Quid de l’instance de développement durable en devenir en Tunisie

11-03-2019

L’Assemblée des représentants du peuple (ARP) a organisé ce week-end en partenariat avec Heinrich Böll Stiftung Tunisie, l’association Solidar, et l’académie de la bonne gouvernance une journée d’étude au sujet de « l’instance du développement durable et des droits des générations futures ».

L’assemblée s’apprête à réviser le projet loi portant sur l’instance du développement durable et des droits des générations futures, dont l’objectif est de réaliser l’équilibre économique, sociale et environnementale, et de renforcer la démocratie participative.

Cette instance remplacera le conseil économique et social, dont l’activité a été arrêtée depuis 2011, a indiqué le président de l’Assemblée, Mohamed Ennaceur, lors de cette rencontre organisée à l’initiative de la commission de l’industrie, de l’énergie, des ressources naturelles, des infrastructures et de l’environnement.

Il a ajouté que l’amendement de la loi la régissant vise à préciser le rôle de cette structure qui coopèrera activement avec la société civile.

« Développement durable » et « Générations futures »
Suite à la réunion de la commission le vendredi 1er février 2019, avec les représentants de la société civile, en l’occurrence les associations Solidar et Heinrich Böll Stiftung, des ambiguïtés ont été repérées, concernant la définition des deux termes « développement durable » et « les générations futures », ce qui a nécessité la révision de leurs origines conceptuelles, a souligné Boubaker Houman. L’universitaire a appelé à comprendre les différents domaines concernés par les deux termes en question.

Le taux de croissance économique est directement lié aux indicateurs du développement durable. Ce taux permet de calculer et de chiffrer les indicateurs qualitatifs, qui définissent la qualité de vie du citoyen, a-t-il expliqué.

Quant au concept, il est apparu suite à l’alerte des chercheurs scientifiques, par rapport au modèle économique libéral et capitaliste, de l’époque des 30 glorieuses, consécutives à la fin de la deuxième guerre mondiale. Le but était de souligner les inconvénients de la croissance économique qui n’a pas pris en considération les limites de l’écosystème, et du citoyen.

Par conséquent, un mouvement est né, à travers un Think tank fondé en 1968 à Rome, composé de scientifiques, des groupes industriels, et de fonctionnaires, qui ont choisi comme sujet de recherche cette croissance économique exponentielle.

Ils ont confié cette étude, à une équipe de six jeunes chercheurs de l’institut technologique de Massachussetts, dont le couple Donatella et Denis, qui a travaillé depuis 1970, sur un modèle mathématique de six variables, pour étudier les conditions de la croissance jusqu’à l’année 2100.

Leur livre intitulé « Les limites de la croissance », montre que la courbe de l’évolution de la croissance économique se traduit par une autre courbe contraire, de la diminution des ressources naturelles, en termes quantitatifs et qualitatifs. Cette étude a mis en garde contre un effondrement général en 2030, à cause de la baisse probable de la production alimentaire et industrielle, a expliqué l’universitaire.

L’évolution du concept du développement durable des Nations-Unies
Après cette publication alarmante, la communauté internationale avait commencé à plancher sur cette idée, d’où la mise en place de la première conférence des nations unies, sur ce sujet en 1970, intitulée « le développement de l’environnement humain », dont l’appellation a changé en 1972, pour devenir « la conférence des nations unies pour l’environnement et le développement humain ». En 1990, l’ONU a mis en place deux programmes, le premier pour l’environnement et le second dédié au développement.
En 1983, il y a eu la création d’une commission mondiale spéciale, qui travaille sur le développement et l’environnement, présidée par le premier ministre du Norvège, Gro Harlem Brundtland, jusqu’à 1985.

La définition du développement durable a été comme suit : c’est un mode de développement qui prend en considération les besoins des générations présentes sans compromettre les capacités des générations futures, de répondre aux leurs.

Cette définition est limitative, et son interprétation est ouverte, si on pense l’adopter pour définir le rôle de l’instance du développement durable, a estimé l’ancien président du club Unesco-Alesco. L’approche participative et la précision des besoins et capacités, doivent être mentionnées, dans la définition, afin d’éviter les divergences au niveau de l’instance, affirme-t-il.

Il a appelé à s’inspirer d’autres conventions internationales, comme la déclaration de Rio+20, sur l’environnement et le développement (1992), la convention de 2002, créée au sommet du développement durable à Johannesburg, d’autres conventions autour du réchauffement climatique, la convention sur la conservation de la biodiversité, celle des Nations-Unies sur la lutte contre la désertification, ce qui montre au final, que le concept du développement durable a plusieurs dimensions ».

« Le développement durable est le socle des revendications de la révolution tunisienne »
La dignité est un socle pour le développement durable, à travers l’application du droit humain, en premier lieu, a affirmé Amel Jrad, chargée de mission au ministère des affaires locales et de l’environnement.

Selon elle, le développement durable exige l’interdépendance, l’interconnexion, l’indivisibilité, l’indissociabilité, de tous les objectifs ayant une dimension humaine, comme l’élimination de la pauvreté sous toutes ses formes, ce qui demande d’abord l’élimination de ses causes, liées à la nutrition, le logement, l’éducation, les dimensions politiques…

« Le développement durable demande un raisonnement systémique, et le deuxième terme « les générations futures », doit être protégé par un arsenal juridique qui précise aussi de quelle génération s’agit-il, quels descendants et quelles échelles peut-on considérer : humaine, sociale, locale…Il y a aussi la variable temporelle, qui suppose trois principes : l’équité, la solidarité, l’éthique, ainsi que les principes de la responsabilité, et le droit des générations futures qui demandent des précisions », a expliqué la chargée de mission.

Par ailleurs, la Tunisie a été plutôt visionnaire dans ce domaine a confirmé l’experte, grâce à la création en 1988, de l’agence nationale de la protection de l’environnement. En 2011, le ministère de l’environnement a été mis en place, pour renforcer des codes qui existent depuis 1993, comme le code forestier, le code des lots et de la lutte contre la pollution, le code de l’aménagement, et la commission nationale de la garantie d’un développement durable.

Si le déploiement actuel n’est pas efficace, c’est parce qu’il a été toujours un département ministériel, d’où le manque de l’interconnexion, et la non activation des programmes pour le développement durable, intégrés dans les nouvelles politiques.

Dans ce contexte, Amel Jrad a confirmé que l’instance aura le rôle de superviser les politiques du développement durable, le contrôle et le suivi, ainsi que l’évaluation de l’impact à travers des indicatifs mesurables.

Emna Bhira