Nouvelles mesures : Les cafetiers crient à l’injustice, les restaurateurs « De la poudre aux yeux »

19-11-2020

La Tunisie fait face depuis plus de trois mois à une hausse vertigineuse du nombre de cas positifs au Covid-19 et à une mortalité de plus en plus importante. Afin d’y faire face, le gouvernement à décidé d’un certain nombre de restrictions comme la généralisation du couvre-feu sur tout le territoire ou encore l’interdiction des déplacements entre les gouvernorats.

Mais celle qui fait le plus parler d’elle, c’est celle qui concerne les horaires d’ouverture des cafés et restaurants. En effet, ce secteur en crise depuis le début de la pandémie, voit bon nombre de ses établissements baisser leur rideau définitivement faute de recettes suffisantes.

Si la sortie du premier confinement a permis à certains de pouvoir remonter un peu la pente, les nouvelles mesures mises en place depuis quelques semaines portent encore un coup dur à ces commerçants.

Avec l’instauration du couvre-feu, les cafés et restaurants ont été contraints de fermer leurs portes à 16h. Une situation intenable selon eux.

De plus, cette restriction a fait naître un phénomène d’appauvrissement sans précédent chez les personnes travaillant de nuit qui n’ont pas hésité exprimer leur colère lundi dernier devant le siège de la présidence du gouvernement à Tunis.

Ainsi, seulement 5 jours après le prolongement du couvre-feu de trois semaines, le gouvernement a finalement autorisé les restaurants à ouvrir leur portes jusqu’à 19h. De leur côté les cafés et salons de thé sont contraints eux de fermer à 16h. Une injustice que les cafetiers ont du mal à comprendre.

Comment ces nouvelles décisions ont été reçues par les professionnels? Ont-t-elles permis de faire baisser la grogne d’une partie de ce secteur.

Afin de connaître leur avis sur la question, nous sommes allés à leur rencontre. Gnetnews a pris la direction des célèbres quartiers d’Ennasr et Menzah 5 à Tunis, réputés pour être animés par  leurs cafés et restaurants.

Les propriétaires de cafés dénoncent une décision injuste

Alors que les restaurants ont été autorisés à rester ouvert au public jusqu’à 19h, puis la nuit pour les livraisons, les cafés et salon de thé ont vu leurs restrictions inchangées. Ainsi ils sont toujours contraints de fermer à 16h.

Une injustice que les propriétaires ont du mal à comprendre. Hanin est l’un deux. Il gère un salon de thé dans le quartier d’El Menzah 5. « Cette nouvelle annonce est complètement injuste. En quoi serions-nous une source de contamination plus importante que les transports en commun ou les marchés par exemple? », déplore-t-il.

Il explique que le secteur est un des plus touché par la pandémie. Pendant le confinement du printemps dernier, son établissement étant fermé, Hanin affirme avoir réalisé un manque à gagné de 120.000 DT.

N’étant propriétaire que du fond de commerce, il a du payer les 4000 DT de loyer mensuel ainsi que les charges d’eau et d’électricité, sans compter les salaires de ses neuf employés qu’il a continuer de rémunérer en guise de solidarité. En tout, par mois il doit débourser 130.000 DT en charges fixes. « En ce moment je fais environ  200 DT de recette par jour, alors que ma journée me coûte 300 DT », indique Hanin.

Aujourd’hui, il est obligé de faire travailler ses salariés un jour sur deux afin de continuer à les payer, mais il souligne qu’il ne pourra pas continuer comme cela encore longtemps.

Pour lui, le gouvernement navigue à vue sans de réel décideur à sa tête. En effet, la décision  d’octroyer trois heures d’ouverture supplémentaire aux restaurateurs est intervenu seulement cinq jours après le prolongement du couvre-feu et des autres restrictions de trois semaines. Des décisions prises au jour le jour sans réelle cohérence.

Hanin, déplore également un secteur qui manque d’organisation. Si le syndicat des restaurants a pris la peine de manifester devant la Kasbah afin de réclamer le droit au travail, celui des propriétaires de cafés n’a pas réellement fait d’actions visant à faire pression sur le gouvernement.

« J’avais l’ambition d’ouvrir d’autres établissements à Tunis avec des concepts venus d’outre-atlantique mais maintenant j’hésite car le gouvernement ne sait que nous mettre des bâtons dans les roues. Je pense de plus en plus à quitter le pays », conclue-t-il avec désespoir.

« Le gouvernement est en train de traiter du cas par cas »

Un autre propriétaire d’un café situé au centre-ville de Tunis, nous a exprimés son indignation face aux nouvelles mesures du gouvernement, dont les cafetiers y étaient exclus.

