Tunisie : « L’hiver 2023 pourrait être marqué par un cumul de précipitations au dessus de la moyenne de la saison » (Expert)

29-12-2022

Une douceur exceptionnelle caractérise le climat de ce mois de décembre en Tunisie. Les valeurs comprises entre 20° et 23° et qui ont atteint certains jours les 29° ont, certes, permis aux Tunisiens de faire des économie d’énergie, mais le manque de pluie et la sécheresse qui en découlent, pourraient avoir des conséquences désastreuses sur l’agriculture et les réserves en eau.

Dans son bulletin mensuel du mois d’octobre, rendu public ce mercredi 28 décembre 2022, l’Institut National de la Météorologie a indiqué que le mois d’octobre de cette année a été le deuxième le plus sec après octobre 1960, avec un cumul de précipitations de 92.8mm représentant uniquement 9 % de la normale du mois (835 mm), soit un déficit pluviométrique de 90%.

Le pourquoi et le  comment d’un hiver doux en Tunisie ?

Afin de comprendre pourquoi la Tunisie se trouve dans une phase de douceur et sèche en plein hiver, nous nous sommes adressés à Haytham Belghrissi, expert en climat et membre de l’Association tunisienne des changements climatiques et du développement durable (2C2D).

Il indique dans un premier temps que de nombreux facteurs climatiques influencent la saison hivernale chaque année sur le globe et notamment sur notre région. « Il existe plusieurs facteurs de circulation générale que nous pouvons analyser et même prévoir pour avoir une meilleure idée et visibilité de ce à quoi s’attendre dans les mois à venir tels que l’oscillation nord-atlantique, l’oscillation arctique et l’indice ENSO », nous dit-il.

Ainsi, l’un des principaux facteurs cette année est la phase froide, appelée « La Niña », dans les régions ENSO, qui entre dans sa troisième année consécutive devenant ainsi le premier événement de ce type au cours de ce siècle à s’étendre sur trois hivers de suite sur l’hémisphère nord d’après l’Organisation Météorologique Mondiale.

« Cette région de l’océan Pacifique équatorial passe d’une phase chaude à une phase froide. Généralement, il y a un changement de phase environ tous les 1 à 3 ans », affirme l’expert.

Belghrissi explique également que malgré la persistance de « La Niña » dans le Pacifique, les températures de la mer sont largement supérieures à la moyenne ailleurs contribuant à des températures terrestres supérieures à la normale dans une grande partie de l’hémisphère nord notamment sur l’Afrique du nord et la Tunisie.

« Toutes ces conditions climatiques favorisent déjà un hiver plus doux et qui a été aggravé par l’effet du changement climatique surtout quand on sait qu’en raison du changement climatique, le globe et plus particulièrement notre région se réchauffe et se dessèche, et cette chaleur devrait continuer à augmenter quelques soit le scénario d’émission d’après les études de l’institut national de la météorologie et du le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) », poursuit Belghrissi.

Quelles prévisions ?

Haytham Belghrissi souligne que les dernières prévisions du modèle du Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (ECMWF) et du modèle américain CFSv2 indiquent qu’il y a 75 % de chances que la Niña persiste en décembre-février 2022/2023 et 60 % de chances en janvier et mars 2023. Il y a 55 % de chances que des conditions ENSO neutres (ni El Niño ni La Niña) émergent en février-avril 2023, passant à environ 70 % en mars-mai.

« Quant au Nord Atlantique on s’attend qu’il soit dans une phase d’oscillation nord-atlantique (NAO) faiblement négative. En outre, une zone de basse pression sur le sud-ouest de l’Europe et les Açores, ouvre la possibilité à plusieurs variabilité tout au long de l’hiver ».

En ce qui concerne les températures, l’Europe et l’Afrique du nord peuvent s’attendre à ce qu’on appelle « des anomalies chaudes » avec l’influence de cette phase de NAO et donc, en sommes, un hiver avec des moyennes de températures plus élevées.

Du côté des précipitations et d’après le modèle du Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme, l’hiver 2023 pourrait être marqué par un cumul de précipitations au dessus de la moyenne de la saison sur la Tunisie et la zone d’Afrique du nord contrairement à la majorité des régions du sud de l’Europe.

« Toutes ces prévisions des modèles montrent les tendances climatiques générales dominantes. Les modèles présentent généralement des erreurs quand il s’agit d’une prévision climatique (mensuelle ou saisonnière) contrairement à une très bonne fiabilité dans les prévisions météorologiques d’un à trois jours. Cela suggère seulement à quoi les conditions météorologiques pourraient ressembler dans les mois à venir », précise Haytham Belghrissi.

