Face à la crise, les Tunisiens se serrent la ceinture et se limitent à des dépenses à minima !

11-01-2023

La crise, la baisse du pouvoir d’achat, les difficulté économiques des entreprises, le pénuries de produits alimentaires… Force est de constater qu’un véritable sentiment de morosité s’est installé dans le cœur des Tunisiens qui ne parlent plus que de ces sujets, de comment ils vont terminer le mois, des activités de loisirs qu’ils ne pratiquent plus et de la sinistrose aigüe qui les guette.

En ces temps de crise, quelles sont donc devenues leurs priorités, à un moment où tout le monde doit se serrer la ceinture pour vivre, ou même survivre pour certains.

Avec une inflation de 10%, qui pourra atteindre, voire dépasser les 11% dans les prochains mois, la situation ne semble pas s’éclaircir dans le ciel qui obscurcit la vie des Tunisiens depuis quelques années. Au détour de discussions de café, ou entre amis ou en famille, c’est toujours le même discours que l’on entend. La hausse des prix, les pénuries, la baisse du pouvoir d’achat et surtout une perte de confiance totale dans l’Etat, qui s’est notamment fait sentir par un taux d’abstention record lors des dernières élections législatives.

Nous avons tenté dans cet article de mettre justement en lumière ces discussions et débats qui sont sur toutes les lèvres… Voici un échantillon de quelques témoignages qui traduisent de l’état d’esprit des Tunisiens…

« Ma priorité c’est me loger et me nourrir »

Zouheir est salarié dans une agence d’assurances. Propriétaire depuis plusieurs années, il fait partie de la classe dite moyenne. Une classe moyenne qui a été lourdement frappée par la crise économique et dont le gap avec les classes inférieures ne cesse de se rétrécir.

Nous éviterons ainsi de parler de salaires car, aujourd’hui en Tunisie, cela ne veut plus dire grand chose… Sur la question de la répartition de son budget mensuel, il nous explique que dorénavant, son seul salaire, qui fait vivre le couple, sert uniquement à se loger, se chauffer et se nourrir. « Il n’y a plus vraiment de place pour les loisirs malheureusement. J’ai décidé de faire une croix sur les vacances notamment en me disant que je vais les reporter à plus tard cela ira un peu mieux », nous dit-il.

Zouheir est un bon vivant. Il aime de temps en temps se faire de bons restaurants… Là aussi, il indique que ces sorties sont devenues très rares. « Les sorties dépendent également des autres puisque souvent je sors avec des amis qui eux-même souffrent de la crise. Les programmes ont, donc, naturellement diminué », ironise-t-il amèrement, nostalgique de ces moments agréables.

Pour s’évader de son quotidien et changer d’air, Zouheir a trouvé la parade en changeant la nature de ses activités de loisirs. « J’ai substitué les loisirs que je pratiquais avant avec des choses moins couteuses. Par exemple au lieu d’aller à l’hôtel, je vais dans une maison d’hôte. Au lieu d’aller au restaurant, je vais aller au cinéma. Je fais aussi des piques-niques dans dans la nature. C’est agréables et pas cher ».

« Pas question de réduire le budget loisirs ! Â»

De leur côté, Bedis et Hana, un jeune couple sans enfants issu eux-aussi de la classe moyenne, ont décidé de réduire les dépenses en courses et en nourriture notamment. « Il était hors de question de sacrifier nos loisirs. Sans cela c’est la dépression assurée », nous disent-il.

Ils ont ainsi pris la décision d’acheter moins de viande et de poissons pour se concentrer sur les légumes. Ainsi, à midi, ils préparent un panier pour déjeuner sur leur lieu de travail et le soir c’est soupe ou salade.

« Mon budget loisirs a baissé de 70% »

Fredj est chef d’entreprise dans le domaine du sport. Mariés, 2 enfants à charge, les voyages étaient pour lui une priorité avant la crise du Covid-19. Aujourd’hui il essaye de ne plus y penser.

« Le budget réservé aux sorties et divertissements à baissé d environ 70 %. Depuis 2020 je n’ai pas pu faire de voyage alors qu’avant j’en faisait un au moins une fois par an. Maintenant ce n’est même plus la peine d’y penser à cause de la baisse du pouvoir d’achat mais surtout de la dévaluation du dinar », relève-t-il.

Epargner devient de plus en plus difficile

En ce qui concerne l’épargne, Bedis et Hana ont pour, la première fois, décidé de mettre de l’argent de côté. Si à leur âge, l’objectif de cette épargne serait d’acheter un bien immobilier, une voiture ou investir dans un projet d’entreprise, pour eux, en réalité il s’agit plutôt de faire face aux aléas de la vie. « Avec l’augmentation du coût des crédits nous ne pensons même pas à investir dans quoique ce soit. Autant rester locataires. Nos économies nous les utilisons au cas ou la voiture tombe en panne ou pour les imprévus de factures », soulignent-ils.

Fredj lui, a dépensé toute son épargne pendant crise du Covid-19, car il avait arrêté son activité. « Aujourd’hui je n’arrive plus à mettre un seul millime de côté car entre les dépenses quotidiennes et les études de mes enfants, le cout de la vie est devenu beaucoup trop important ».

Pour sa part Zouheir a dépensé toute son épargne dans l’organisation de son mariage et continue aujourd’hui de payer ses dettes… « L’épargne ce sera pour plus tard », lance-t-il.

« Tout ça, c’est de la faute de l’Etat »

Si les priorités de chacun de nos interlocuteurs diffèrent, ils s’accordent tous sur un point… celui de la responsabilité de cette situation qu’ils imputent à l’incompétence des autorités. A aucun moment, ils n’ont évoqué les facteurs exogènes d’une crise que l’on peut qualifier de mondiale. 

« Cette situation en Tunisie est due essentiellement au manque de visibilité et de stratégie de la part de l’Etat. Cela n’encourage pas à investir dans un projet immobilier, ou à créer sa propre entreprise. Je préfère garder mon argent pour consommer ou pour épargner. Je suis très pessimiste pour l’avenir. Avec les politiques qui sont menées maintenant en Tunisie je ne vois pas du tout comment nous allons nous en sortir », affirme Zouheir.

Fredj, lui déplore la gouvernance du pays, l’impuissance de l’Etat face aux problèmes sociaux et économique, la perte de toute capacité de résilience de l Etat, la corruption, le modèle économique du pays, l’irresponsabilité des politiques et l’incompétence de l administration.

Bedis et Hana, eux non plus ne croient plus en la Tunisie et n’arrivent pas à voir une amélioration de la situation du pays. « Je suis pessimiste quant à l’avenir. La nouvelle loi de finances ne nous encouragent pas à investir ou à créer notre propre projet. Tous les ans on nous sort de nouvelles lois et taxes qui pourraient du jour au lendemain mettre en péril une entreprise. Rien n’est fait pour encourager les gens à aller de l’avant et à envisager un avenir meilleur. Pour ma part je ne cois plus en rien et je n’hésiterai pas à partir à l’étranger si je trouve une opportunité », nous avoue Hana.

Même s’il s’agit que d’un petit échantillon, ces Tunisiens ont pointé les difficultés auxquels une majorité de la population est confrontée. Une malaise économique qui se transforme de plus en plus en un mal-être ambiant et palpable.

Wissal Ayadi