Tunisie/ Coronavirus : Automédication, vaccin, effets secondaires… le point avec Dr Faten Driss Ben Saïd

06-08-2021

Depuis l’apparition du Covid-19, de nombreuses personnes ont recours à l’automédication. Prise d’antibiotiques, de corticoïdes ou encore de vitamines en tout genre… Des pratiques qui peuvent faire courir un vrai danger.

Par ailleurs, avec l’accélération de la campagne de vaccination, certains craignent les effets secondaires des injections en les minimisant parfois et en les exagérant d’autres fois. Les réseaux sociaux ont participé activement a créer de fausses idées sur ces deux questions.

Afin de démystifier certaines pensées qui alimentent l’imaginaire collectif, nous nous sommes adressés au Dr Faten Driss Ben Saïd. Médecin spécialisée dans le traitement de la douleur et en addictologie à Tunis, elle lutte depuis longtemps contre ces pratiques. Entretien.

Quelle est la première chose à faire dès l’apparition de symptômes ?

« Les symptômes sont devenus atypiques. Aujourd’hui ont ne doit plus s’attendre à des symptômes classiques : état grippal, douleurs articulaires, musculaires, baisse d’énergie, fièvre, céphalées, nez qui coule ou bouché, disparition de l’odorat et du goût., toux et difficultés respiratoire.

Ces derniers peuvent être tous absents et nous pouvons développer d’autres symptômes complètement différents: diarrhée, crampes abdominales, douleurs thoraciques qui peuvent faire croire à un infarctus, douleurs au niveau des flancs, ou encore des vertiges, des étourdissements, allant jusqu’à des malaises.

Le Covid est devenu un fourre-tout. Ainsi, il ne faut pas hésiter à aller consulter dès l’apparition n’importe quel symptôme que nous venons de mentionner. Beaucoup appellent leurs médecin par téléphone pour éviter les frais, mais il est indispensable d’aller consulter en cabinet pour que le médecin puisse procéder à une auscultation complète ».

De nombreuses personnes ont recours à l’automédication. Quel est votre point de vue sur cette pratique ?

« L’automédication est un fléau qui est répandu depuis de nombreuses années. Avec l’Internet, les patients se sont habitués à aller consulter des articles sur la toile ou même aller demander des conseils médicaux sur les réseaux sociaux dans des groupes. On s’imagine qu’il y a toujours des ordonnances type alors que c’est une pratique qui est très dangereuse. Pour le Covid cela s’est accentué.

Avant toute prise de traitement, il faut d’abord porter un diagnostic et le médecin est le seul qui est capable de donner un diagnostic fiable. Cela permet de reconnaître les contre-indication car la connaissance des antécédents d’un patient est une condition essentielle à la prescription du traitement adéquat.

Le médecin est le seul habilité à évaluer le protocole médicamenteux qui correspond au patient. Chaque personne est différente de par son âge, ses antécédents et surtout son son statut immunitaire, qui demeure une des données la plus importante notamment pour le traitement du Covid.

Par ailleurs, je voudrais saluer les médecins du privé qui se sont portés volontaires pour soigner les patients à domicile. Là aussi, il faut insister sur les personnes qui utilisent des concentrateurs d’oxygène chez eux. Je vois de nombreux posts dans des groupes sur les réseaux sociaux qui formulent des demandes pour les réglages du concentrateur ou décider seuls à partir de quelle saturation il faut intervenir. S’il y a des doutes, il faut absolument appeler le médecin même par téléphone…il sera le seul à donner les bonnes informations et à indiquer le recours aux concentrateurs et à l’oxygène pour quel patient et à quel moment ».

Quels sont les risques de l’automédication ?

Il n’y a pas de médication anodine. Il peut y avoir des risques allergiques. La réaction allergique n’est pas banale. Certains pensent que c’est juste une réaction cutanée qui n’est pas méchante mais elle peut s’aggraver et causer un arrêt respiratoire voire même un décès.

Les contre-indications d’un médicament sont régies par l’âge, des antécédents de diabète ou de problèmes au niveau des reins qui ne filtrent pas bien les médicaments. Il faut également faire attention à l’interférence entre différents médicaments. C’est pour cela qu’un médecin demandera toujours si le patient prend des médicaments.

En ce qui concerne le COVID, il faut savoir que c’est un virus et donc une infection. Les gens ont tendance à se précipiter pour aller prendre des antibiotiques sans réaliser la gravité de ce geste et cela peut conduire a des cas de surinfection. Il y a le COVID qui a fragilisé l’organisme et on peut attraper d’autres bactéries en parallèle.

Lorsqu’on prend des antibiotiques de manière non justifiée, le jour où on en aura vraiment besoin, ils ne seront plus efficaces. C’est ce qu’on appelle l’antibiorésistance. La bactérie deviendra alors plus virulente. Un médicament efficace traite, quand il y a une raison de le prendre.

Mais en Tunisie beaucoup d’antibiotiques sont délivrés sans ordonnance dans les pharmacies…

Les antibiotiques sont délivrés sans ordonnance et c’est vraiment grave. Le personnel de la pharmacie, qui n’est pas forcément pharmacien de formation, se précipite à prescrire des médicaments, alors que ce n’est pas son rôle. C’est un exercice illégal de la médecine. La loi prévoit des sanctions à cet égard mais sur le plan pratique, c’est loin d’être appliqué.