Contexte climatique de la Tunisie

La Tunisie se situe dans un climat méditerranéen qui se caractérise essentiellement par deux principes. D’abord la coïncidence entre la précipitation et le froid ainsi qu’entre la chaleur et la sécheresse. En été il fait chaud et il n’y a pas de pluie et en hiver il fait frais et il pleut.

« C’est une exception à échelle internationale car dans les climats qui sont présents dans les autres parties du monde il y a une corrélation entre la hausse des températures d’une part et la pluie et la sécheresse interviennent avec le froid, d’autre part », nous explique Mr Zouheir Hlaoui, professeur en climatologie à l’université de Tunisie et membre de l’Association tunisienne des changements climatiques et du développement durable (2C2D)

La deuxième caractéristique est la grande variabilité des paramètres climatiques et essentiellement les précipitations. Elle sont variables dans le temps, car elles ne seront pas toujours les mêmes d’un jour, d’un mois ou d’une année à l’autre. « Dans notre histoire, nous avons constaté qu’il y a des années ou nous observons une forte pluviométrie qui peut être suivie par 3 ou 4 années de sécheresse », affirme l’expert.

Elle le sont sont également dans l’espace puisqu’elles varient fortement d’une région à l’autre.

La Tunisie sur une courbe ascendante

Aujourd’hui la Tunisie se trouve dans une phase de réchauffement continu qui est due essentiellement aux changements climatiques, selon Zouheir Haloui. « Sur les mesures qui ont été faites, depuis le début du 20ème siècle, nous avons pu constater une courbe ascendante des températures à la fois minimales, moyennes et maximales ».

Par ailleurs, le professeur en climatologie indique que si la Tunisie connait aujourd’hui des températures très douces, elle n’a pas pour autant atteint les records enregistrés par exemple en 2010 ou en 2021 à la même période.

Au niveau des pluies c’est un peu plus difficile à déterminer. « On ne peut pas dire qu’il y a une hausse ou une baisse de la pluviométrie. Ce que l’on peut dire c’est que sous l’effet des changements climatiques il y a une perturbation du régime. C’est à dire que les années de grosses pluies se sont éloignées. Pour les années dites sèches, elles sont plus longues ».

« Pour la pluie, on ne sait pas encore si cela va générer une sécheresse. Pour le moment la quantité d’eau mobilisée dans les barrages et de l’ordre d’environ 30%, ce qui n’a pas vraiment changé par rapport à l’année dernière », poursuit Hlaoui.

A noter que les périodes de pluie sont les saisons intermédiaires, c’est à dire l’automne et le printemps. Ainsi il faut espérer que les mois de mars offriront une pluviométrie suffisante pour éviter la pénurie. 

La Tunisie dispose d’environ 400m3 d’eau par habitant et par an

Zouheir Hlaoui relève que la première inquiétude concerne les besoins des citoyens. « D’après l’OMS, chaque habitant doit pouvoir disposer de 1000m3 d’eau par an (quantité d’eau mobilisée divisée par la population). Aujourd’hui en Tunisie nous sommes à environ 400m3 par an par habitant. Ainsi selon l’OMS nous sommes dans une phase de stress hydrique. Sous l’effet des changements climatique, ce ratio peut encore se dégrader pour passer sous la barre des 400m3. Si cela continue comme cela, d’ici 2100 le citoyen Tunisien pourrai ne plus satisfaire ses besoins en eau », nous dit l’expert.

A noter que la Tunisie a déjà mobilisé en eau entre 95% et 98% des quantités mobilisables alors que les besoins des Tunisiens ont augmenté en raison, notamment de l’amélioration des conditions de vie et d’hygiène. Ajouter à cela la vétusté des réseaux hydriques font perdre des quantité d’eau importantes que l’on ne peut plus générer.

La sécheresse qui frappe la Tunisie peut également entrainer des conflits intersectoriels, à savoir la priorisation de la distribution de l’eau entre les citoyens, les agriculteurs, le secteur touristique ou encore l’industrie. « Pour le moment en Tunisie, la priorité est donnée à l’eau potable, mais jusqu’à quand ? », s’interroge Zouheir Hlaoui. (Cf. Article sur le fléau des puits illicites)

D’après le militant écologiste, il faut déclarer l’Etat d’urgence hydrique ou climatique car des chocs importants attendent la Tunisie. « Nous l’avons déjà vécu en 2021 avec une hausse extrême des températures et les incendies qui en ont découlé. A ce moment là il y a eu un renversement de la carte puisque les régions du nord ont été plus chaudes que les régions du sud, qui sont situées aux portes du désert », s’inquiète Hlaoui.

Wissal Ayadi