La Tunisie ne dispose d’aucun plan de mobilité, le transport public à la traîne

02-03-2023

Les transports en commun jouent un rôle crucial dans la mobilité urbaine en Tunisie, en permettant à des millions de personnes de se déplacer quotidiennement à travers le pays. Le réseau comprend un certain nombre d’options, notamment les trains, les métros, les bus, les taxis collectifs et les tramways.

Malgré la présence de ces différents moyens de transport, ce secteur est sujet à de nombreux problèmes qui rendent le voyage difficile pour les utilisateurs : engorgement et surcharge, retards et pannes, manque et vétusté des infrastructures, confort ou encore sécurité. 

Avec une crise économique sans précédent, les sociétés de transports publics en Tunisie sont dans des situations économiques plus que difficiles avec des dettes qui s’accumulent et l’impossibilité de rénover les équipements ou même de penser à une nouvelle stratégie de mobilité, qui pourtant pourrait constituer un levier de développement important pour le pays.

Pour en savoir plus, Gnetnews s’est entretenu avec Afef Ben Ghenia, fondatrice et Présidente de l’Association des Ambassadeurs de la Sécurité Routière (ASR).

Etat des lieux

En Tunisie, quand on parle de transport, il faut savoir que 70% du transport de personnes est exploité par des voitures privées. 50% de l’infrastructure routière est, ainsi, utilisée par les automobilistes.

Une situation qui est due à la faiblesse du secteur des transports publics en Tunisie. « Quand un Tunisien prend les transports en commun, il ne trouve ni dignité, ni sécurité, ni confort », nous dit Afef Ben Ghenia. Trois critères qui, selon cette dernière, doivent être offerts aux citoyens qui tous les matins sortent de chez eux tôt le matin pour aller travailler ou étudier.

Les transports publics en Tunisie pâtissent essentiellement de la crise qui touchent les sociétés de transports tunisiennes qui sont toutes déficitaires et en voie de faillite. Pour exemple, les dettes de  la Société des transports de Tunis, TRANSTU, ont atteint 1880 millions de dinars en 2022, dont 230 millions de dinars pour les banques et les fournisseurs de pièces de rechange, en plus de la difficulté à respecter ses obligations envers les fournisseurs publics. D’après la direction de la TRANSTU, cette situation est expliquée par la non-révision de la tarification de transport depuis plusieurs années, outre la hausse des coûts liés aux services, notamment la hausse des prix du carburant, des pièces de rechange et la masse salariale.

Les données officielles révèlent que la SNCFT a enregistré, de son côté, un endettement record de 1602,6 millions de dinars, répartis entre l’Etat (88,6 MD), les banques locales (250,5 MD), les banques étrangères (829,6 MD), les entreprises publiques, les caisses sociales (376,6 MD) et les fournisseurs (57,3 MD).

En ce qui concerne les équipements, là aussi, la situation est catastrophique. En effet, il ne passe pas un jour sans qu’un bus ne tombe pas en panne au beau milieu de la route faute d’entretien, de rénovation et de rachat de nouveaux véhicules. Il est de même pour les trains.

Le retard dans la mise en œuvre des programmes d’acquisition a entraîné le vieillissement du parc, dont l’âge moyen est maintenant de 12 ans et 7 mois pour les bus, de 27 ans et 11 mois pour les wagons des métros et de 44 ans et 11 mois pour les trains du tramway TGM. Cela explique l’augmentation du nombre de pannes depuis 2020.

Les chiffres publiés par la TRANSTU, le 16 février parlent d’eux-mêmes :

Nombre de bus en circulation : 437 en 2022 contre 744 en 2010

Métros : 57 wagons en 2022 contre 118 en 2010

Tramways: 5 trains en 2022 contre 11 en 2010.

«Il en est de même pour le réseau de transport ferroviaire,. Un responsable de la SNCFT m’a avoué ouvertement que la maintenance de certains trains a dépassé les 10 voire 15 ans. Il sont devenus de vrais dangers publics », poursuit la Présidente de l’Association des Ambassadeurs de la Sécurité Routière.

Afef Ben Ghenia/ Présidente de l’Association des Ambassadeurs de la sécurité routière

Aucune stratégie ni vision

Le ministère du Transport a annoncé, le mardi 21 février, que la ligne E du réseau ferroviaire rapide (RFR) en est à sa dernière phase  expérimentale, en vue de son entrée en exploitation. C’est dans un wagon flambant neuf et à la pointe de la modernité que le ministre du Transport, Rabiï Majidi, s’est rendu, ce lundi 20 février 2023, accompagné du gouverneur de Tunis, Kamel Feki, à  la station de Bougatfa, à bord de l’un des trains qui sera déployée sur la ligne E.

Mais ce projet, qui doit faciliter la circulation sur les routes de la capitale et améliorer la mobilité du citoyen a été initié depuis…2007. Il aura donc fallu 16 ans pour qu’il voit enfin le jour!