Depuis l’apparition du COVID, le personnel de la pharmacie donne un « PACK COVID » (antibiotique, coricides, vitamines). Certains se permettent même de vendre des médicaments anticoagulants qui sont très dangereux car ils peuvent exposer à des incidents hémorragiques très graves qui peuvent être mortels quand ils sont prescrits à tort. Même le médecin le prescrit de manière prudente.

Il en va de même pour les vitamines. Ce n’est pas un traitement anodin. Il y des doses à ne pas dépasser. Rien ne doit être banalisé.

En cas de contamination par le COVID, les antibiotiques et les corticoïdes ont fait apparaître des complications ainsi que des formes plus graves de la maladie chez des patients qui ont incubé une forme légère du coronavirus.

J’aimerais ne plus entendre la fameuse phrase « C’est à la pharmacie qu’on m’a préscrit ce médicament» ».

Aujourd’hui, la courbe des contaminations à l’air de se stabiliser… A t-on vraiment dépassé le danger grâce, notamment, à la vaccination ?

« Le vaccin est nécessaire. Cela procure une protection et cela augmente les chances de développer une forme légère en cas de contamination et d’éviter de se retrouver en réanimation. Mais cela n’empêche pas de l’attraper. Le vaccin n’est pas une barrière à la contamination ni un bouclier entre les gens et le virus, seuls les gestes barrières le sont. 

Nous ne sommes pas encore sortis de la pandémie. Ce n’est pas la vaccination qui fera baisser les chiffres actuels, car elle ne sera significative que lorsque la majorité d’entre nous sera vaccinée. Beaucoup de personnes se relâchent le jour de la vaccination et c’est l’occasion de se contaminer surtout en cas d’encombrement des centres de vaccination. Il ne faut surtout pas enlever le masque et il est essentiel de respecter la distanciation.

Il y a des gens qui attrapent le virus, tout juste avant la vaccination. Ce cas de figure peut peut être très dangereux. Ainsi, quand on ressent le moindre symptôme juste avant de se faire vacciner, il faut demander l’avis d’un médecin car il y a des risques quand on se fait vacciner en ayant le COVID ».

Quels sont les effets secondaires du vaccin anti-COVID et que faut-il faire en cas de leur apparition ?

« Encore une fois, il vaut mieux consulter un médecin en cas de symptômes suspects ou prolongés.

La vaccination c’est l’équivalent d’une forme légère du COVID. C’est comme si le virus avait  pénétré notre organisme mais sous une forme moins virulente. Le vaccin peut donc provoquer des maux de tête,  courbatures, une asthénie (fatigue générale), des douleurs au niveau du point d’injection qui peut se généraliser à tout le bras…

Dans la plupart des cas, il ne faut pas s’inquiéter. Privilégiez le reposer, boire beaucoup d’eau et éviter la chaleur intense et les activités qui nécessitent des efforts. Si une petite fièvre apparait, il vaut mieux laisser passer et si elle est un peu importante, prendre du paracétamol. Ce sont des symptômes bénins qui disparaissent au bout de 2 à 3 jour ».

Quelle est l’efficacité du vaccin ?

« L’action du vaccin prend quelques semaines après l’administration de la deuxième dose pour se déclencher et que cela devienne efficace.

Aucun vaccin n’est anodin. Certaines personnes sont réticentes au vaccin anti-COVID, mais il n’est pas plus dangereux que les vaccins qui nous été administrés depuis notre enfance. Il n’y pas de différences entre les différentes marques de laboratoires. S’ils ont été autorisés à être mis sur le marché c’est qu’ils procurent un minimum de protection contre le virus. Le bénéfice/risque est plus important que de contracter une forme grave de la maladie ».

Quel est votre avis sur la vaccination des enfants ?

La vaccination chez les enfants n’est pas une mauvaise chose. En médecine, on ne peut pas adopter n’importe quelle stratégie sans études à l’appui. On appelle cela « Evidence Based Medicine».

Concernant la vaccination chez les plus jeunes, il y a des études qui ont été faites et qui sont encore en cours et qui demandent beaucoup de temps. Il faut que toutes les phases soient validées.

La médecine n’est pas une science exacte. Il y a des différences d’un pays à un autre. Nous sommes différents des Européens par exemple. Beaucoup de facteurs entrent en jeu comme les facteurs génétiques, le contexte épidémique du pays, l’hygiène de vie, etc… C’est pour cela que la recherche scientifique est essentielle.

La vaccination pour les enfants a été autorisée dans certains pays. Pour le moment, aucun n’a autorisé la vaccination pour les moins de 12 ans. Ici en Tunisie, la communauté scientifique y est  plutôt favorable mais rien n’est encore en vigueur. Il faut être patient et continuer à protéger les enfants. Il faut leur faire appliquer les gestes barrières. A 12 ans, un enfant peut comprendre l’importance de ces gestes ».

Propos recueillis par Wissal Ayadi