Tunisie : Pharmacie centrale, CNSS, CNAM…Des déficits en cascade à l’origine de la pénurie des médicaments

25-11-2021

Plus de 500 médicaments seraient en rupture de stock dans les hôpitaux, les pharmacies privées et les centres de santé de base. Un chiffre démenti ce jeudi 25 novembre par le PDG de la pharmacie centrale, Béchir Yarmani. Dans une déclaration à Shems, il a reconnu qu’il y a des médicaments qui manquent, mais leur nombre n’atteint pas les 500. « Il y a des médicaments qui remplacent ceux indisponibles, et d’autres ont été retirés », a-t-il indiqué.

Gnetnews a néanmoins enquêté pour s’arrêter sur la nature et l’ampleur de cette pénurie.

Constat : ce manque existe bel et bien, et concerne essentiellement les médicaments importés utilisés dans le traitement des maladies chroniques, comme le diabète, les pathologies cardiaques, les maladies neurologiques, endocriniennes, artérielles, respiratoires et cancers…

A cause de ce manque, la vie des milliers de malades chroniques est menacée.

La carence est enregistrée notamment en insuline, antihypertenseurs,  et en hydrocortisone  injectable, utilisée en cas d’allergie, nous a confié une pharmacienne de la zone d’Ennasr.

« Ces soins n’ont pas souvent un équivalent local,  les pharmaciens se trouvent, par conséquent, dans l’incapacité de faire une substitution au médicament prescrit par le médecin », déplore-t-elle.

A ce sujet, le PDG de la pharmacie centrale qui détient le monopole dans l’importation des médicaments, indique que contrairement aux informations relayées, « l’insuline est disponible à la pharmacie centrale, dans les pharmacies, et les hôpitaux ».

Et d’ajouter : « La pharmacie centrale a revu à la hausse la quantité d’insuline distribuée aux grossistes-répartiteurs à leur demande ».

Interrogé sur cette pénurie, un autre propriétaire d’une pharmacie à la zone d’Ain Zaghouane (Tunis), a souligné qu’habituellement le manque des génériques est dû à des problématiques de logistique, un manque au niveau des matières premières, des pannes au niveau de la chaine de production, des délais de route et de l’approvisionnement qui prennent du temps… « Des petits obstacles surmontables ».

« Pour les médicaments importés en rupture, il s’agit d’un problème plus grave, lié aux difficultés financières de la PCT, qui doivent être résolus au plus vite », a-t-il prévenu. En parlant de son stock de certains produits vitaux pour les patients, il a averti qu’ils seront liquidés en moins de 3 mois. « C’est le cas depuis septembre dernier, un délai qui annonce une éventuelle pénurie, plus aigüe, dans l’avenir… ».

PCT : Une dette de 400 MD envers l’industrie pharmaceutique

S’agissant des causes du manque des médicaments, nous avons contacté Zied Karray,  pharmacien et l’assistant trésorier du Syndicat des propriétaires d’officine en Tunisie (SPOT), qui a affirmé que les difficultés financières de la PCT sont derrière cette crise.

« Seulement 55% des médicaments ont des équivalents locaux (génériques). Pour le reste, nous comptons sur les industries étrangères pour fournir les officines . Or, la PCT détient une dette envers des industries pharmaceutiques internationales d’environ 400MD, qui devraient être remboursées dans des échéances écoulées depuis plus de 14 mois, à part les 700MD de factures échues. L’ensemble des dettes envers les fournisseurs  étrangers, s’élève ainsi à 1100 MD, ce qui est dû à une défaillance de paiement de la part du secteur public ».

Par ailleurs, la PCT est déficitaire car elle n’est pas payée par la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) et les hôpitaux publics, les deux mis à plat, par la Caisse nationale d’assurance maladie. « Quand à la CNAM, elle n’arrive pas à payer les hôpitaux, qui seront à leur tour, incapables de rafraichir les caisses de la CNSS. Un cercle vicieux qui nécessite l’intervention de l’Etat… Sans cela, nous nous dirigeons vers l’inconnu », a ajouté le gérant de la société Karray pour les produits pharmaceutiques et parapharmaceutiques. 

Par ailleurs, les officines privées et les cliniques n’ont aucun problème à ce niveau, car elles payent leurs achats au comptant à la PCT, ce qui n’est pas le cas pour les entreprises publiques…

Des réformes qui ont tardé à voir le jour

Revenant sur l’ensemble des dettes des hôpitaux, de la CNAM et la CNSS envers la PCT, Zied Karray a indiqué qu’elles s’élèvent à 1200 MD. « Une somme qui couvrirait largement les dettes de la pharmacie centrale envers les fournisseurs étrangers », conclut-il.

Conséquence, face au manque de visibilité de la part de la PCT, et à cause du retard de paiement, il existe des fournisseurs qui ont choisi de réduire le flux de médicaments dans le marché tunisien, en attendant qu’elle s’acquitte de ses dettes antérieures. D’autres industries, plus rigoureuses, ont opté pour des décisions plus drastiques, comme rompre leurs ventes sur toute leur panoplie de médicaments…

Pour le syndicat, les solutions sont désormais politiques, et le gouvernement actuel, doit intervenir pour résoudre cette crise. Sans cela, l’Etat sera contraint de rafraichir les caisses de la pharmacie centrale, pour débloquer la situation ».

Le président du SPOT, Naoufel Amira, a récemment appelé à l’application des réformes, qui n’ont pas vu le jour à cause de l’instabilité politique…Il a appelé à opter pour la transparence concernant les médicaments en rupture, pour que les médecins puissent modifier leurs protocoles thérapeutiques, en prescrivant des génériques, et éviter ainsi de  bloquer les pharmaciens et de semer la confusion chez les patients »

Emna Bhira