Les PME tunisiennes face à leurs défis économiques : Une analyse approfondie du baromètre Miqyes 2024

18-02-2025

La 7ème édition du Forum Miqyes vient de dévoiler une photographie contrastée des PME tunisiennes. Conçue par la CONECT en collaboration avec le PNUD, cette étude n’est pas qu’un indicateur statistique : c’est une véritable boussole destinée à guider l’action publique et privée dans un contexte économique en pleine mutation. Au-delà des chiffres, le baromètre révèle des dynamiques structurelles et des tensions sous-jacentes qui méritent une analyse approfondie.

Une transformation urgente dans un paysage en mutation

Selon Arslan Ben Rejeb, président de la CONECT, l’urgence de transformer l’économie tunisienne est plus que jamais d’actualité. Face à des modèles économiques en constante évolution et à l’émergence d’innovations disruptives, rester dans l’attente n’est plus une option. Le baromètre Miqyes, initié en 2017, s’est ainsi imposé comme un outil stratégique pour identifier les leviers de transformation et orienter les décisions. Toutefois, cette nécessité de changement se heurte à des défis structurels, notamment dans les domaines de l’accès au financement, de la valorisation des ressources humaines et de l’accès aux marchés.

L’accès au financement : une problématique structurelle

Les résultats de l’étude soulignent que 80 % des PME considèrent l’accès aux financements comme un obstacle majeur. Un constat préoccupant quand on sait que près de la moitié des entreprises (48,6 %) n’ont même pas déposé de demande de financement. Ce phénomène d’auto-exclusion, nourri par un historique de refus et par des critères bancaires jugés trop restrictifs, traduit une défiance institutionnelle. Alors que 63 % des demandes déposées sont acceptées, le faible taux de sollicitation révèle que nombre de PME anticipent le rejet et préfèrent se tourner vers des solutions alternatives, telles que le leasing (préféré par 55 % des entreprises interrogées). Cette situation met en exergue un cercle vicieux où l’accès limité au financement freine la croissance, ce qui, à son tour, renforce le profil de risque perçu par les institutions financières.

La relation entre le chiffre d’affaires, la taille et l’âge de la PME et l’obtention de crédits indique quant à elle que seuls certains critères traditionnels sont valorisés par les banques. Or, dans un environnement économique où l’innovation et l’agilité sont de plus en plus déterminantes, la rigidité de ces critères semble inadaptée. La valorisation d’un modèle financier plus inclusif et la révision des politiques de crédit apparaissent indispensables pour libérer le potentiel des PME tunisiennes.

Des stratégies de marché inégales et des partenariats à repenser

L’analyse de Abdelkader Boudriga, économiste, apporte un éclairage supplémentaire sur la performance des PME. Si 64 % des entreprises affichent des bénéfices – une progression de 5 % – il subsiste une disparité marquée entre celles qui parviennent à se développer et celles qui enregistrent une récession (31 %). Notamment, les PME dirigées par des femmes et celles orientées vers l’export montrent des résultats supérieurs, mettant en avant le rôle essentiel de l’innovation managériale et de l’ouverture sur les marchés internationaux.

Paradoxalement, l’accès aux marchés semble se durcir, surtout sur le segment public où seulement 23 % des entreprises se lancent, et parmi elles, un maigre 10 % remportent les contrats. Dans un contexte où les entreprises, contraintes par la crise économique, ne peuvent se permettre de refuser des opportunités, l’absence de partenariats stratégiques – la plupart se limitant à de la sous-traitance – pose question. La création de clusters sectoriels et de synergies entre acteurs régionaux pourrait constituer une réponse efficace pour mutualiser les ressources et renforcer la compétitivité, en particulier pour les PME de petite taille et celles des régions intérieures.

La modernisation des paiements, un levier pour la confiance économique

La réforme récente des chèques, entrée en vigueur le 2 février 2025 via la loi n°2024-41, illustre une tentative de modernisation des outils de paiement en Tunisie. La transformation du système – intégrant des carnets de chèques avec date d’expiration, plafonds de montants et QR codes informatifs – s’inscrit dans une démarche de transparence et de sécurisation des transactions. La mise en place de la plateforme TuniChèque, qui permet de valider et de réserver le montant d’un chèque en temps réel, représente une avancée notable pour réguler les paiements différés, utilisés par 78 % des PME lors de ventes à crédit.

Cependant, malgré ces innovations, la prédominance du chèque dans les transactions intra-entreprises (notamment dans 80 % des cas) révèle une persistance d’un mode de fonctionnement traditionnel. L’intégration de ces nouvelles mesures devra ainsi s’accompagner d’un changement de mentalité dans la gestion financière des entreprises, pour que la modernisation des paiements devienne un levier de confiance plutôt qu’un simple dispositif technique.

Vers une économie plus résiliente et inclusive

Le baromètre Miqyes 2024 met en exergue des défis majeurs, mais également des pistes pour une transformation structurelle. La complexité de l’administration, une fiscalité lourde et un déficit de compétences freinent le climat des affaires, renforçant la nécessité d’un accompagnement personnalisé pour les PME à fort potentiel. La digitalisation, le renforcement des partenariats stratégiques et la révision des mécanismes de financement doivent être au cœur des politiques publiques et privées pour stimuler une croissance inclusive.

En définitive, si les chiffres témoignent d’une résilience certaine – avec des indicateurs positifs dans certains secteurs et une performance notable des entreprises exportatrices – ils révèlent également un besoin urgent de repenser les modèles traditionnels. Pour la Tunisie, l’enjeu est de transformer ces constats en actions concrètes, afin de libérer le potentiel des PME et d’instaurer un environnement économique plus dynamique et équitable.

Le baromètre Miqyes 2024 ne se contente pas de dresser un état des lieux : il appelle à une transformation en profondeur. Dans un contexte où l’innovation, l’accès aux financements et la modernisation des outils de paiement se posent en piliers de la compétitivité, la Tunisie doit saisir l’opportunité de repenser ses mécanismes traditionnels pour favoriser une économie plus résiliente et inclusive.

Wissal Ayadi