, sollicitant ainsi, peu d’aide et d’intervention de l’autre », précise-t-elle.

Il s’agit bien d’une expression de l’amour de soi, qui se contredit avec l’égoïsme. Le fait de croire en ses capacités, indépendamment du groupe, ne doit pas être confondu avec le manque d’empathie « .

 D’après le coach Amira Ferjani, savoir dire non, pour une demande au-dessus de nos capacités, le fait de ne pas avoir peur d’exprimer son refus, ses besoins, et ses exigences, ne doivent pas nous faire peur. Ce qui nous bloque c’est la peur d’être rejeté, d’être « incompris ».

En effet, le problème réside dans la réaction de l’entourage, qui pourra considérer une attitude différente, comme une quête de conflit, une perturbation voire une menace de tout un système, mis en place rigoureusement par un individu ou un groupe…L’individualisme, devient ainsi un danger pour certains.

 « Pourtant, le fait d’occuper la place centrale dans sa vie, permet de trouver la paix intérieure. ça permet aussi de créer des liens  plus sains avec l’autre, en étant plus transparent. Contrairement, aux compromis qui alimentent les sentiments d’injustice, de ressentiment et de renoncement. Sans oublier que c’est le droit de chacun, de voir les choses autrement, d’avoir des besoins différents ou de vouloir changer un ordre préétabli, qui ne correspond pas à son rythme, ses aspirations, et son bien-être », a-t-elle conclu.

Emna Bhira