Pour Afef Ben Ghenia, la Tunisie ne dispose d’aucun plan de mobilité, les stratégies sont à l’arrêt depuis de nombreuses années et il n’y aucune annonce de projet futur. Cette dernière évoque notamment le fameux projet du métro de Sfax, lancé en 2015, et qui à ce jour en est encore au stade de l’étude.

« Tous les ministres qui se sont succédé à la tête du ministère du Transport n’ont fait que gérer la situation actuelle, sans entamer de stratégie à long terme pour régler les problèmes de mobilité et de fluidité urbaines », souligne-t-elle. « La route transporte tout le monde. Voitures, bus, camions, vélos, piétons…et prier le bon Dieu pour arriver sain et sauf », ajoute-t-elle.

Par ailleurs, Afef Ben Ghenia déplore l’absence de desserte dans les nouveaux quartiers qui voient le jour dans le Grand-Tunis. « Il n’y a aucun plan de mobilité pour ces quartiers. Ils ne sont desservis par aucun moyen de transport poussant les usagers à acheter encore et toujours des voitures ou à utiliser les taxis collectifs qui sont un réel danger de la route », indique-t-elle. Ben Ghenia insiste sur la nécessité d’impliquer les acteurs du transport dans les plans d’aménagement urbain.

Impact direct sur la sécurité routière: 4 morts/ jour sur les routes tunisiennes

D’après une étude récente de l’Observatoire national de la sécurité routière, quatre personnes sont tuées en moyenne, chaque jour, dans des accidents de la route en Tunisie.

Selon Afef Ben Ghenia, cette situation est notamment due au fait que « la Tunisie ne dispose  pas d’un réseau de transport en commun à la hauteur et qui peut être exploité dignement par les Tunisiens ».

« Tous les jours, il y a des braquages dans le métro, en plus d’être en retard, les différents équipements sont sales et vétustes ». En effet, le manque d’entretien des flottes ont poussé de nombreux Tunisiens à acheter des voitures, encouragés de surcroît par la politique de la voiture populaire qui a encore fait plus de mal au secteur du transport public. Qui dit plus de voitures, dit plus d’accidents de la route.

Transports en commun : un levier de croissance économique

En ces temps de vaches maigres, le transport public peut être une solution pour les usagers qui subissent les hausses des carburants, du cout exorbitant de l’entretien des véhicules et le stress quotidien des embouteillages.

Le secteur de la mobilité urbaine peut également être une source importante de croissance économique pour plusieurs raisons :

D’abord pour la création d’emplois. Les entreprises de transports publics nécessitent un grand nombre de travailleurs pour la conduite des véhicules, la maintenance, la billetterie, la planification et la gestion, ainsi que pour d’autres fonctions.

Les transports publics peuvent aider les gens à se déplacer plus rapidement et plus efficacement. Les trajets plus courts signifient que les travailleurs peuvent arriver plus tôt au travail, et donc être plus productifs. Cela peut se traduire par une augmentation de la production et des bénéfices pour les entreprises.

Ils peuvent aussi réduire les coûts de transport pour les particuliers, car ils n’ont pas à acheter de voitures ou à payer pour l’essence, l’entretien et les assurances. Les entreprises peuvent également bénéficier de coûts de transport réduits pour leurs employés, ce qui peut augmenter leur rentabilité.

Le développement d’un plan de mobilité urbaine a un impact positif sur la congestion routière en réduisant le nombre de voitures sur les routes. Cela peut également aider à réduire les émissions de gaz à effet de serre, ce qui est bénéfique pour l’environnement et la santé publique.

Enfin, les transports en commun contribuent au développement urbain en encourageant la densification autour des stations, ce qui peut stimuler les investissements dans les zones adjacentes.

Pendant que les progrès de la technologie sont en train de révolutionner le secteur du transport urbain, avec des bus électrique et sans conducteur et ce partout dans le monde, y compris chez nos voisins, la Tunisie est encore à la traîne.  Le système de transport est dépassé, l’infrastructure est en mauvais état et le nombre de victimes d’accidents de la circulation est élevé. Le pays fait face à des difficultés pour trouver des solutions efficaces pour améliorer la circulation et la mobilité des citoyens tout en assurant une rentabilité et une sécurité adéquates.

Wissal Ayadi

1 Auteurs du commentaire
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Ahmed ELLEUCH

Oui effectivement, une révolution du transport en commun en Tunisie est indispensable pour le pays et en particulier pour le grand Tunis ! C’est la priorité des priorités pour espérer un développement qualitatif de l’économie en Tunisie… Pour y parvenir, il faudra opter pour des raccourcis conceptuels et technologiques basés sur l’intelligence artificielle en l’occurrence le concept digital twin (jumeaux numériques) axé sur la mobilité. Il s’agit là de faire gagner en temps et en argent l’Etat tunisien pour instaurer une mobilité intelligente au service du citoyen. D’ailleurs, cette conceptualisation tient compte notamment des particularités sociétales. Un projet pilote « Digital… Lire la suite »