Le Sommet Italie – Afrique et la participation tunisienne aux yeux de Ghazi Ben Ahmed

01-02-2024

Ce début de semaine a été marqué par la tenue à Rome du Sommet Italie-Afrique. Ce qui devait être un grand évènement rassemblant les plus grands dirigeants africains et une occasion pour la présidente du conseil Italien, Giorgia Meloni, de présenter la fameux plan Mattei, un plan de développement pour le continent, « d’égal à égal » a finalement reçu un succès en demi-teinte. Les questions migratoires ont été au cœur des discussions et n’ont pas convaincu l’élite africaine.

Ghazi Ben Ahmed, président du think tank Mediterranean Development Initiative (MDI), nous livre son analyse sur la question.

Ghazi Ben Ahmed

Un enjeu électoral

Dans un premier temps, Ghazi Ben Hamed indique que ce sommet s’inscrit dans le contexte des élections européennes de juin prochain. En effet, les partis d’extrême droite, dont fait parie Girogia Meloni, sont les favoris de ce scrutin. « C’est l’incapacité de Meloni à contenir les migrants, principal slogan de sa campagne électorale, qui l’a poussé à organiser ce sommet. Pour ce scrutin, la droite et l’extrême droite sont donnés gagnants et elle veut montrer ce qu’un gouvernement d’extrême droite peut faire quand il est aux manettes, notamment en terme d’immigration », relève Ben Ahmed.

A noter que l’immigration illégale sera un thème central des élections européennes à venir en juin. Cette perspective effraie les conservateurs européens, conduisant finalement à la signature du Pacte européen sur la migration et l’asile après plusieurs années de blocage.

Par ailleurs, Ghazi Ben Ahmed considère que ce sommet a eu un demi-succès au vu de la quinzaine de chefs d’Etat qui se sont déplacés et de l’absence de gros pays comme le Nigeria par exemple ou de l’envoi de simple représentants comme ce fut le cas pour l’Algérie.

« Ceux qui sont venus savaient que ce sommet était une boite vide. C’était une occasion pour ces présidents d’apparaitre sur la photo de famille, l’occasion de briller et par leur présence, ils ont tous contribuer à blanchir ou légitimer la politique raciste de Meloni contre les migrants », fustige-t-il.

Le Plan Mattei : Faire de l’Afrique les garde-côtes de l’UE

Lors de son discours d’ouverture, la présidente du Conseil Italien a annoncé la mise en œuvre du Plan Mattei, qui porte le nom d’Enrico Mattei, le fondateur du groupe énergétique italien ENI. Selon Ghazi Ben Ahmed, la philosophie de ce plan Mattei et plus globalement de ce sommet est, en quelque sorte, de généraliser le mémorandum que l’UE a signé avec la Tunisie. « Il s’agit en réalité de sous-traiter la défense des côtes européennes à un pays tiers ».

Dans ce même contexte, Ghazi Ben Ahmed rappelle la tragédie survenue dans la ville italienne de Cutro en février 2023. C’est sur les rives de cette région du sud de l’Italie que, le 26 février, le Summer Love, un navire de migrants en perdition, s’est brisé à quelques mètres du rivage, provoquant la mort de 94 personnes parmi lesquelles 35 mineurs. « Depuis ce drame, la décision a été prise de sous-traiter les sales besognes. Nous l’avons encore vu cet été en Tunisie avec des migrants livrés à eux même dans le désert tunisien ou sous les oliviers de Sfax. C’est cela la politique de Meloni », souligne Ben Ahmed

Si le plan Mattei a été présenté comme un plan de développement de l’Afrique d’égal à égal, il semble pourtant ressembler à un contrat d’intérêts sur fond de gaz et de gestion migratoire. « Il s’agit de pomper du gaz en Afrique et d’arrêter des migrants grâce à une enveloppe allouée de 5.5 milliards d’euros, étalés sur une période de 5 à 7 ans. Cet argent sera financé par la coopération italienne et le fonds italien pour le climat. D’où une levée de bouclier des ONG engagées pour le climat », précise Ghazi Ben Ahmed.

En effet, l’Italie veut se désolidariser du gaz russe auquel elle est dépendante à hauteur de 40%, pour le remplacer par du gaz algérien et des autres gisements découverts en Afrique de l’Ouest.

« Meloni espère que d’autres pays viendront alimenter le fonds et qu’elle pourra utiliser de l’argent de l’UE comme elle l’a fait pour la Tunisie. Mais il y a peu de de chance que plan réussisse en raison du scepticisme des autres pays autour de ce plan », relève Ghazi Ben Ahmed.

« Les italiens ne sont pas sérieux car il y a déjà un plan UE/Afrique sur la table et être sérieux et cohérent serait revenu à épauler ce plan et agir à l’intérieur de ce plan », ajoute-t-il.

Kaïs Saïed est venu rencontrer Meloni…Basta !

Le président de la république, Kaïs Saïed a exprimé son approbation du plan Mattei, soulignant « qu’il ne se limite pas à la coopération dans divers secteurs, mais représente une voie bidirectionnelle. Cette voie est caractérisée par plusieurs étapes, liées aux revendications légitimes de chaque individu, où le Nord et le Sud, tout comme l’Afrique et l’Italie, se donnent la main pour progresser sur la base d’une relation égalitaire, ouvrant ainsi une nouvelle page dans l’histoire »,a-t-il dit en substance lors de son discours.

Saïed s’est réjoui de la contribution actuelle à « l’établissement d’une structure de pensée rompant avec les anciens concepts et ouvrant de nouvelles perspectives. Dans cette vision, tous les êtres humains sont considérés comme égaux, sans qu’il y ait de classement préférentiel entre les sociétés et les pays ».

D’après Ghazi Ben Ahmed, Kaïs Saïed devait marquer sa présence après « le fiasco » du mémorandum d’entente. « Il faut rappeler qu’à l’époque c’est une feuille de route sans détails et sans protocoles de mise en œuvre qui a été signée par Meloni, Saïed et Ursula Von der Leyen. Ils ont signé et ont conclu de s’arranger pour les détails par la suite. Sauf que la Tunisie s’est vite rendue compte qu’il s’agissant en réalité pour le Tunisie de devenir le garde-frontière de l’Italie et de l’Union européenne », nous dit-il.

« Kaïs Saïed est venu à Rome pour avoir une rencontre bilatérale avec Meloni pour justement discuter de la marche à suivre et du devenir de ce mémorandum d’entente, sa mise en œuvre et sa finalité financière. La Tunisie a besoin d’argent et notamment de devises pour payer l’échéance de 850 millions d’euros prévues pour février. Ainsi, la mise en œuvre financière de ce mémorandum pourrait constituer une source de financement important », poursuit Ben Ahmed.

Wissal Ayadi