Compléments alimentaires : Les Tunisiens en sont accros, mise en garde d’un médecin nutritionniste !

12-05-2023

Fatigue, stress, performances physiques, carences… Ils sont de plus en plus nombreux dans le monde à avoir recours aux compléments alimentaires. Disponibles en libre-service dans les pharmacies, magasins d’aliments naturels ou encore supermarchés, sous forme de gélules, poudres, sirop… la tendance est mondiale et dans ce domaine et la Tunisie n’est pas en reste.

Depuis 2010, le commerce de compléments alimentaires est en pleine expansion boosté par une morosité ambiante qui influe sur la santé des Tunisiens.

Pour connaître le vrai du faux de ces compléments alimentaires, nous nous sommes entretenus avec des consommateurs mais aussi avec le Dr Ridha Mokni, médecin nutritionniste.

Compléments alimentaires: C’est quoi ?

Un complément alimentaire est un produit destiné à compléter le régime alimentaire normal d’une personne en apportant des nutriments ou des substances qui peuvent être manquantes ou insuffisantes dans son alimentation. Les compléments alimentaires peuvent être sous forme de pilules, de gélules, de poudres, de liquides ou d’autres formes.

Les compléments alimentaires peuvent contenir des vitamines, des minéraux, des acides aminés, des acides gras essentiels, des enzymes, des probiotiques, des extraits de plantes, ou d’autres substances telles que les fibres alimentaires. Ils sont souvent utilisés pour fournir des nutriments supplémentaires pour maintenir ou améliorer la santé.

Une industrie en pleine expansion dans le monde

Si les compléments peuvent apparaître comme un remède miracle, cette croyance a permis de faire naître une industrie florissante.

Les données sur l’industrie des vitamines et des compléments en 2021/2022 montrent que la pandémie de Covid-19 a eu un impact positif sur les ventes. Cette augmentation est due au fait que de plus en plus de personnes recherchent des suppléments et des multivitamines pour améliorer leur nutrition, leur immunité et leur bien-être. Ainsi, le marché mondial des compléments alimentaires devrait atteindre une valeur de 185,1 milliards de dollars en 2025.

Dans une récente déclaration à la presse, le directeur de la promotion médicale de la CONECT, Bayrem Fekih,  a indiqué que le marché des compléments alimentaires est d’autant plus développé en Tunisie qu’il est devenu une référence dans toute l’Afrique.

« Depuis 2010, le  secteur des compléments alimentaires a fait un boom et génère 600 millions dinars pour l’Etat tunisien Â»,avait-il alors précisé. A noter que le secteur compte 120 laboratoires en Tunisie fabriquant des compléments générant environ 60 000 emplois directs et indirects.

Pris à outrance, les compléments alimentaires peuvent devenir toxiques

Au niveau de la consommation de compléments alimentaires, la frontière avec le dopage n’est pas si lointaine, nous explique le Dr Ridha Mokni, médecin nutritionniste. « La prise de compléments peut aller jusqu’au dopage et peut entrainer une sorte d’addiction.

Dr Ridha Mokni / Médecin nutritionniste

Dr Mokni n’est pas favorable aux compléments alimentaires, sauf en cas de déficience ou de légères carences qui doivent être établies à travers un bilan sanguins.

« Malheureusement, aujourd’hui la prise de compléments a tellement été démocratisée que l’on en prend en croyant faire du bien à son corps mais c’est le contraire. Un excès d’apport protéique et de certaines vitamines peut causer de lourdes conséquences ».

Les vitamines qu’on appelle hydrosolubles comme les vitamines B et C peuvent êtres prises sans risque car leur surplus sera éliminé par les reins à travers l’urine. A contrario des vitamines dite liposolubles (A, D, E, K), qui sont prises à outrance à long terme deviennent toxiques pour l’organisme.

Quid de l’efficacité de ces produits ?

Les fabricants ne sont pas tenus de prouver leur efficacité au travers d’essais sur l’humain, puisque ces produits sont considérés comme des aliments et non des médicaments. Il ne sont également pas considérés comme des produits dopants.

A cet égard, le Dr Ridha Mokni explique que les compléments alimentaires ont un effet plus psychosomatique sur l’être humain, comme une sorte de placebo.

A partir d’un certain seuil de concentration, les compléments peuvent ne plus avoir d’effet. Le Dr Mokni explique dans ce sens que l’administration de ce genre de produit est donné aux sportifs de haut niveau uniquement dans un but psychologique.

Témoignages

Afin de nous rendre compte de la consommation des Tunisiens de compléments alimentaires, nous nous sommes rendus dans une pharmacie de Tunis. Le propriétaire de la pharmacie nous a confirmé l’engouement important pour ces produits qui s’est notamment accéléré après la pandémie de Covid-19.

