L’inceste et ses répercussions à l’âge adulte en débat à Tunis

15-03-2021

L’inceste, un des grands tabous de l’humanité, qui dérange, choque et perturbe ses victimes ainsi que leur entourage.  La militante féministe et professeure de droit, Monia Ben Jemia, a choisi de lever le voile sur ce crime contre l’enfance dans son ouvrage  « Les siestes du grand-père », racontant le vécu de « Nedra », victime d’inceste. 

Il s’agit d’un récit inspiré de faits réels, subies par cette femme durant l’enfance, ayant choisi de libérer sa parole, à travers ce livre. L’ouvrage a été au centre d’une conférence-débat organisée vendredi dernier par le fonds des Nations-Unies pour la population (FNUAP ), sous le thème « L’inceste : les répercussions de l’enfance à l’âge adulte ».

Quels effets sur les victimes et leur entourage

La psychiatre Anissa Bouasker, qui travaille en collaboration avec l’Institut « Nebrass contre la violence et la torture », s’est basée sur le le « vécu de Nedra » personnage principal de de l’ouvrage « Les sieste du grand-père », pour s’attarder sur les effets cliniques de l’inceste sur la santé mentale et physique des victimes d’inceste.

« Les effets racontés par l’auteure sont classés dans la catégorie traumatismes complexes en psychiatrie. Les personnes ayant subi un attouchement sexuel de la part d’un membre de la famille, vivent souvent une dissociation sociale. Elles ont le sentiment que leur corps ne leur appartiennent plus. Une fois adulte, ces enfants plongent dans le désespoir à cause de la persistance de la culpabilité et du dégout de soi. Ils commencent alors à s’automutiler, à avoir  des troubles de la personnalité borderline qui apparaissent à l’âge adulte, avec de multiples conduites suicidaires, addictions, dépressions régulières…Certains s’adonnent même à la prostitution et deviennent des proies faciles pour les prédateurs sexuels », souligne le psychiatre.

Concernant les effets sur la santé mentale, Dr.Anissa Bouasker a évoqué l’état d’amnésie, étant un syndrome inhérent aux cas de viol et d’inceste.

 « Le cerveau utilise ce mécanisme comme auto-défense pour cacher les souvenirs pénibles. Malgré cela, les flash-backs liés au stress-post traumatique s’imposent dans la conscience de la victime, de leur fort impact résidu au fin fond de sa mémoire. Par conséquent, la personne devient irritable, sursaute au moindre bruit et sa peur est désormais permanente… ».

« Quant à la vie de la personne, elle ressemblerait plus à une traversée quotidienne dans champ de mines. »

«  Dès que la victime perçoit un objet, un espace, ou un signe lié au contexte du viol, son état psychologique peut dégénérer. La mémoire traumatique est chaotique, ses souvenirs deviennent incohérents. Une fois, elles racontent les faits à leur entourage, elles sont discréditées. Dans ces moments où elles se confient, le déni de la mère leur est fatal, voire le pire. La victime se sent trahie, seule, et dans l’insécurité ».

La psychiatre a aussi précisé que la thérapie et les médicaments, sont les seuls remèdes contre les répercussions psychologiques l’inceste. « Contrairement aux préjugés sur les anxiolytiques qui disent que ces médicaments anesthésient le patient… Ces traitements sont  fortement recommandés dans les cas d’agressions sexuelles, car ils restituent la sérotonine, l’hormone du bonheur. Quant à la charge émotionnelle entrainée par cette épreuve et la perception négative sur la vie, elles s’estompent petit à petit avec la thérapie psychiatrique ».

Des poursuites judiciaires défaillantes

Lors d’un entretien accordé à Gnetnews, Monia Ben Jemia s’est confié non seulement en tant qu’auteur du livre, mais aussi en tant qu’ancienne écoutante au centre d’orientation des femmes victimes de violence à l’association tunisienne des femmes démocrates (ATFD).

« Nous avons accompagné plusieurs mères dont les enfants ont été victimes d’inceste. Malheureusement, ces affaires aboutissent souvent à un acquittement », déplore l’auteure.

« Durant la procédure judiciaire, le juge écoute l’enfant qui finit par se rétracter, après de longues interrogations qui le fatiguent. Avec son hésitation et la peur qui le paralyse, les adultes ne le croient plus. Il se sent désormais découragé et abandonne l’affaire. L’auteure nous a dévoilés également la démarche judiciaire qui inclut une confrontation directe avec l’incesteur.

 « Nous avons eu des cas où l’enfant  a été confronté à son père, les yeux dans les yeux, ces petits renoncent et se réfugient dans le silence. Une fois adultes, la donne peut changer, et la personne serait capable d’affronter ces situations souvent pénibles à subir », explique-t-elle.

Par ailleurs, la militante féministe a indiqué que pour  « rendre justice aux victimes ; les délais de prescription qui durent dix ans seulement, doivent être prolongés. La loi doit accorder plus de temps à ces personnes ayant ce lourd passé, pour qu’elles puissent libérer leurs paroles et poursuivre en justice leurs agresseurs, à tout moment, une fois elles se sentiront prêtes à évoquer le sujet », signale-t-elle.

L’éducation sexuelle pour prévenir l’inceste

« Il faut s’armer par l’éducation sexuelle contre les agressions sexuelles, notamment dans les milieux scolaires, et l’environnement familial Â», recommande la cheffe du FNUAP, Rym Fayala, qui a déclaré que tout un programme régional est en cours d’élaboration à ce sujet, en collaboration avec le ministère de la femme, la famille et des personnes âgées.

« En attendant, nous appelons les mères de famille à être plus vigilantes, et à ne jamais minimiser les faits et d’en parler avec leurs enfants. Elles doivent dépasser la peur des préjugés, les accusations et le rejet de la famille et de la société. Grâce à l’éducation sexuelle, elles pourront au moins prévenir l’inceste, ou repérer l’agresseur à travers des signes flagrants, comme la préférence exagérée d’un enfant pour l’amadouer. D’autres adultes séduisent leurs proies par l’argent, et les gâteries. Le plus important, c’est que les parents doivent s’interroger lorsque l’enfant se replie sur lui-même, ou éprouve des troubles psychologiques et des relations conflictuelles avec un proche, sachant que ces symptômes resurgissent plutôt  à l’âge adulte », dévoile Dr. Ahlem Belhaj, pédopsychiatre à l’hopital Mongi Slim, et secrétaire générale du Syndicat des médecins, pharmaciens et dentistes hospitalo-universitaires.

Rappelons qu’aucune statistique n’existe concernant le nombre des cas d’inceste en Tunisie. Même les délégués régionaux de l’enfance n’ont pas assez d’informations malgré la prévalence de l’inceste dans les cas d’agressions sexuelles. C’est ce qu’a annoncé le ministre de la femme, Imen Houimel.

«En revanche, le département est en train de faire un suivi en collaboration avec le ministère de l’éducation, dans les milieux scolaires pour repérer les cas d’attouchements dans les écoles. Le ministère propose aussi des dédommagements aux victimes de toute forme d’agression sexuelle, et un accompagnement psychologique.

Emna Bhira