Tunisie/ Recrutement de 1130 enseignants : Trop peu, jugent les docteurs au chômage (Reportage)

29-09-2021

L’annonce de la  ministre de l’Enseignement supérieur, Olfa Ben Ouda, au sujet du recrutement de 1130 enseignants et chercheurs au titre de l’année universitaire 2021, a suscité le mécontentement des docteurs au chômage,qui sont actuellement, au nombre de 3000.

En effet, ces bac+10 ont entamé durant 15 mois, un sit-in ouvert au sein du ministère de l’enseignement supérieur, pour revendiquer leur droit au travail, après 7 ans de suspension du concours national de recrutement des enseignants dans les établissements universitaires.

Une annonce en deçà des espérances

Afin de calmer cette colère, le département a annoncé l’organisation d’un concours portant sur 1130 postes de recrutement de chercheurs et d’enseignants chercheurs au titre de l’année universitaire 2021, dont 330 postes seront à pourvoir cette année, et les 800 autres postes feront l’objet de fonds supplémentaires dans le cadre de la loi des finances complémentaire de l’année 2021.

Une annonce en deçà des espérances, qui n’apporte pas satisfaction à la coordination des docteurs et chercheurs au chômage en Tunisie.

« Lors du dernier conseil ministériel tenu à ce sujet, le département a promis d’ouvrir 1000 postes chaque année, et cela pendant 3 ans. Ben Ouda n’a évoqué ni ces recrutements à long terme, ni l’avenir des docteurs au chômage dont le nombre a triplé après les annulations successives du concours national de recrutement au sein du ministère », a souligné Manel Selmi, la porte-parole de la coordination, dans un entretien accordée à Gnetnews.

La majorité des 330 postes évoqués concernent des promotions et des avancements de grades, a-t-elle ajouté.

« Une infime partie des places sera consacrée aux docteurs au chômage. Les autres 800 postes ne sont pas garantis. Nous dépendons désormais des décisions du prochain gouvernement et de la stabilité politique du pays », a confirmé la porte-parole, appelant le président de la république Kaïs Saïed à intervenir.

« Ce chômage prolongé a de lourdes conséquences sur ces bac+10 ayant consacré leur vie à la recherche scientifique. Stigmatisation, précarité et marginalisation, c’est tout ce que la Tunisie a assuré pour son élite », a-t-elle déploré.

« Après 7 ans d’exclusion de la vie professionnelle, nous exigeons des mesures exceptionnelles capables de réduire le taux de chômage dans toutes les spécialités. Les docteurs doivent être admis massivement, non seulement dans les universités et les laboratoires de recherche privés et publics, mais dans tous les  ministères et institutions de l’Etat, afin de garantir la dignité de ces personnes hautement qualifiées, mises à l’écart depuis des années  », a-t-elle martelé.

Les docteurs et chercheurs au chômage ne souhaitent qu’une chose, travailler dans des conditions qui soient à la hauteur de leurs diplômes, affirme la Coordination. « Contrairement à ce que le département essaye de répandre, nous acceptons de nous déplacer dans les régions les plus reculées pour exercer le métier d’enseignant. Mais nous refusons les contrats précaires, sans titularisation, non renouvelables et les vacations. La stabilité professionnelle est désormais vitale pour ces chômeurs privés depuis des années de leurs droits ».

La balle est dans le camp du prochain gouvernement

L’annonce de la ministre a été rejetée aussi par, l’Union des enseignants universitaires et chercheurs Tunisiens (IJABA), qui indique qu’il s’agit de promesses non concrétisées pointant la prestation de Olfa Ben Ouda  depuis son arrivée à la tête du département.

D’après le porte-parole du syndicat, Zied Ben Amor, la ministre renvoie la balle au prochain gouvernement, qui traitera d’un dossier difficile celui d’un éventuel recrutement au sein du ministère, qui n’est pas un acquis pour les chômeurs.

Selon lui, avec l’annulation des concours durant des années et le cumul des sans emplois,  elle devrait multiplier le chiffre de 1130 postes  par 5.

« Le budget du MES pour cette année est de 40 millions de dinars (MD). Avec l’embauche, cette somme va-t-être réduite. La régulation de l’échelle salariale n’est pas encore effectuée, suite aux revendications des universitaires, ainsi que leur nouveau statut correspondant aux normes internationales », a-t-il regretté.

De la poudre aux yeux

Pour les docteurs au chômage également, il s’agit de fausses promesses, qui manquent de transparence et qui trompent l’opinion publique.

En les interrogeant, ils étaient, en majorité, désespérés de l’échec de leur lutte, pour cette cause nationale, estimant qu’il s’agit de la poudre aux yeux.

 « La ministre cherche à redorer son image avec de fausses promesses, en tentant de dissimuler son échec dans le traitement de ce dossier. « Cette classe politique a encore prouvé qu’elle est mobilisée par ses intérêts personnels », nous a confié Samia, 35 ans, chercheuse au chômage depuis 4 ans. « Je ne compte pas me porter candidate pour un concours défaillant. Les préparatifs sont épuisants, et la contrepartie n’est pas garantie avec ce flou qui plane concernant le nombre de postes et les types de contrats ».

Ines, une autre chercheuse au chômage, s’est penchée sur la question de la transparence concernant les compositions des comités scientifiques responsables des admissions.

« Parmi les revendications des chercheurs au chômage, celle de dévoiler la composition de chaque comité, afin de rompre avec la corruption, les pots-de vin et le favoritisme. Jusqu’à maintenant aucune mesure n’a été prise dans ce sens. Ce concours 2021/2022, n’est qu’une arnaque pour absorber la colère des docteurs », conclut-elle.

Yassine,  docteur en mathématique, nous a confié qu’il doute des propos de la ministre.

« Avec l’absence d’un gouvernement et d’un parlement, la décision du ministère des Finances de donner son accord à l’organisation d’un concours portant sur 1130 postes de recrutement de chercheurs et d’enseignants chercheurs au titre de l’année universitaire 2021, n’est pas définitif. La loi des finances complémentaire de l’année 2021 n’a pas été approuvée. Comment une ministre pourrait-elle convaincre des chômeurs sinistrés et désespérés, qui ont sacrifié des années pour le savoir, par de tels propos contradictoires, en ces moments critiques de leur vie, et après 15 mois de protestations ? », a-t-il souligné, d’un air pessimiste.

Emna Bhira