La Marsa: Le Palais Ahmed Bey et Kobbet Lahwa, un patrimoine en péril (Reportage)

31-03-2021

La Tunisie regorge d’un patrimoine architectural incroyable… En effet, le pays a été marqué par plusieurs périodes historiques qui ont laissé une emprunte indélébile sur le paysage urbain.

Pour ce premier reportage sur l’histoire architecturale de la ville de Tunis, nous nous sommes intéressés aux palais beylicaux situés à la Marsa… Si après l’indépendance, nombre de ces bâtisses ont disparus, il en reste encore quelques vestiges plus ou moins en état.

Pour nous éclairer, Gnetnews a fait appel à Beya Abidi, historienne et spécialiste en architecture islamique et Mr Kadhem Baccar, militant de la société civile pour la sauvegarde du patrimoine de La Marsa.

Nous nous sommes intéressés à deux sites incontournable de la ville: Le palais Ahmed Bey et Kobbet Lahwa.

Dar Ahmed Bey

Quand on passe devant, difficile de croire que cette bâtisse fut un des plus grands bijoux architectural de l’ère beylical en Tunisie. En effet, le Palais Ahmed Bey semble aujourd’hui à l’abandon… Beya Abidi, historienne, professeur universitaire à l’Institut Supérieur de l’Histoire de la Tunisie contemporaine à la Manouba et experte en architecture et art islamique. Elle nous retrace l’histoire de ce Palais.

« A l’emplacement de l’actuel « Palais Ahmed Bey » fut construite la petite Abdalliya, le troisième palais de l’ensemble d’El-Abdillyet, édifié par le sultan hafside Abu Abdallah Mohamed vers 1500, Ce palais a été reconstruit successivement par Hussein Ben Ali (1705-1735) et par son fils Ali Bey (1759-1782).  Mahmoud Bey (1814-1824) a résidé dans ce palais qui a pris le nom du « Palais du Saf-Saf « . Et c’est Ahmed Ier Bey ( 1835 – 1855) qui a vendu ce palais a son oncle maternel le Comte Raffo en 1847. Ce dernier en y résidant, l’a embelli dans un style italianisant avec des influences arabes. Aussi le  » Palais de Raffo » à La Marsa recevait la visite de tous les voyageurs étrangers de l’époque attirés par la renommée de ses jardins

Après la mort du Comte , le Palais est revenu au domaine public beylical Puis en 1865, Sadok Bey octroi la propriété du Palais à Ali II Bey à l’occasion de son accession au rang de « Bey Amhal » ( successeur présomptif du trône). Quant à Ahmed Bey , il est devenu propriétaire du Palais en l’achetant auprès de Mohamed Hédi Bey, en tant qu’aîné de la famille husseinite et ce avant de procéder au partage de l’héritage de Ali II Bey ».

Erigé à l’époque sur 14 hectares, aujourd’hui il n’en reste plus grand chose. Les façades sont décrépies voire en ruines, les fenêtre cassées et les alentours complètement défigurés. En effet, une partie de ce domaine a été investie par l’Etat avec la construction d’une cité administrative. La salle du trône, elle, s’est transformée en parking servant à la fourrière municipale… « A l’époque,  une grand escalier permettait de relier la maison à la salle du trône », nous dit Beya Abidi.

  

« Les héritiers de Ahmed Bey, n’ont pas pu entretenir ce bâtiment et ont été contraints de le mettre en vente », nous explique Kadhem Baccar, marsois et militant pour la sauvegarde du patrimoine de La Marsa. Ainsi, au début des années 2000, les héritiers ont vendu l’édifice à la société propriétéire du centre commercial « Le Palmarium », dans le but de le raser et de créer un nouveau centre commercial. « Grâce à la mobilisation de la société civile, l’Institut National du Patrimoine a décidé de classé le monument en 2006. « Ce classement ne permet plus au propriétaire de toucher à la bâtisse et est dans l’obligation de le reconstituer à l’identique », indique Mr Baccar.

Les ambitions d’un centre commercial étant anéanties, la société a procédé à la vente du Palais, lequel a été racheté par un homme d’affaire originaire de La Marsa. D’après Kadhem Baccar, ce dernier, qui souhaite rester dans l’anonymat, lui a donné la permission d’annoncer la restauration de l’édifice pour en faire une maison d’hôte. Ce projet permettra au Palais Ahmed Bey de retrouver sa beauté d’antan.

Kobbet Lahwa

La plupart des cartes postales de La Marsa montrent un autre bâtiment tout aussi emblématique: la fameuse Kobbet Lahwa. Cette dernière marque au fer rouge la caractéristique balnéaire de La Marsa. « Construite par Ali III Bey, à même la mer sur des pilotis, elle constitue un des plus important édifice balnéaire construit sous la dynastie des husseinites », indique Beya Abidi.

D’après l’historienne elle était visible depuis le Palais Ahmed Bey et Ksar El Tej, avant que les constructions contemporaines viennent envahir l’espace urbain.

« A l’époque, un accès direct depuis le Palais permettait à la famille princière de pouvoir se baigner en toute discrétion », précise Mme Abidi. « Kobbet Lahwa était entouré d’autres maisons de plages qui servaient aux autres membres de la famille. Elles ont été détruites après l’indépendance », ajoute-t-elle.

Après la mort de Ahmed Bey, Kobbet Lahwa a revenue à la propriété de la municipalité de La Marsa après l’indépendance de la Tunisie. Elle est devenue par la suite un des restaurants les plus côtés de la capitale.

Aujourd’hui en ruine et appartenant à des propriétaire privés, son architecture a subi de nombreuses modifications qui ont complètement changé son aspect d’origine. Si la « Kobba » est toujours visible, un étage a été ajouté et le ponton menant à l’accès a été recouvert.

« En 2005, un décret a révisé les limites du domaine public maritime. Ainsi, Kobbet Lahwa a été intégrée au DPM menant au transfert inévitable de la propriété au profit de l’Etat », nous explique Kadhem Baccar.

Les propriétaires ont intenté une action en justice. Des experts ont été mandaté afin d’établir un rapport qui a été transmis au tribunal, lequel doit encore se prononcer…

En attendant, le bâtiment ne cesse de se détériorer d’année en en années mettant à mal les pilotis qui le tiennent encore…

Retrouvez dans la vidéo ci-dessus notre reportage consacré au Palais Ahmed Bey et Kobbet Lahwa.

Wissal Ayadi