Quartier consulaire de Tunis, un patrimoine riche, aujourd’hui à l’abandon (Reportage)
Pour ce deuxième reportage consacré au patrimoine architectural de la ville de Tunis, Gnetnews s’est intéressé à un sujet presque méconnu de l’histoire du pays. Celui de la représentation diplomatique étrangère sous la Régence de Tunis entre le XVIIème et le XIXème siècle.
En effet, de nombreux consulats européens ont trouvé siège en plein cœur de la médina de Tunis. Aujourd’hui, difficiles à reconnaître, vu leur état de délabrement pour certains. Seuls quelques signes peuvent nous mettre sur la voie…
Afin d’en savoir plus sur cette période faste de la Tunisie, où les relations internationales jouaient un grand rôle dans l’image du pays à travers le monde, nous avons fait appel à Adnen El Ghali. Architecte-urbaniste, historien et auteur d’une thèse sur le quartier consulaire de Tunis. Il nous a véritablement plongé dans l’histoire à travers un parcours dans les ruelles de la Médina.
Contexte
A l’époque beylicale, la reconnaissance de la Tunisie de la part des Etats étrangers était une condition nécessaire pour marquer l’indépendance du pays et assoir une image forte sur la scène internationale. Ainsi, durant leur règne, les Beys de Tunis n’ont pas hésité à signer des accords et des conventions avec des pays européens, notamment la France, la Grande-Bretagne, l’Italie ou encore l’Espagne et les Etats-Unis d’Amérique.
De ces accords, des représentations diplomatiques sont alors venues s’installer à Tunis avec l’approbation du Bey en fonction. Des bâtiments consulaires ont vu le jour, laissant apparaître de véritables joyaux architecturaux aujourd’hui à l’abandon ou transformés et méconnus de la majorité des Tunisiens.
Quelques traces encore visibles aujourd’hui nous font comprendre l’importance de la ville de Tunis en tant que théâtre de la vie diplomatique et consulaire qui a débuté au XVIIème siècle en Tunisie.
« Octroyé à la suite du passage de Tunis sous suzeraineté ottomane, le droit de cité des consulats européens apparaît comme une faveur d’un genre nouveau, inédit, que leur accorde la Sublime Porte après quatre siècles de rejet hors les murs et dans un moment de pleine puissance de l’Empire ottoman.
Le consul règne notamment sur les archives, Saint des saints, conservées à la chancellerie, organise la vie de sa nation rassemblée au foundouk, assigne en justice, se fait magistrat, procureur et notaire au besoin.
Il apparaît comme étant un fin observateur de la cour, mais aussi de la ville et de ses espaces et un praticien de la société confronté à un quotidien fait d’altérité et de pluralité linguistique, culturelle et cultuelle.
Jaloux d’un statut singulier qui l’autorise à être reçu en audience et à assister au lit de justice du Bey, il rencontre les grands du royaume et veille à traduire le rang et la dignité des puissances qu’il représente en termes de préséance et de cérémonial de cour »*. (Extrait de la thèse de Adnen El Ghali: « Du fondouk de la nation à l’hôtel consulaire. Les dimensions spatiales et symboliques de la diplomatie dans le quartier consulaire de Tunis (XVIIe-XIXe« )
Les consulats de Grande-Bretagne et de Suède
Adnen El Ghali nous donne rendez-vous à ce qu’on appelle « La Porte de France » de nos jours. Mais à l’époque elle était appelée la Place de la Marine ou la Place de la Bourse… Elle est la principale entrée du fameux souk de Tunis, mais elle abrite aussi les bâtiments des anciens consulats de Grande-Bretagne, de Suède et du Portugal.
Le consulat anglais a été remplacé aujourd’hui par le célèbre Hôtel Victoria. Si ce bâtiment a subi de nombreuses modifications, certaines spécificités de l’époque sont toujours visibles. « L’important c’est que le bâtiment soit toujours là », indique Aden El Ghali.
Fondé en 1662 comme fondouk des Anglais, sorte d’auberge nationale, le consulat de Grande-Bretagne est reconstruit en 1826, dans un style architectural multipliant les rappels à Malte, nous dit l’historien. En effet, les Anglais possédaient alors l’île de Malte, devenant donc le voisin européen le plus proche de la Tunisie. « C’était un partenaire commercial important pour la Tunisie mais également un voisin gênant à cause de sa puissance de feu », explique El Ghali.
En laissant la Porte de France dans votre dos et en regardant en face de vous, il y a un bâtiment de style néoclassique qui ne passe pas inaperçu. Il s’agit en réalité de l’emplacement de l’ancien consulat du Royaume de Suède. C’est la famille Tulin, qui de père en fils, représentera la Suède à Tunis. A la fin du XIXème siècle ce bâtiment sera racheté par la famille Eymon, français originaire de la ville d’Aubagne, qui le transformera en hôtel.
Enfin à la gauche de ce bâtiment, se trouvent les anciens locaux du consulat du Portugal. « Cette place est un véritable théâtre de la vie consulaire et diplomatique sous la régence de Tunis », souligne l’architecte. Ce dernier rappelle que la ville de Tunis est une ville classée UNESCO et que sa richesse architecturale renvoie à différentes époques et à l’ancrage important de la Tunisie dans l’espace méditerranéen.