Selon lui, le gouvernement traite du cas par cas. « Celui qui proteste le plus dans la rue, obtient une réponse. Et celui, qui se tait subit les restrictions et on le stigmatise », analyse-t-il.

Quant au manque à gagner, ce propriétaire nous a indiqué qu’il s’élève désormais à 70%. « Je ne fais plus de recette depuis le confinement sanitaire dernier. En revanche, les charges fixes et variables de mon café sont inchangées. Seul le cout des produits alimentaires nécessaires pour le service est réduit, puisqu’avant je faisais 20 couverts en moyenne par jour. Maintenant j’en fais que 5 », ajoute-t-il.

D’autre part, l’effectif du personnel est le même, la charge salariale et la cotisation sociale, les factures de l’électricité également, a fait savoir ce propriétaire d’un salon thé.

Pour lui, un seul point positif pourrait être retenu des décisions du gouvernement.

« Il s’agit du fait que les cafés peuvent ouvrir depuis 5h du matin, alors que les restaurants ne démarrent leurs activités que vers midi. Le gouvernement a donc essayé de se rendre plus équitable en ce qui concerne les heures de travail. Mais, quand un gouvernement commence à faire un calcul des heures, il n’est plus question de lutte contre le Coronavirus ! Ce n’est pas comme ça qu’on dirige des secteurs qui font vivre des milliers de personnes ».

 Pour lui, si le gouvernement souhaite remplir les caisses vides de l’Etat à travers les secteurs de la restauration, il doit chercher une autre alternative.

A ce sujet, il a révélé que les factures estimatives d’électricité trimestrielles que reçoivent les cafés et restaurants sont amplifiées. Elles peuvent atteindre les 2800 dinars pour une salle de 180 couverts.

« En effet, nous sommes en train de payer les factures pour laisser d’autres ménages des quartiers populaires, bénéficier de l’électricité qu’ils ne payent pas car ils sont de plus en plus appauvrit.

« Plusieurs personnes ne payent pas leurs factures. De peur de provoquer la révolte dans ces régions, l’Etat n’intervient jamais, et déduit ces non-payés de nos poches par le dédoublement des tarifs. Ceci ne peut plus continuer, il faut des solutions de fond, des aides et de compensation pour que l’Etat puisse appliquer sa stratégie de lutte contre le Coronavirus. Sinon on risque un autre soulèvement social, et un appauvrissement inéluctable de toute une population fragilisée. »

Des mesures qui ne vont pas changer grand-chose 

Pour voir si la prolongation des heures de fermeture des restaurants a satisfait  le secteur de la restauration, nous nous sommes rendus dans un restaurant de la cité d’Ennasr (Ariana), un quartier qui d’habitude, ne dort jamais. Situé au cœur de l’Avenue Hédi Nouira, ce restaurant n’a pas encore pris une commande depuis son ouverture à midi.

Selon le gérant de cet établissement, cette prolongation jusqu’à 19h, pour fermer les restaurants, ne rajoute rien aux chiffres d’affaire du secteur, puisque la plupart des clients viennent pour diner à cette heure-ci.

« Dans les restaurants, le service démarre à l’heure du déjeuner, entre midi et 15h. Après vient un temps creux, entre 16h et 19h, là où on s’apprête pour servir le diner. Donc c’est complétement dérisoire de prendre de telles mesures, qui ne sont que de la poudre aux yeux… » , reproche-t-il.

 

Concernant le manque à gagner de ce restaurant de renommé, le gérant nous a révélé qu’il est passé de 12 000 par semaine jusqu’à quelques 5000 dinars, qu’ils peinent à gagner.

« Avant la crise sanitaire les clients étaient nombreux à affluer pour se réunir autour d’un repas à midi, ou encore pour diner tranquillement, le soir.  Maintenant, avec les nouvelles dispositions liées à la lutte contre le Coronavirus, et l’inflation, nous arrivons à peine à remplir nos tables, dont la capacité d’accueil a été réduite à 30% à l’intérieur, et 50% dans la terrasse. »

Selon lui, avec la crise économique, les Tunisiens préfèrent mieux économiser. Ils ont raison de faire le choix de cuisiner chez eux les mêmes spécialités qu’on propose, puisque ça leur revient moins cher. Les clients ne peuvent plus désormais, se permettre de se divertir, ou de profiter le temps d’un caprice…

Ce gérant, nous a parlé aussi de l’effectif du personnel qui a été divisé en deux, depuis le confinement sanitaire général dernier. « La facture de l’électricité a atteint pour ce trimestre les 18 000 dinars, comment le propriétaire pourrait-il payer cette somme, alors qu’il arrive à peine à payer ses employés ? Malheureusement, il était contraint de réduire son équipe », nous confie-t-il.

Reportage réalisé par Emna Bhira et Wissal Ayadi