Tunisie : Les Agriculteurs se retroussent le manches pour le démarrage de la saison, de nombreuses insuffisances persistent !

13-10-2022

Les agriculteurs se préparent en ce moment même pour la prochaine saison agricole. Si l’année dernière, la récolte a été meilleure que la précédente, il n’en reste pas moins que la Tunisie est encore loin de pouvoir couvrir ses besoins en céréales, imposant l’importation de blé, notamment tendre, depuis l’étranger et donc à prix fort.

En cause, le manque de productivité due notamment au manque d’engrais chimiques nécessaire à la rentabilité, mais aussi à une absence de vision et de stratégie émanant de l’Etat.

Qu’en est-il pour la saison 2022-2023 ? Quelles sont les prévisions des agriculteurs ? A-t-on les moyens d’augmenter nos récoltes afin d’atteindre un jour l’autosuffisance. réponse avec des professionnels du secteur.

Un peu d’optimisme…

La saison céréalière est rythmée par deux étapes. A partir du 15 octobre prochain, les agriculteurs commenceront la semi de la saison fourragère, qui servira à l’alimentation animale. Un mois plus tard, le 15 novembre ce sera au tour des céréales.

En attendant, les exploitants préparent leurs parcelles en labourant les sols avec de la matière organique ou avec des engrais chimiques. Imed Ouadhour, est l’un d’entre eux. Il est céréalier dans la région de Bizerte.

« Je suis en train de préparer mon terrain. Et je sais d’ores et déjà que cette étape va me couter plus cher car le prix du carburant ne cesse d’augmenter », nous dit-il. A cet égard, l’agriculteur nous explique que cette hausse entraînera les céréaliers à « bâcler » cette étape, voire à diminuer le nombre d’hectares exploités. « Nous devons équilibrer nos couts de production pour pallier à la hausse des carburants ».

Pour autant, Imed Ouadhour est confiant pour la saison à venir, et estime qu’elle sera meilleure que la précédente. « C’est mieux que l’année dernière car nous avons pu avoir accès cette année au « super 45 », engrais que nous n’avons pas pu avoir depuis 3 ans. Pour ma part, cela fait trois ans que je n’en ai pas utilisé. Je ne travaille qu’avec de l’ammonitrate et la culture des légumineuses pour enrichir les sols en azote », souligne-t-il.

Pénurie en DAP, les agriculteurs s’inquiètent

En effet, le principal problème des agriculteurs reste l’accès aux engrais chimiques, régulièrement en pénurie et qui font l’objet de vente au marché noir et de spéculation en tout genre.

« Selon les régions on en trouve, mais pas de manière régulière. Cette situation fait augmenter le risque de spéculation et de hausse des prix. Même si l’Etat a annoncé lé gel du prix des engrais, la demande va être de plus en plus importante », nous dit Ouadhour.

« Ce qui manque encore aujourd’hui pour la préparation de la saison c’est le DAP (mélange de phosphate et ammonitrate). On l’utilise non seulement dans les grandes cultures, mais également dans les cultures maraichères, qui l’utilisent toute l’année, sans compter ceux qui cultivent les légumineuses et les arboriculteurs. Il y a donc une pression sur ce produit, ce qui accentue le risque de pénurie », poursuit-il.

Pourtant, de son côté, le Groupe chimique tunisien a affirmé cette dernière période que les engrais destinés à la production agricole sont disponibles en quantités suffisantes pour le démarrage de la saison agricole dans les meilleures conditions. « Ce qui se dit dans les discours n’est pas le reflet de ce qui se passe sur le terrain », affirme Imed Ouadhour.

Un constat partagé également par Bechir Mestiri, président du groupement professionnel de l’agriculture relevant de la CONECT. « On est inquiet par rapport aux engrais. On risque de ne pas en avoir du tout. Nous n’avons pas suffisamment de garanties de l’Etat », déplore-t-il.

La Tunisie produit une part de ses besoins en engrais, notamment par le Groupe chimique tunisien (GCT) dont les matières premières, essentiellement le phosphate, sont fournies par la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG).