« Les gens cherchent des moyens de prendre soin de leur santé et de leur bien-être, et les compléments sont une option pratique pour répondre à leurs besoins sans faire d’efforts particuliers. Ils viennent le plus souvent pour traiter des problèmes spécifiques, comme des carences en vitamines ou des troubles du sommeil. D’autres cherchent simplement à améliorer leur nutrition et leur santé générale. Cependant, je m’assure également de mettre en garde les clients contre les risques potentiels de certains compléments, comme les interactions avec des médicaments ou les effets secondaires indésirables. Il est important que les clients sachent que les compléments alimentaires ne sont pas une solution miracle et qu’ils doivent être utilisés avec précaution et sous surveillance médicale si nécessaire », nous dit-elle.

Maïssa, Imed et Sondos sont ou ont été des adeptes des compléments alimentaires. Ils ont bien voulu nous donner leurs témoignage sur leur consommation qui pour certains était bénéfique et pour d’autres au contraire un vraie déception.

De nombreuses publicités notamment en ligne, promeuvent des solutions miracles pour la perte de poids. C’est le cas de Maïssa, qui après de nombreuses tentatives de régime a décidé de se tourner vers ces produits… Mais le résultat était loin de ses espérances.

« J’ai commencé à prendre des compléments alimentaires pour perdre du poids, mais je n’ai remarqué aucun changement significatif malgré une prise régulière. Puis au bout d’un moment, j’ai commencé à ressentir des effets secondaires désagréables, comme des nausées et des maux de tête et j’ai tout de suite arrêté », déplore-t-elle.

De son côté Imed, est un accro au fitness et aux salles de sport. Afin d’améliorer ses performances en musculation, il a décidé il y a quelques années d’avoir recours aux poudres protéinées et se dit satisfait de leur efficacité.

« Depuis que je prends des poudres je me sens beaucoup plus énergique et en meilleure santé. J’ai remarqué que j’avais plus de force pour faire du sport et que je récupérais plus rapidement après l’effort. Pour autant je fais très attention aux doses. Le seul inconvénient c’est que lorsqu’on arrête, les muscles retombent très rapidement », nous dit Imed.

Pour Sondos, c’est la fatigue, le stress et l’anxiété qui l’ont poussé à consulter. Elle nous explique que c’est sur des forum sur internet qu’elle a pris connaissance des compléments alimentaires comme étant un remède miracle. Sans se méfier elle a commandé une cure de 3 mois pour laquelle elle déboursé pas moins de 240DT.

« J’ai acheté des compléments alimentaires en ligne sans me renseigner sur la qualité et les ingrédients. Après quelques semaines de prise, j’ai commencé à avoir des douleurs d’estomac et j’ai réalisé que les compléments contenaient des ingrédients qui ne me convenaient pas. J’ai arrêté  et j’ai consulté un professionnel de la santé pour obtenir des recommandations plus fiables, souligne-t-telle.

Des produits en libre-service

Comme mentionné, plus haut, il est important de rappeler que les compléments alimentaires ne sont pas considérés comme des médicaments car n’ayant aucun effet thérapeutique, sauf en cas de carence ou déficiences avérées.

Pourtant, Dr Ridha Mokni, indique qu’il est très important de consulter un médecin en nutrition avant de prendre des compléments alimentaires afin de définir au mieux le type de produit à prendre, ou s’il est possible de ne pas en prendre en adaptant un régime alimentaire spécifique.

« Certains généralistes n’hésitent pas prescrire à leurs patients  des compléments alimentaires alors qu’ils n’en ont pas forcément besoin », déplore le médecin nutritionniste.

En Tunisie, la réglementation des compléments alimentaires est sous la responsabilité du ministère de la Santé, qui établit les normes de sécurité et de qualité pour ces produits. Les fabricants de compléments alimentaires doivent se conformer à ces normes, ainsi qu’aux règles en matière d’étiquetage et de publicité.

 Dr Ridha Mokni alerte également sur la prolifération des poudres dites protéinées notamment vendues, souvent de manière illégale, dans les salles de sport et qui sont destinées aux personnes pratiquant la musculation. Il y a quelques années, une étude réalisée par le Comité International Olympique sur un échantillon de ces poudres dans 13 pays différents a permis d’établir la présence de substances dopantes interdites et non renseignées sur les étiquettes et ce dans 20% des cas.

« Avant la révolution, la réglementation sur l’entrée des compléments alimentaires en Tunisie était très stricte et hyper réglementée grâce à une commission dédiée, dans laquelle je siégeais. Aujourd’hui ça n’est plus le cas du tout et c’est la raison pour laquelle nous pouvons trouver sur le marché des produits qui peuvent être très dangereux et contenant des substances dopantes interdites », affirme Dr Mokni.

Pour conclure, il est important de noter que rien ne peut une alimentation saine et équilibrée et que les aliments contiennent les vitamines et protéines nécessaires pour faire fonctionner correctement son organisme.

A cet égard, Dr Ridha Mokni explique que l’équilibre nutritionnel se trouve dans la variété. « Un tiers de l’assiette doit être composé de glucides (pâtes, couscous, riz…), l’autre tiers de protéines viandes blanche, rouge, poissons (notamment les poissons bleus pour l’oméga 3) et enfin le troisième tiers favoriser les légumes et crudités», conclut-il.

Wissal Ayadi