Tout savoir sur le passeport et carte d’identité biométriques, bientôt adoptés en Tunisie !

16-02-2024
Passeport et carte d'identité biométriques

Dans un monde en constante évolution technologique, les documents d’identité tels que les passeports et les cartes d’identité ont également subi une transformation majeure. L’intégration de la biométrie dans ces pièces a marqué une avancée significative en matière de sécurité et d’authentification.

La Tunisie accuse un retard important comparé à plusieurs pays arabes et africains qui disposent déjà de ce type de documents dont le Maroc (2020) et l’Algérie (2015). Dans les tiroirs des différents gouvernements qui se sont succédé depuis 2017, les projets de loi relatifs à la carte d’identité et au passeport biométriques refont finalement  surface et sont actuellement en cours d’examen au Parlement, avec la succession des auditions et des séances en commissions qui leur sont consacrées, pour une entrée en vigueur que l’on espère au cours de cette année.

La révolution biométrique : Qu’est-ce que c’est ?

La biométrie, en termes simples, utilise des caractéristiques physiques ou comportementales uniques d’une personne pour établir son identité. Dans le contexte des documents d’identité, les données biométriques incluent souvent les empreintes digitales, les scans de l’iris, et les photos du visage. Ces informations sont stockées de manière sécurisée dans une puce électronique incorporée dans le passeport ou la carte d’identité.

C’est au début des années 2000, que les systèmes de biométrie commencent à être utilisés dans les domaines de la sécurité aéroportuaire, des services financiers et des systèmes informatiques.

Les premiers papiers d’identité biométrique ont été émis dans plusieurs pays à cette époque. La Malaisie a été parmi les pionniers, lançant en 1999 son projet de carte d’identité biométrique (MyKad) intégrant des données comme les empreintes digitales. Hong Kong a suivi en 2003 avec des cartes d’identité biométriques visant à renforcer la sécurité et à contrer la fraude. Les États-Unis ont introduit des passeports biométriques en 2007, suivis par le Royaume-Uni en 2006 et l’Allemagne en 2005. Singapour, le Canada, et d’autres pays ont également adopté la biométrie dans leurs documents d’identité au fil des années. Ces avancées visaient à renforcer la sécurité aux frontières en intégrant des données biométriques telles que des photos faciales et des empreintes digitales, contribuant ainsi à la prévention de la fraude et à l’amélioration de l’authentification des individus.

Aujourd’hui, la biométrie est largement utilisée dans divers domaines, notamment les contrôles aux frontières, les dispositifs de verrouillage biométrique, les smartphones, et même dans les cartes d’identité et les passeports. Des technologies comme la reconnaissance de l’iris, la biométrie veineuse, et la reconnaissance des empreintes digitales continuent de se développer et de s’améliorer.

Le biométrique en Tunisie : Où en est-on ?

La Tunisie accuse un retard important dans ce domaine. Akram Allani, expert en cybersécurité explique: « L’Algérie et le Maroc ainsi que beaucoup d’autres pays Africains ont déjà franchi le cap… Aujourd’hui la biométrie n’est plus un choix mais une obligation. Dans quelques années, les documents dits standards ne pourront plus interagir avec des systèmes fournissant les technologies biométriques qui permettent une meilleure fiabilité dans les données. Dans les aéroports par exemple, lors des passages frontaliers, on s’appuie de plus en plus sur le facteur technologique couplé au facteur humain », nous dit-il.

En effet, il y a quelques mois, des inquiétudes circulaient quant à la possibilité que les Tunisiens soient empêchés de voyager à partir de 2024 en raison de la décision de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) de ne plus accepter les passeports ordinaires.

Hala Jaballah, présidente de la Commission des droits et des libertés à l’Assemblée des représentants du peuple, a ainsi clarifié la situation récemment, concernant le projet de la carte d’identité et du passeport biométriques.

Elle a  tout d’abord confirmé, que les Tunisiens peuvent toujours voyager avec leur passeport classique, apaisant ainsi les préoccupations. Elle a précisé que le passeport biométrique ne sera obligatoire que lorsque la Tunisie mettra en œuvre le système d’identification biométrique et adoptera les documents d’identité biométriques.

Dans ce contexte, Hala Jaballah a souligné que, les projets de loi relatifs à la carte d’identité et au passeport biométriques sont actuellement en cours d’examen pour une mise en vigueur au cours de cette année, ajoutant que la commission parlementaire chargée de ce dossier doit d’abord réaliser une série d’auditions.

Selon Jaballah, le texte stipule que la carte biométrique deviendra obligatoire à partir de l’âge de 15 ans, avec une possibilité d’obtention sous autorisation parentale dès l’âge de 12 ans. Cette carte sera équipée d’une puce qui enregistrera diverses informations telles que le prénom, le nom de famille, le nom du père, le nom de la mère, la date de naissance, le sexe, ainsi qu’une photo et une empreinte.

Cependant, il est important de noter que le projet de loi exclut la mention de la profession sur cette nouvelle carte biométrique.

Dans ce cadre, la commission parlementaire a récemment auditionné le ministre de l’Intérieur, Kamel Fekih ainsi que le ministre des Technologies de la Communication, Nizar Ben Neji. Ce dernier a abordé divers aspects liés à la sécurité des données personnelles, au cryptage des données, et à l’organisation de l’accès pour les personnes autorisées par la loi. Il a également rappelé qu’aucun coût supplémentaire ne sera engagé pour le retrait des documents biométriques.

La commission prévoit également d’auditionner les représentants de l’Instance nationale de protection des données personnelles (INPDP), acteur essentiel de ce dossier, pour discuter de la sécurité des données intégrées aux puces électroniques.