Cependant, la production de ces engrais reste aléatoire et est perturbée par la situation financière du groupe, les troubles sociaux et les grèves à répétition dans les unités de production de la compagnie de phosphate de Gafsa.

Ainsi, l’Etat a été contraint d’importer 60 mille tonnes d’ammonitrate agricole entre 2020 et 2021 pour combler la régression de la production nationale.

Sauf que l’actuelle conjoncture financière et économique nationale ainsi que le contexte de conflit sur fond de la crise russo-ukrainienne impactent les capacités de recourir aux importations.

Par ailleurs, l’augmentation du prix des céréales de 30% décidé par l’Etat a incité de nombreux agriculteurs à augmenter leur production. Ainsi, la pression sur les engrais, mais aussi les semences sélectionnées risque de prendre de l’ampleur.

Les opérateurs qui vendent les semences sélectionnées ont subi ces dernières semaines une demande importante de la part des agriculteurs. « Pour ma part je suis multiplicateur à la COSEM, et nous avons tout vendu. Cela ne s’est jamais vu ! Donc il faut s’attendre à une pression et à des pénuries », précise Mestiri.

« Nous savons qu’une quantité d’ammonitrate est stocké a Goubellat mais elle ne couvre que 25% des besoins. Pour le reste c’est le flou total. Ce qui a pénalisé la dernière récole, c’est le fait que le troisième apport en engrais a été amputé faute de disponibilité. Sans engrais, il n’y a pas de récolte. Nous sommes dans une agriculture productiviste sans limites. Nos céréales sont dopées aux engrais et aux pesticides », ajoute-t-il.

L’Etat veut augmenter les parcelles emblavées

De leur côté, les autorités ont pour ambition d’augmenter la production céréalière d’environ 50% à partir de l’année prochaine. Pour cela l’Etat a incité les agriculteurs à produire plus en augmentant de 30% le prix des céréales à la production.

Mais pour Bechir Mestiri, il s’agit là d’un discours creux. « La hausse du prix des céréales à la production va automatiquement relever le nombre de surfaces emblavées » relève-t-il.

D’après le céréalier Imed Ouadhour, pour espérer un jour atteindre l’autosuffisance il faut encore un long travail. Il préconise dans un premier temps  d’ appuyer la sensibilisation auprès des agriculteurs. « Il faut les former pour qu’ils comprennent les différentes maladies, les besoins de chèques région en fonction du climat afin d’optimiser la production. Aujourd’hui, la Tunisie a un très faible taux de rentabilité puisque en moyenne nous arrivons a produire entre 14 et 16 quintaux par hectares, alors que nous devrions être à 23 quintaux, par rapport aux normes mondiales. Il faut fournir les engrais à temps et en quantité et également mettre à disposition les outils suffisants pour éviter le risque d’incendies », nous dit-il.

Un manque de stratégie

Selon Bechir Mestiri, la solution est d’élaborer une stratégie à long terme et non pas à court terme.

« Il faut arrêter de faire une agriculture sociale. Si nous voulons atteindre l’autosuffisance, il faut professionnaliser la filière agricole. Or aujourd’hui, nous avons une majorité de petits exploitants qui ne disposent d’aucune formation, d’aucun diplôme. On confie notre production à des gens qui ne savent pas faire. Et c’est  la même chose pour l’élevage. Il faut développer la recherche de semences plus performantes et plus adaptées en encourageant les scientifiques, mais également des ingénieurs informatiques, pour créer des bases de données informatisées », lance-t-il.

Ce n’est pas faute d’avoir proposé. En effet, le responsable syndical nous indique qu’il a rencontré tous les ministres de l’Agriculture qui se sont succédé depuis 2011, en leur soumettant des projets et des pistes de réflexions afin d’élaborer une politique agricole claire, mais en vain.

« Aujourd’hui à cause de l’inertie des autorités, on se contente de gérer au jour le jour, à jouer les pompiers… Avec tous les enjeux en termes de sécurité alimentaire, de réchauffement climatique, il est urgent d’agir », conclut-il.

Wissal Ayadi