Restaurants : Le collectif « Sayeb Ellil » dénonce les restrictions, source de paupérisation

16-11-2020

Depuis le début de la pandémie de Covid-19 en Tunisie, la situation économique et sociale du pays ne cesse de se détériorer. Après le premier confinement au printemps dernier, de nombreuses sociétés ont dû mettre la clé sous la porte et des milliers de salariés se sont retrouvés au chômage.

Aucun secteur n’a été épargné par le Coronavirus. Si le déconfinement a permis une relative bouffée d’oxygène pour certains, la deuxième vague de la maladie a replongé bon nombre de Tunisiens dans la pauvreté.

L’annonce d’un prolongement de trois semaines du couvre-feu par le gouvernement le week-end dernier, a été la goutte ayant fait déborder le vase. Ce lundi 16 novembre des centaines de personnes se sont réunies à la Kasbah, devant le siège de la présidence du gouvernement afin de crier leur ras-le-bol. Plusieurs secteurs de l’économie étaient présents.

Les travailleurs de la nuit réclament l’arrêt du couvre-feu

La prolongation du couvre-feu jusqu’au 06 décembre prochain a provoqué l’indignation du secteur de la restauration. Des restaurateurs, serveurs, chanteurs, musiciens, et plusieurs ayant comme gagne-pain des activités professionnelles nocturnes, ont exprimé leur rejet de cette décision, dans un sit-in tenu aujourd’hui à la place de la Kasbah.

Réunis par le collectif « Sayeb Ellil » (Rendez-nous la nuit), ils étaient nombreux à dénoncer la précarité dans laquelle ils se sont retrouvés depuis la mise en place des nouvelles mesures de restrictions le 06 octobre dernier. Fermeture obligatoire à 16h, le taux de remplissage de ces établissements ne doit pas dépasser les 30% à l’intérieur et les 50% à l’extérieur.

Omar Trabelsi / Chanteur du groupe Khnefès et fondateur du collectif Sayeb Ellil

Des restrictions qui ont entrainé la baisse du chiffre d’affaire de 70%, nous a dévoilé, Ali Aloulou, propriétaire de plusieurs restaurants dans la capitale.

« En effet, l’augmentation de la fréquentation commence d’habitude à partir de 16h, nous explique-t-il. « A partir de cette heure, on réalise plus que 70% de nos revenus. Actuellement, nous ne pouvons plus payer nos employés, que dire de leur couverture sociale…Certains restaurateurs, ne peuvent plus payer même l’électricité de leurs établissements », déplore-t-il.

« Les restaurants ne contribuent pas à la propagation du coronavirus, autant que les transports communs, les marchés hebdomadaires. C’est insensé de continuer de sanctionner encore plus ce secteur, qui fait vivre toute une population, frappée de plein fouet par la précarité ».

« A cause du couvre-feu, des employés se sont retrouvés au chômage, des agents de sécurité, des musiciens, femmes de ménages, serveurs, des travailleurs dans le secteur de la culture, les salles des fêtes…Tant que le gouvernement n’est pas capable d’assurer des indemnités pour cette population privée de son droit de travailler, le gouvernement est appelé à lever le couvre-feu en ces temps de crise ».

En effet, les employés souvent sans contrat, ni protection sociale, et payés en partie en pourboire, voient leurs revenus fondre. Comme ce chef de rang dans un cabaret, qui nous a confié que depuis un mois, il ne gagne que la moitié de son salaire, 250 dinars par mois. « Je ne pourrais pas payer mon loyer ce mois-ci », indique-t-il avec désespoir.

Des membres de l’UNPS revendiquent leur droit au recrutement

A la place de la Qasbah, ils étaient plusieurs techniciens de la santé publique, à revendiquer leur droit au recrutement dans la fonction publique. Membres de l’union nationale des professionnels de la santé, ils ont été recrutés en 2019, en tant que contractuels dans des hôpitaux dans le cadre du renforcement du corps médical.

Selon le porte-parole de l’UNPS, l’ex-ministre de la santé, Sonia Becheikh, leur a promis un recrutement officiel après an ans d’exercice lors de son mandat. Et pourtant, le département n’a pas tenu ses promesses.

« Actuellement nous sommes sur la première ligne de cette guerre contre le Covid-19, et pourtant nous sommes payés au biais du fonds de soutien consacré à la santé, et non pas à travers le budget de l’Etat. Ceci montre à quel point nous vivons dans la précarité, sachant que nous sommes menacés de licenciement, alors que nous ne bénéficions d’aucune garantie de dédommagement, selon nos contrats. »

A la Kasbah, ces jeunes ont promis l’escalade.  Une démission collective est envisagée par ces professionnels de la santé. Des employés exerçant dans les blocs opératoires, services de réanimation des hôpitaux publics, menacent de quitter leurs postes, en pleine crise sanitaire, au cas où leurs revendications n’ont pas été prises en considération.

Des ouvriers de chantiers stigmatisés

Malgré les derniers recrutements de 31 000 ouvriers de chantier par la fonction publique, d’autres travailleurs ont révélé qu’ils ont été stigmatisés alors qu’ils répondent amplement aux critères d’embauche.

Ils étaient une vingtaine d’ouvriers à protester devant la siège de la présidence du gouvernement depuis 15 jours, revendiquant leur droit à la dignité.

« Nous revendiquons la régularisation de notre situation professionnelle. Nous demandons au ministère de la fonction publique et à l’UGTT de nous prendre en considération. Ces politiques de l’Etat ont conduit à notre appauvrissement. A cause de notre désespoir, certains se sont immolés par leur feu, d’autres se sont déplacés de leurs régions, pour protester ici, à la Kasbah, dans l’espoir d’obtenir une réponse du gouvernement… », nous a indiqué le porte-parole du mouvement des ouvriers de chantiers.

Reportage réalisé par Emna Bhira et Wissal Ayadi