Les caractéristiques des documents biométriques

Les empreintes digitales sont parmi les caractéristiques biométriques les plus couramment utilisées. Elles offrent une méthode fiable d’identification basée sur les motifs uniques présents sur les doigts.

La technologie des scans de l’iris analyse les motifs complexes de l’iris, la partie colorée de l’œil, pour établir une identité avec une grande précision.

Les photos du visage capturent les caractéristiques faciales uniques et sont souvent utilisées pour la reconnaissance faciale.

Toutes ces informations sont stockés dans une puce, placée sur la CIN ou dans le passeport via un filigrane.

Avantages des documents d’identité biométrique

Les documents d’identité biométriques présentent plusieurs avantages considérables, contribuant à renforcer la sécurité et l’efficacité des systèmes d’identification. Tout d’abord, la biométrie, qu’elle soit basée sur les empreintes digitales, la reconnaissance faciale, ou d’autres caractéristiques uniques, offre une méthode fiable et inaltérable d’authentification individuelle. Akrem Allani, explique que si le risque zéro n’existe pas, ces systèmes réduisent  tout de même significativement les risques de fraude et d’usurpation d’identité, améliorant ainsi la confiance dans les transactions financières, les services gouvernementaux et les contrôles aux frontières.

« De plus, les documents biométriques, tels que les passeports, garantissent une identification rapide et précise, accélérant les processus aux points de contrôle », nous dit-il.

En outre, la technologie biométrique offre une solution durable, car elle permet une mise à jour plus facile des informations et une gestion sécurisée des bases de données. Une démarche qui pourrait accélérer les renouvellements des pièces d’identité, processus souvent critiqué par les Tunisiens pour leur lenteur et leur lourdeur administrative.

Par ailleurs, Allani indique que la CIN biométrique pourrait même faire office de « portefeuille », regroupant plusieurs services à la fois.  » La CIN biométrique peut permettre de réunir en un seul document des données officielles qui sont redondantes dans plusieurs documents. On peut par exemple imaginer que la CIN biométrique peut inclure le permis de conduire ».

En plus du regroupement, ces données seront conservées dans un système fiable, minimisant encore une fois les risques de fraude ou de falsification de document.

Protection des données : Le biométrique est-il vraiment fiable ?

L’utilisation des données biométriques soulève pour autant certaines préoccupations en Tunisie concernant notamment la protection de la vie privée et la possibilité d’une utilisation abusive.

A cet égard, Chawki Gaddes, l’ancien président de l’Instance Nationale de Protection des Données Personnelles (INPDP), a émis des réserves concernant le projet de la carte d’identité biométrique.

Bien qu’il ait souligné le soutien de l’INPDP à cette initiative en tant que moyen essentiel pour développer l’administration électronique, il a également mis en garde contre certaines lacunes du projet actuel. En particulier, le stockage d’une copie de la carte d’identité biométrique dans le système d’information suscite des préoccupations. Chawki Gaddes a mis en avant le risque potentiel de vol de données personnelles à l’étranger en raison de l’existence d’un système d’information unifié, ce qui pourrait compromettre la souveraineté nationale.

C’est également le cas de nombreux citoyens qui par des post publiés sur les réseaux sociaux indiquent qu’il s’agit d’une manière pour le gouvernement de pister les citoyens. « C’est une mentalité que les Tunisiens ont hérité de l’ancien régime. Les gens ont peur que ces données soient utilisées à mauvais escient, comme cela a pu être le cas auparavant. C’est la raison pour laquelle il faut communiquer et expliquer de manière transparente en quoi consistera la CIN biométrique afin de mettre les citoyens en confiance », souligne Allani.

De son côté, Hafsia Ardhaoui, la nouvelle présidente de l’Instance nationale de protection des données personnelles (INPDP), a récemment annoncé l’approbation du projet de la carte d’identité biométrique et du passeport biométrique.

Ardhaoui a expliqué que l’INPDP avait émis certaines réserves concernant ces nouvelles pièces d’identité, dont la principale était la lecture des puces à distance. Elle a souligné l’importance de garantir le droit des citoyens à la liberté de disposer de leurs données et de se déplacer sans être constamment surveillés. Elle a expliqué qu’après un travail réalisé avec les autorités compétentes, en vue du projet de loi, il a été convenu avec le ministère de l’Intérieur que bien que le contact ne soit pas nécessaire, une distance maximale de quelques centimètres serait établie pour scanner les documents.

En ce qui concerne l’existence d’une base de données, elle a mentionné que l’INPDP avait suggéré de suivre le modèle allemand qui n’inclut pas de base de données. Cependant, le ministère de l’Intérieur a rejeté cette option pour des raisons de sécurité, proposant un cadre strictement contrôlé pour la gestion de la base de données et limitant l’accès à des parties spécifiques et nécessitant une autorisation judiciaire. La présidente de l’INPDP a exprimé son accord avec cette approche.

Concernant le risque de piratage, malgré les avancées technologiques, la présidente de l’INPDP a indiqué que le ministère de l’Intérieur serait tenu responsable sur le plan pénal en cas de problème.

« D’un point de vue sécurité, la biométrie embarque nativement des mécanismes de contrôle d’accès. La CIN biométrique de demain pourrait par exemple comporter des données médicales sur la personne. Ainsi, seules les autorités compétentes, en l’occurrence les services de santé, pourront avoir accès à ces données de manière fiable et rapide », affirme Allani.

À mesure que la technologie évolue, l’identité biométrique continuera d’occuper une place centrale dans la sécurité des documents d’identité. Des avancées telles que la reconnaissance faciale en temps réel et l’utilisation de l’intelligence artificielle pourraient façonner l’avenir de ces dispositifs. Ainsi, pour la Tunisie le biométrique s’impose donc comme une obligation et non plus un choix si elle veut être au diapason des normes internationales.

Wissal Ayadi