Tunisie : Des mères célibataires témoignent, difficultés au quotidien, sans exclure épanouissement et nouvelles rencontres

06-03-2023

La monoparentalité en Tunisie, particulièrement chez les femmes, est en augmentation, qu’elle soit choisie ou résulte d’un accident de la vie. L’explosion du nombre de divorces chaque année en est la principale cause.

Bien que chaque personne vive cette situation différemment, les problèmes rencontrés sont souvent partagés, tels que la fatigue, la culpabilité, les difficultés financières, le besoin d’aide et le désir de rencontrer quelqu’un.

Gérer seule les enfants, la maison, la vie professionnelle et autres défis peut être difficile. Après avoir échangé avec Eya, Sarra et Gihene, trois mamans solos, voici un aperçu des difficultés fréquentes et les conseils qu’elles ont partagés pour faire face aux défis quotidiens et être une maman célibataire heureuse et épanouie.

Ne pas culpabiliser et assumer pleinement

Les mères célibataires ont souvent du mal à vivre leur situation. Elles peuvent être célibataires suite à un accident de la vie ou à un divorce, voire un deuil. Ou alors, dans certains cas, le père ne se sentait pas prêt ou n’a pas voulu assumer la responsabilité d’un enfant. Quelle que soit la cause du célibat, la mère célibataire ressent souvent de la culpabilité à élever seule son enfant, notamment dans les sociétés arabo-musulmanes où l’idée que l’enfant a besoin d’un père et d’une mère s’impose presque comme un dogme.

Cependant, il n’est pas obligatoire d’avoir un père et une mère pour élever un enfant heureux et équilibré. Bien que les enfants aient besoin de figures masculines et féminines dans leur vie, les schémas familiaux traditionnels ne garantissent pas une famille saine. Ce qui importe avant tout pour l’enfant, c’est de grandir dans un environnement rempli d’amour, d’écoute, de confiance et de bienveillance.

Il est parfois considéré que l’éducation d’un enfant est plus facile lorsque deux personnes sont impliquées. Certes cela peut être vrai du point de vue  logistique pour se donner à chacun plus de temps pour soi, bien que de nombreuses femmes en couple assument encore une grande part des responsabilités.

Cependant, en ce qui concerne l’éducation de l’enfant, il ne faut pas oublier que vivre en couple ne facilite pas nécessairement cette tâche. En effet, les conflits éducatifs au sein du couple parental sont également fréquents. Plusieurs études ont montré que les disputes entre parents devant leur enfant peuvent avoir un fort impact psychologique sur celui-ci. Lorsqu’il y a des désaccords sur les règles ou la pédagogie dans une même maison, cela peut entraîner des conflits et de la confusion pour l’enfant. Il peut se demander pourquoi sa mère dit oui alors que son père dit non.

En revanche, les enfants s’adaptent souvent mieux à des règles de vie différentes lorsqu’ils vivent dans des maisons séparées. Cela peut parfois être rassurant. « Mon fils a très bien intégré le fait qu’il y a des règles chez maman et d’autres chez papa et qu’elles sont bien distinctes », nous confie Gihene, maman d’un garçon de 12 ans.

Maman solo…pas vraiment

Bien qu’épuisées, les mamans seules sont souvent réticentes à demander de l’aide, même si leur tâche est difficile. Elles doivent gérer leurs finances, leur logement, les tâches ménagères, l’éducation de leurs enfants et leur vie personnelle.

Une situation qui peut être lourde de conséquence sur la santé à la fois physique et mentale de la mère. Pourtant, il est possible que d’autres personnes soient heureuses de les aider parmi les amis, ou la famille en prenant soin de leurs enfants pendant une soirée ou une après-midi afin de justement faire redescendre cette charge mentale importante.

Il suffit parfois juste de demander sans culpabiliser ou avoir le sentiment d’abandonner son enfant. Toutes celles qui ont témoigné s’accordent à dire « qu’elles ont le droit de souffler de temps à autre et de demander à ce qu’on les aide ». 

