La Tunisie face au défi de l’antibiorésistance : Sensibiliser pour mieux protéger

09-12-2024

Chaque année, la Tunisie prend part à la Semaine mondiale de sensibilisation pour un bon usage des antimicrobiens.Cet événement vise à alerter sur les dangers d’une consommation excessive d’antibiotiques et à promouvoir une utilisation rationnelle de ces médicaments. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la résistance aux antibiotiques constitue l’une des menaces les plus graves pesant sur la santé mondiale, affectant aussi bien les humains que les animaux.

Le ministère tunisien de la Santé a récemment souligné que les antibiotiques, autrefois considérés comme une révolution médicale ayant sauvé des millions de vies, sont aujourd’hui menacés par une consommation excessive et souvent inappropriée, compromettant leur efficacité dans le traitement des infections.

L’antibiorésistance survient lorsque les bactéries développent des mécanismes qui les rendent insensibles aux antibiotiques. Ces bactéries résistantes peuvent se transmettre entre individus ou via l’environnement, aggravant ainsi le problème. Selon l’OMS, d’ici 2050, l’antibiorésistance pourrait entraîner jusqu’à 10 millions de décès par an à travers le monde.

En Tunisie, la consommation d’antibiotiques est alarmante. Les chiffres montrent qu’elle est le 2e plus grand pays consommateur d’antibiotiques dans le monde. La consommation est deux fois plus élevée qu’en France, un pays pourtant classé parmi les plus grands consommateurs d’antibiotiques en Europe, et 4,5 fois supérieure à celle des Pays-Bas. Cette situation s’explique par plusieurs facteurs. D’une part, l’automédication est une pratique répandue, souvent motivée par des difficultés d’accès aux soins et des considérations financières. D’autre part, les patients exercent fréquemment une pression sur les médecins et les pharmaciens pour obtenir des prescriptions ou des antibiotiques sans ordonnance. À cela s’ajoute l’usage intensif des antibiotiques dans l’agriculture et l’élevage, où ils sont utilisés pour prévenir les infections et stimuler la croissance des animaux.

Sallem Ghrairi, pharmacien à Enfidha, témoigne de cette réalité quotidienne : « Les citoyens viennent souvent en pharmacie pour demander un antibiotique spécifique, basé sur une ancienne prescription ou sur l’expérience d’un proche. C’est une pratique dangereuse, car une récidive ne nécessite pas forcément le même traitement. En tant que professionnel de santé, je m’efforce de respecter la réglementation qui exige une ordonnance, mais cela nécessite un effort collectif et un soutien accru des autorités sanitaires. »

Pour faire face à ce fléau, plusieurs solutions ont été proposées. A cet égard, Sallem Ghrairi nous explique que l’une des plus prometteuses est l’introduction des Tests de Diagnostic Rapide (TDR), déjà utilisés en France. « Ces tests, réalisés en pharmacie, permettent de distinguer les infections bactériennes des infections virales, limitant ainsi les prescriptions inutiles d’antibiotiques. Outre cette innovation, il est essentiel de renforcer les campagnes de sensibilisation auprès des citoyens et des professionnels de santé, en insistant sur l’importance de respecter les doses et la durée des traitements prescrits », affirme-t-il.

Cependant, la Tunisie n’est pas restée passive face à cette menace. Depuis mai 2016, elle a intégré le Réseau international de surveillance de l’antibiorésistance (GLASS) et a élaboré un plan d’action national pour la période 2019-2023. Ce plan repose sur quatre axes : l’éducation et la sensibilisation, la surveillance et la recherche sur l’antibiorésistance, la prévention des infections associées aux soins, et l’optimisation de la consommation des antibiotiques. Cependant, comme le souligne Sallem Ghrairi, ces initiatives doivent être menées de manière continue et soutenue. « Une campagne ponctuelle ne suffit pas. Il faut un travail quotidien pour sensibiliser les citoyens, former les professionnels de santé et améliorer la qualité des établissements de soins pour prévenir les maladies nosocomiales. »

Par ailleurs, l’antibiorésistance pose un défi à la recherche médicale. « Depuis deux décennies, peu de nouveaux antibiotiques ont été développés, et les molécules récemment découvertes sont strictement réservées à un usage hospitalier pour éviter qu’elles ne subissent le même sort que les traitements courants », nous confie Sallem Ghrairi.

Enfin, des alternatives naturelles, telles que les huiles essentielles, commencent à attirer l’attention. « Dans certains hôpitaux européens, elles sont déjà intégrées dans les services d’infectiologie, où elles offrent des résultats prometteurs tout en évitant le risque de résistance », explique le pharmacien.

L’urgence est claire : rationaliser l’usage des antibiotiques est indispensable pour éviter une impasse thérapeutique où les infections les plus courantes deviendraient impossibles à traiter. Une mobilisation collective, associant citoyens, professionnels de santé et autorités, est nécessaire pour relever ce défi et préserver l’efficacité des antibiotiques pour les générations futures.

Wissal Ayadi