Programmes scolaires allégés : Le Maroc et l’Algérie emboîtent le pas à la Tunisie

01-12-2020

L’année scolaire 2020/2021 s’annonce bien particulière pour les élèves tunisiens. En effet, avec la crise sanitaire, c’est tout le système pédagogique qui a été revu, aussi bien dans le fond que dans la forme. Depuis la rentrée dernière, les programmes ont été allégés et le nombre d’élèves par classe divisé par deux ainsi que le nombre d’heures. Quelles sont les conséquence de ces nouvelles méthodes à la fois sur les élèves et sur les enseignants ?

Allègement du programme

Avec les mise en place des cours par alternance afin de respecter le principe de distanciation sociale dans les écoles, le ministère de l’Education a soumis aux enseignants un programme scolaire allégé depuis le 26 octobre dernier. Il concerne tous les niveaux, de la primaire au lycée. D’après le département, aucune matière n’a été annulée.

La notion d’allègement laisse à croire que certains apprentissages peuvent disparaître des programmes. Une crainte qui peut laisser dubitatif quant à la qualité du niveau de l’enseignement en Tunisie. En effet, comment garder un même niveau d’enseignement quand le nombre d’heures de cours par semaine est réduit à 50%  et que le programme est « allégé »? Nous avons tenté de répondre à cette question avec Mr Tahar Mathlouthi, pédagogue et inspecteur général de l’éducation.

« Dans ce contexte de crise sanitaire, il y a un paramètre qui devait absolument être respecté pour un retour à l’école en toute sécurité, celui de la distanciation. Nous avons donc joué sur le volume horaires. Il s’agit donc là d’une adaptation plutôt qu’un allègement », indique Mathltouthi.

En effet, d’après ce dernier, aucune matière n’a été dépourvue de ses fondamentaux. « Le plus important c’était de garder les apprentissages structuraux. De nombreux cours, notamment dans le secondaire, sont interdépendants, il était donc nécessaire de préserver l’efficacité de cette interaction de cours. Ils seront juste plus condensés », ajoute-t-il.

Le pédagogue explique que les nouvelles mesures qui concernent le programme scolaire n’affecteront en rien le niveau des élèves. Seules les unités de mesures ont été changées. « Ce qu’ils apprenaient avant en 1 semaine, se fera désormais en 2 semaines et ce seront les mêmes compétences qui seront évaluées », dit-il.

Ainsi, selon Tahar Mathlouthi, le changement se retrouvera dans la manière dont l’enseignant transmet sa matière. « Comme l’élève ne va à l’école qu’un jour sur deux, le professeur peut donner plus de devoirs par exemple ».

L’inspecteur général de l’éducation affirme que le modèle adopté par la Tunisie a été suivi par les pays voisins, à l’instar du Maroc, de l’Algérie ou encore dans le certains Etats du Golfe.

Le scepticisme des enseignants

Quoi de mieux pour un enseignant que de dispenser des cours à des groupes de 15 élèves. Une situation qui permet une meilleure transmission de l’information et des leçons presque particulières. Pour autant, du côté des professeurs, ce nouveau rythme n’a pas que des avantages.

Aïda Mehrez est institutrice et dispense des cours de français dans une école primaire d’El Menzah VI. Selon elle, l’allègement n’en est pas vraiment un. « En réalité, ils ont condensé les modules dans les journées de cours. Si avant, nous n’avions pas le temps d’enseigner en profondeur les choses, la c’est encore pire. Les élèves ont juste le temps de connaître le nom de la notion sans en avoir les explications. », explique-t-elle.

Avec le confinement du printemps derniers, les enfants ont été contraints de rester à la maison et de couper net avec l’école pendant plus de 6 mois. Une situation qui a eu pour conséquence la baisse du niveau des élèves. A noter que la moyenne pour le passage en classe supérieure dans le deuxième cycle de l’enseignement de base a été revu à la baisse passant de 10/20 à 8,5/20.

« Nous avons commencé cette année avec un niveau très médiocre. Personnellement, je considère que je suis en train de faire de l’alphabétisation et de la garde », déplore Aïda.

Cette dernière est très critique également envers le système d’alternance. En effet, pour elle il ne permet pas un suivi correct de la matière enseignée. « Quand je vois un élève le lundi, je ne le revois que le vendredi. Entre-temps, il aura oublié tout ce que je lui ai appris et par conséquent,  je perds beaucoup de temps dans la révision des notions », souligne-t-elle.

Habib Rouis enseigne la philosophie au lycée aux niveaux 4ème et 5ème et aussi pour les ceux qui passeront les épreuves du baccalauréat. Pour lui, ce rythme a fait baisser le rendement des élèves, ce qui a entrainé, par la même occasion, une baisse de la motivation. « Depuis des années déjà, les élèves tunisiens disposent u d’un profond désintérêt pour l’école…avec ce rythme d’un jour sur deux, c’est devenu encore plus flagrant », nous confie-t-il. L’institution scolaire est  dorénavant un espace qui sert seulement à assimiler des notions et non plus un espace où on apprend la vie et la citoyenneté.

Réforme de l’éducation : une urgence pour sauver l’école publique !

Depuis près de trente ans, l’école publique en Tunisie n’a subi aucune grande réforme. Un système qui devient désuet et qui ne s’adapte plus aux changements structurels, culturels et conjoncturels de notre société. La formation des professeurs également n’a subi aucun changement, faisant baisser d’année en année le niveau dans les établissements étatiques.

Pour preuve, l’enseignement public en Tunisie a été déserté par bon nombre de parents. Pour ceux qui en ont les moyens, ils n’ont pas hésité à placer leurs enfants dans des écoles privées qui ne cessent de fleurir aux 4 coins du pays.

La pandémie a démontré l’importance du développement des nouvelles technologies en Tunisie. Ainsi, la Tunisie aurait pu sauver la dernière année scolaire si le système de cours en ligne avait été mis en place. A cet égard, l’inspecteur général de l’éducation, Tahar Mathlouthi affirme que des projets dans ce sens étaient en cours de réflexion au niveau du ministère.

Encore faut-il que la réflexion devienne application.

Au delà de la mise à jour du système éducatif tunisien, il y a aussi toute une sensibilisation à opérer auprès des élèves.

« Redonner du sens à l’école. tout l’enjeu est là! », nous dit Mathlouthi.

En effet, si l’école est un espace d’apprentissage des connaissances, il doit également être un espace de citoyenneté, de vie, de partage… un espace de socialisation. C’est donc tout le paradigme de l’éducation qui doit être mis à plat.

La pandémie du Covid-19 est peut-être ici une chance pour la Tunisie d’entamer de grandes réforme dans l’éducation afin de sauver l’école de la République.

Wissal Ayadi