La Tunisie face au défi des textes budgétaires 2023 – 2024, pronostics mitigés

09-10-2023

En ce qui concerne le bouclage du budget, l’année 2023 semble se terminer, à priori, sans trop de fracas, à l’heure où de nombreux experts criaient à la faillite.

Pourtant il est déjà temps pour l’Etat de se pencher sur l’examen du prochain projet de loi de finances 2024… Une tâche ardue qui attendra le gouvernement et les députés de l’Assemblée des représentants du peuple, quand on sait que l’année 2024 sera encore plus difficile que celle en cours.

Avec d’importantes échéances de remboursement de dettes en vue, une croissance quasi nulle  et un accord avec le Fonds monétaire international qui semble être enterré, la question est de savoir quelles seront les sources de financement prévues pour le budget 2024.

Sur cette question les analyses divergent parmi les experts.

Tourisme, TRE, import/export : ce qui a maintenu la Tunisie à flot

Basse Enneifer est analyste financier. Pour GnetNews, ce dernier a bien voulu donner son point de vue sur la situation de 2023 mais aussi sur le prochain PLF 2014.

Il indique dans un premier temps,  que pour 2023, les recettes fiscales pourront couvrir une bonne partie des dépenses, des salaires et une partie de l’intérêt de la dette.

« Grâce à la saison touristique réussie, à l’évolution constante des transferts des TRE et à la baisse du déficit commercial, la Tunisie a réussi a atteindre un taux de réserve en devises qui permet de garantir une sécurité suffisante », nous dit-il.

En effet, les avoirs nets en devise ont dépassé les 26,7 milliards de dinars, à la date du 29 septembre courant, soit l’équivalent de 118 jours d’importation. « Cela nous permettra déjà de  rembourser l’échéance de 500 millions d’euros (bonds du trésor) prévue en octobre. Même les marchés extérieurs ont compris que la Tunisie était en capacité de rembourser sa dette », nous dit l’expert.

« Sans programme de financement avec le FMI, nous allons terminer l’année 2023 avec plus de réserves en devises qu’en 2022 », assure-t-il.

Ainsi, selon Bassem Ennaifer cela montre la capacité de la Tunisie à honorer l’intégralité de ses dettes extérieures malgré les défis de mobilisation de ressources sur le marché international cette année.

Le PLF 2024 sera dans la même logique que celui de 2023

Concernant la loi de finances 2024, Bassem Enneifer indique que sa logique ne sera pas très différente de celle de 2023. A cet égard, il souligne que la priorité sera de mobiliser le maximum de ressources budgétaires afin de respecter les engagements envers les parties prenantes de l’Etat, à savoir les fonctionnaires, les fournisseurs ainsi que la dette interne et la dette extérieure.

Pour cela, l’analyste financier évoque des indicateurs « au vert » qui permettront à la Tunisie d’équilibrer ses finances en vue du PLF 2024, ajoutant que le « compter sur soi » prôné par Kaïs Saïed est réalisable.

En premier lieu, il rappelle que les prévisions de récolte dans le secteur de l’huile d’olive seront bien meilleures que l’année passée. En effet, le ministère de l’Agriculture table sur une récolte de 200.000 tonnes, soit hausse de 11% par rapport à l’an dernier.

Dans un second temps, Enneifer explique que la Tunisie est en capacité de renouveler une bonne saison touristique à l’image de la dernière. Et enfin, l’expert rappelle que les transferts des Tunisiens à l’étranger seront toujours au rendez-vous.

En ce qui concerne les dépenses, Enneifer indique que la Tunisie a sécurisé ses importations de céréales auprès de la Russie à des prix préférentiels, et ce lors de la visite de Nabil Ammar à Moscou il y a quelques semaines.

« La loi de finances 2024 sera un exercice purement budgétaire qui n’encouragera pas vraiment à  l’investissement. Pour cela, l’Etat devra mettre en place un cadre législatif attractif pour améliorer le climat des affaires », préconise-t-il.

Rembourser la dette au détriment de l’investissement

Si pour certains experts, comme Bassem Enneifer, la situation semble se stabiliser en Tunisie, pour d’autres, la politique d’austérité imposée par le mantra souverainiste de Kaïs Saïed continue de faire plonger la Tunisie dans la pauvreté et ne fait que repousser une éventuelle faillite.

Certes, la Tunisie arrive tant bien que mal à honorer ses échéances de remboursement, mais tout cela sur le dos d’une inflation galopante et de pénuries répétées qui pourraient faire monter une tension sociale, déjà inquiétante.

C’est ce que relève notamment l’économiste Hechemi Alay dans l’édito de la revue Eco Week datant du 18 septembre 2023, dans lequel il analyse les réalisations du premier semestre du budget de l’Etat et les finances publiques de 2023.

« L’État tunisien n’est pas (encore) en faillite mais il est en train de faillir progressivement à ses devoirs et obligations par manque de ressources financières. La preuve par le budget et la situation de ses finances. Au cours de la première moitié de l’année, l’État n’a pu collecter que 44,3% des recettes qu’il prévoyait de drainer dans son projet budgétaire 2023 contre 47,0% l’an dernier et 48,1% en moyenne des cinq dernières années. Il a prévu d’emprunter plus de 24 milliards de dinars cette année, il n’a réussi à contracter au cours d’une bonne moitié de l’année, que moins quart de ce montant : 23,8 », peut-on lire.

Hechemi Alaya évoque également les conséquences sur l’investissement national. « À court d’argent, l’État a dû tailler à la hache dans ses dépenses, aggravant ainsi le délabrement de l’école publique, le manque de médicaments dans les hôpitaux, les pénuries de produits alimentaires et pour tout dire, l’appauvrissement du Tunisien qui de surcroît, doit faire face à une inflation débridée », lit-on encore.

S’appuyant sur les données du ministère des Finances, Alaya note que sur les 53,9 milliards de dinars dépenses que l’Etat prévoyait d’injecter dans l’économie et dont une moitié environ aurait déjà dû être déboursée, seulement 20,7 milliards ont été en réalité engagées soit, un taux de réalisation inférieur à 40%. « Le plus bas que la Tunisie a connu en plus d’une décennie », poursuit-il.

Wissal Ayadi