Ainsi, certaines mères célibataires choisissent de vivre près de leur famille ou même de retourner vivre auprès d’eux afin de bénéficier de ce précieux soutien. C’est le cas de Sarra, qui a occupe l’étage de la maison familiale. « C’est pratique pour faire garder les enfants ou aller les chercher à l’école, quand j’ai quelque chose à faire ou  encore pour les repas quand je rentre d’une journée de travail un peu pénible. Mais je garde tout de même mon intimité puisque les deux étages sont totalement séparés », nous dit-elle.

Ne pas essayer de compenser l’absence du père

De nombreuses mères célibataires ressentent de la culpabilité et cherchent à compenser l’absence du papa. Cette attitude peut découler de l’envie inconsciente de « normaliser » leur situation, notamment en Tunisie où la famille reste encore aujourd’hui ancrée dans une schéma très patriarcal.

Cependant, il est important de comprendre que cette situation est simplement l’histoire de l’enfant. En effet, pour un enfant, tout est normal, y compris l’éducation qu’il reçoit, les règles qui lui sont imposées, les personnes qui l’entourent, l’endroit où il vit, etc. « Bien sûr, iles choses auraient pu être différentes, mais chacun fait de son mieux et il n’y a pas lieu de se blâmer ou de s’excuser », nous rappelle très justement Eya, maman d’un petit garçon de 7 ans.

Il est crucial de rester honnête et de faire référence au père absent dans les discours avec l’enfant, même si cela peut être difficile au début d’une rupture, surtout si elle a été difficile. « L’enfant a besoin de connaître son histoire et de savoir que son père existe même s’il a choisi de vivre ailleurs ou s’il est absent. Il est plus facile de vivre en sachant la vérité, même si elle est douloureuse, plutôt que de découvrir des secrets qui auraient pu peser sur notre inconscient pendant des années », nous dit-elle.

Se construire un réseau de parent

Il est essentiel d’avoir le soutien de sa famille et de ses amis, mais il ne faut pas oublier qu’il est possible d’élargir son cercle de soutien. Dans ce sens, Eya recommande par expérience, de chercher d’autres parents, par exemple à l’école ou lors d’activités, pour partager les trajets, les sorties d’école ou même les mercredis après-midi. « Chacun peut prendre un jour de la semaine en charge, ou gérer une semaine à tour de rôle. Bien que cela demande un peu de courage et de temps pour mettre en place, les avantages sont réels, tant pour nous que pour notre enfant qui sera heureux de passer du temps avec ses amis », souligne-t-elle.

Pour les vacances, Eya rappelle également qu’il existe de plus en plus d’offres spéciales pour les parents seuls. C’est un excellent moyen de se ressourcer tout en partageant ses expériences avec d’autres parents dans la même situation.

Prendre du temps pour soi

Il est vrai qu’avec les enfants, les courses, la lessive, le travail, l’impossibilité de s’absenter pendant des heures et les journées sans fin, il est facile de s’oublier soi-même. Souvent, l’enfant devient la priorité, voire même l’unique préoccupation.

Mais, comme toute autre femme, une mère célibataire a le droit de continuer à vivre, de sortir avec ses amis, rencontrer de nouvelles personnes et même de trouver un nouveau compagnon et refaire sa vie.

Ainsi, maintenir une vie sociale permet de garder une juste place dans la relation avec l’enfant et d’éviter une dépendance excessive. « Ce n’est pas parce qu’il est petit qu’il ne peut pas comprendre », nous lance Sarra.

« Pendant très longtemps, je m’interdisais d’avoir une vie personnelle. Je ne vivais et respirais que pour ma fille. Je n’étais plus coquette, je ne sortais plus, jusqu’au moment où j’ai subi une lourde dépression. C’est grâce à l’accompagnement d’une psychologue que j’ai repris ma vie en main et que j’ai pu retrouver une vie sociale à travers laquelle j’ai rencontré quelqu’un avec qui j’envisage désormais de refaire ma vie », nous confie-t-elle.

Dépression ou même burn-out parental, des risques qui montrent à quel point il est important de prendre le temps de souffler et de se ressourcer en prenant quelques heures pour soi : une sortie, quelques minutes de yoga quand l’enfant est endormi, un cinéma, un week-end entre amis, une balade ou simplement un peu de solitude.

Si être une mère célibataire est un défi au quotidien, savoir s’entourer et demander de l’aide sont les clés pour être une super maman solo épanouie.

Wissal Ayadi