Amour, argent, niveau d’études, sur quelles bases les jeunes choisissent leurs futurs conjoints?

29-06-2022

Réussir son mariage commence tout d’abord par réussir le choix de son futur conjoint. Mais avec le recul de l’âge du mariage chez les femmes comme chez les hommes, la hausse du chômage, et les pressions sociales, concevoir le choix du partenaire comme le produit d’une affinité basée sur les sentiments uniquement ne suffit plus…En effet, le contexte socio-économique a impacté la vision des jeunes sur ce projet matrimonial, celui de fonder une famille.

Quels sont donc les nouveaux critères de conjoints pour les jeunes filles comme pour les hommes ? Leurs choix dépendent-ils toujours de la situation familiale, matérielle, du niveau d’instruction, et de l’âge…Ces critères ont-ils changé au fil du temps ? Reportage.

Mariage : Que faut-il prendre en compte?

Afin de répondre à ces questions, nous nous sommes entretenus avec Chaima 36 ans, elle occupe un poste managérial dans une multinationale. Selon elle, se mettre la bague au doigt n’est pas une fin en soi.

« Il s’agit de choisir la personne qui va partager avec moi le reste de ma vie. Je dois être sure que mon conjoint a un niveau intellectuel qui lui permettra de communiquer avec moi paisiblement sans malentendus, ou sans qu’il soit intimidé. Le fait qu’il y ait une différence sociale peut aussi créer des comparaisons et des rancœurs…Pour mieux réussir, j’ai épousé un diplômé comme moi, qui n’est pas médecin, mais qui a une solide culture générale, et socialement nos situations sont quasi similaires. Nous appartenons tous les deux à des familles de la classe moyenne, qui ont grimpé les échelons petit à petit. Et ce vécu commun nous a beaucoup rapproché… », nous raconte-t-elle fièrement.

Pour Alia, avocate de profession, mariée depuis 5 ans avec un hôtelier, le niveau intellectuel est important. « Après un an de mariage, j’ai compris que nous avions un problème lié directement à nos niveaux d’éducation. Il devenait irrité quand je lisais un livre au lieu de regarder la télé avec lui. Mes ambitions le dérangent, et j’ai appris à les garder pour moi, au fil du temps. Même quand on se dispute, il utilisait un jargon qui traduisait cet écart. Malheureusement, cette situation nous a éloigné l’un de l’autre… ».

Alia a aussi rappelé qu’elle a choisi de sacrifier ce critère « le niveau intellectuel », qui était pour elle auparavant primordial. « Mais, à un certain âge, à l’approche de la quarantaine, et avec les pressions familiales, j’ai franchi le pas en acceptant moins que ce que je mérite. Cette décision, m’a couté chère, car c’était difficile de m’entendre avec lui, au quotidien. Nos différences refont surface, à la moindre dispute », nous confie-t-elle avec amertume.

L’importance de l’argent 

Ceci n’est pas le cas de sa sœur Aicha, qui exige un mari d’un niveau sociale élevé . Pour elle, le niveau intellectuel ne changera pas la donne, tant que  les conditions économiques sont déplorables. « Le manque de moyens, les pressions de la vie quotidienne, la cherté de la vie notamment quand la famille s’agrandit, ont un fort impact sur les ressentiments qui naissent dans le couple. Au fil du temps, le manque d’argent devient une source de malheur. Même pour s’engager avec une femme, il faut un budget minimum pour pouvoir acheter la parure en or, les « mwessems », et payer la fête du mariage, sans oublier le loyer, l’ameublement de la maison… », explique-t-elle. 

Pour cette jeune femme de 26 ans, avoir une certaine stabilité financière est essentiel pour pouvoir confronter les aléas de la vie de couple. Sans cela, le projet de mariage peut finir par un divorce pour des raisons financières… »Je préfère donc rester chez mes parents, au lieu de m’aventurer dans une vie conjugale fondée sur des bases non solides », conclu-t-elle.

Le critère économique est aussi exigé par les hommes. Avec le cout de la vie qui s’élève de plus en plus en Tunisie, la hausse des prix du loyer, l’impossibilité d’acheter des biens immobiliers, et la faiblesse des salaires…Plusieurs jeunes hommes refusent de se marier, sans avoir les moyens pour combler les exigences de leurs futures épouses et belles familles…D’autres au contraire, cherchent une femme qui partagent avec eux ce fardeau, en contribuant aux dépenses liées au mariage et à la vie quotidienne. C’est le cas de Mehdi, 39 ans, employé dans une entreprise. Il cherche en vain la femme de sa vie.

 » Avec mon salaire qui ne dépasse pas les 1600 DT, je serai incapable de gérer tout seul un foyer. Il est donc primordial pour moi de me marier avec une femme qui travaille, ayant un bon salaire, et qui soit prête à m’aider financièrement. Dans le contexte actuel, avec la conjoncture et l’inflation, les mentalités des femmes doivent évoluer, et penser à plus d’équité dans le couple sur tous les niveaux. Les anciennes générations de nos parents se comportaient autrement, et c’était l’homme le chef de famille par tradition…Mais, ces croyances sont désormais dépassées…. ».

Comment explique-t-on cette évolution des critères du mariage? 

D’après Habib Riahi, professeur en sociologie, les critères de mariage changent d’un milieu à un autre et dépend aussi des perceptions et des attentes de chacun de nous.

 Le psychologue social Serge Moscovici, dans son livre « Social Psychology », publié en 1992, confirme qu’il n’existe pas de rupture entre les individus et le contexte dans lequel ils vivent ». Il ajoute que les valeurs et les perceptions de la population évoluent au fil du temps, et demeurent un système de référence pour les groupes sociaux qui détermine et définit leur comportement, leur jugement et leur manière de traiter l’autre.

Par ailleurs, il est vrai que l’homogénéité est importante dans un couple, d’être issus du même niveau social, d’avoir des niveaux intellectuels rapprochés, et de l’affection pour l’autre pour assurer une certaine connivence. « L’amour est une religion post-religieuse », a dit le sociologue François Singly dans ce sens. Mais aujourd’hui, avec le contexte dans lequel on vit dans crise économique, le facteur crucial dont dépend le choix du conjoint, est désormais la condition économique. Ce critère est responsable aussi des changements sociaux, et des rituels même du mariage qui en dépendent.

« Une fille ne peut pas accepter un chômeur, et elle désire aussi une maison séparée. Même s’il y a une forte affection, elle est considérée non décisive, comparé aux raisons financières, qui sont désormais vitales pour consommer le mariage. Comme le confirme Pierre Bourdieu, sociologue français, les règles du jeu dans le mariage changent constamment, la réticence des jeunes à se marier oblige les filles plus âgées à faire des concessions, parfois moralement coûteuses, pour gagner un mari. Renoncer matériellement et parfois même moralement. Et tout cela pour se sauver du « danger » du célibat.  Sans oublier que les aspirations d’une fille de plus de 35 ans sont différentes de celles d’une fille dans la vingtaine, ce qui intervient dans les critères du choix du conjoint ».

E.B