Le Palais Raffo : Un bâtiment délabré contre le mauvais œil
Qui dit représentation étrangère, dit sujets étrangers. Avec l’apparition des consulats, des personnalités sont venues s’installer à Tunis. C’est le cas du Comte Raffo, sujet Sarde puis Italien dans les dernières années de sa vie au moment de la réunification de l’Italie. Fils d’un captif génois employé à la cour, le Comte Raffo a obtenu la confiance du Bey qu’il a servi en qualité de secrétaire particulier avant de devenir l’équivalent d’un ministre des Affaires Etrangères à la Régence de Tunis.
Adnen El Ghali, nous propose de nous rendre sur le toit de l’édifice de l’ancien consulat d’Espagne afin d’avoir une vue sur le quartier consulaire et et de nous raconter la petite histoire du Comte Raffo.
C’est aux alentours de 1840, que ce dernier se fait construire un « Palazzo », un palais sous forme d’Hôtel particulier en plein milieu de la médina de Tunis. Il suffit de lever la tête pour entrevoir l’une des façades de ce bâtiment à l’architecture turinoise et au mobilier baroque apporté directement de la ville de Gênes.
Un luxe que le Comte Raffo voulait absolument préserver des médisants. Ainsi, les façades de son palais n’ont jamais été enduites car ce dernier avait peur du « mauvais œil », faisant croire qu’il était à court de moyen pour le finaliser.
« Si ce bâtiment à l’air à l’abandon, en réalité il ne l’est pas du tout, il est au contraire très bien entretenu », indique Adnen El Ghali.
Le palais a été racheté aux héritiers Raffo par une famille juive originaire de Livourne en Italie et leur appartient toujours aujourd’hui.
Le fondouk des Français
Nous nous engouffrons, dans une toute petite ruelle de la Médina de Tunis. S’y trouvent le Fondouk des Français qui a abrité l’ancien Consulat de France. D’après l’historien, il servait à loger des négociants français et au stockage de leurs marchandises. Il accueillera aussi le consul de France et les fonctionnaires travaillant à la chancellerie.
Son état est resté le même. La porte qui ouvre sur une « driba » pavée conserve encore aujourd’hui son état d’origine. On peut notamment y constater la présence de clous à pointe de diamants sur la porte et les armatures qui servaient à la renforcer pour éviter les insurrections, et à se protéger des épidémies comme la peste.
Il existe aujourd’hui deux fondouks, presque côte à côte, et appartenant à la Municipalité de Tunis. Ils sont dans un état de délabrement avancé. La plupart des appartements sont squattés par des familles modestes ou loués par des commerçants pour y stocker leurs marchandises. Les détritus jonchent le sol et le plafond des coursives menace de s’effondrer.
« Ce sont des bâtiments qui mériteraient d’être rénovés et mis en valeur comme patrimoine historique », souligne Adnen El Ghali.
Des consulats côte à côte
Au croisement de la rue de l’Ancienne Douane et de la Rue Zarkoun dans l’ancien quartier franc de la Médina de Tunis, l’historien nous fait découvrir ce qui reste des locaux de l’ancien consulat des Pays-Bas. « Il a gardé l’aspect d’un caravane sérail d’Orient avec une cour et des galeries latérales », souligne Adnen El Ghali qui a pu y pénétrer pour ses recherches.
S’y juxtapose celui de l’Allemagne. En regardant vers le haut, on peut encore voir l’écusson germanique qui orne les balcons de la chancellerie.
En face, il y a également l’ancien consulat des Etats-Unis. Pour la petite anecdote, y a siégé John Howard Payne, célèbre auteur de « Home sweet home ».
Les trois édifices sont aujourd’hui à l’abandon et ont été vendus à des propriétaires privés au moment du protectorat français.
Dans la rue Zarkoun, trois grandes portes côte à côte ont accueilli les consulats des Deux-Siciles et celui de Sardaigne de 1816 à 1861, qui ont été transformés en consulat d’Italie au moment de la réunification. Ils sont désormais la propriété du ministère des Affaires Culturelles qui n’a jamais rien fait pour les mettre en valeur ni pour les utiliser.
Le cimetière protestant
Pour finir notre visite à travers le quartier consulaire de la ville de Tunis, Adnen El Ghali nous invite à découvrir l’Eglise Anglicane. Située sur l’Avenue Mongi Slim, anciennement la Porte de Carthagène, cet emplacement a été offert à l’Eglise protestante sous protection anglaise par l’un des Beys Mouradite.
C’est là qu’ont été enterrés les membres de la communauté protestante et notamment les consuls dont le dernier lieu de vie à été Tunis. Il y a aussi des marins de passage, des voyageurs ou des diplomates.
De nombreuses pierres tombales en très bon état sont encore visibles. Les dépouilles, quant à elles, ont été pour certaines déplacées dans d’autres cimetières comme celui de Medjez-El-Beb, près de Béja, ou renvoyés dans leur pays d’origine.
Retrouvez dans la vidéo ci-dessus, notre reportage dans le quartier consulaire de la Médina de Tunis.
Wissal Ayadi