Tunisie : Dernières mesures anti-Covid annoncées par l’exécutif : Qu’en pensent médecins et infirmiers ?

08-07-2021

Les décisions annoncées récemment à l’issue d’une réunion de crise à Carthage, n’ont pas fait l’unanimité au sein du corps médical.

Outre l’intensification de l’action diplomatique pour accélérer les livraisons des doses de vaccin anti-coronavirus, la répartition du pays en régions selon le taux d’incidence du virus pour 100 mille habitants, au cours des 14 derniers jours ainsi que la mise en place d’équipes de travail, constituées de forces armées militaires et sécuritaires, et de cadres sanitaires pour intensifier la vaccination, selon les recommandations de la commission de vaccination, la question de l’enrôlement des jeunes médecins et paramédicaux suscite plusieurs critiques…

Nous avons contacté Dr.Emna Mhamdi, médecin généraliste à l’hôpital de la circonscription d’El Krib à Siliana, où le taux de positivité est de 50,1%, selon les chiffres du ministère de la santé du 06 juillet 2021.

Le fait de recourir au volontariat n’a rien de motivant même pour les jeunes médecins au chômage ou encore les retraités qui risqueront leurs vies sans aucune motivation financière ou autre avantage, a-t-elle estimé.

 L’autorisation de travail publiée par le ministère de la santé concernant le recrutement des volontaires dans le cadre du renforcement des ressources humaines durant la pandémie du Coronavirus,  précise qu’être volontaire ne permettra pas  de devenir prioritaire pour un futur recrutement au sein du département. « Une précision qui ne suscitera que de la réticence », a-t-elle souligné,  sachant que ces futurs médecins ne sont même pas formés en matière de prise en charge des malades covid-19 ».

Dr. Lamia Kallel, chef de service à l’hôpital Mahmoud El Matri et présidente du conseil régional de l’ordre des médecins de Tunis (CROM), a souligné, quant à elle, que le fait d’appeler les cadres médicaux et paramédicaux à accomplir le service national, consiste à obliger des jeunes médecins, paramédicaux et ouvriers à faire partie de la première ligne dans cette guerre contre le virus, chose qui n’est pas évidente sans les motiver, ou encore sans qu’ils soient payés.

Dans un autre entretien accordé à Gnetnews, elle a considéré que « la motivation peut être aussi bien matérielle que morale, mais l’obligation n’est pas la solution. Ces jeunes se trouveront face à des patients infectés, il faut qu’ils soient motivés le plus possible pour pouvoir donner le meilleur d’eux même en pleine crise sanitaire».

La présidente du CROM a rappelé dans ce sens que les recrutements doivent également concerner les ouvriers, qui sont généralement des personnes n’ayant pas une formation particulière, mais qui peuvent occuper des postes nécessaires pour les hôpitaux, d’agents d’accueil, de sécurité, de maintenance ou encore de ménage…

Pour Khaled.A, infirmier depuis 20 ans à l’hôpital Rabta, le manque de brancardiers par exemple ne laisse pas le choix aux infirmiers à part s’occuper eux mêmes des malades déposés par les ambulanciers.

« Au lieu de s’occuper des patients à l’intérieur des salles, ça nous arrive souvent de jouer le rôle d’agent d’accueil aussi, pour prendre les informations personnelles des gens qui affluent. Cela nous arrive notamment dans le service des urgences. En ces temps de crise, cet éparpillement des tâches déconcentre le personnel médical, déjà en burnout à cause de la pression dans les services Covid ».

L’infirmier nous a aussi parlé de l’importance de la motivation, pour pouvoir gérer des malades Covid dont les besoins sont à satisfaire minutieusement, tout en étant dans une position risquée. « Il s’agit d’un engagement qui demande beaucoup de force, et d’implication ; la moindre motivation morale ou financière ne fera qu’encourager les jeunes médecins, paramédicaux et techniciens à accomplir ce travail de soldat. L’Etat aurait dû envisager de les rémunérer au moins », confirme-t-il aussi.

Pour une vaccination massive

La présidente du CROM Tunis s’est penché aussi sur la décision de Kais Saied concernant la mise en place des équipes de travail, constituées de forces armées militaires et sécuritaires, et de cadres sanitaires qui seront sous commandement unifié, pour intensifier la vaccination, selon les recommandations de la commission de vaccination.

A cet effet, elle a appelé à redoubler d’efforts pour fournir les vaccins anti covid le plus tôt possible, surtout que le pic pandémique est attendu pour la fin du mois de juillet.

L’objectif à travers une vaccination massive de la population serait d’atténuer les éventuelles formes sévères de l’infection, et non pas d’annuler les contaminations, indique-t-elle.  Ceci allégera un peu la pression dans les services réa des hôpitaux, et permettra aussi aux médecins de pouvoir soigner les patients qui afflueront lors du prochain pic pandémique, a expliqué Dr.Lamia Kallel.

En matière de vaccination, la présidente du CROM recommande de suivre la stratégie européenne, qui consiste à faire un test sérologique TDR (test diagnostic rapide) à la recherche d’anticorps, avant d’entamer l’administration des doses,  dans le but de faire une économie de vaccins. 

Le vaccin serait la seule solution pour surmonter le pic pandémique, souligne, à son tour, Dr. Emna Mhamdi.

« L’annonce de l’acquisition de 3 millions 581 mille doses du vaccin uni-dose Johnson & Johnson, en dehors du mécanisme Covax, est arrivée à temps. Mais pour inciter les gens à s’inscrire et à accéder à ces doses, les autorités sont appelées à fournir non seulement les vaccins, mais à prendre aussi en considération les personnes illettrées qui sont nombreuses dans les régions les plus reculées du pays, où la plupart des personnes âgées n’ont pas de téléphone, ne savent ni lire ni écrire, et ne vivent pas avec leurs enfants ».

« Par conséquent, il serait bénéfique de mettre en place des campagnes de vaccination dédiées aux plus âgés non-inscrits sur EVAX, et qui souhaitent se faire vacciner. Nous l’avons déjà fait à El Krib, et ça a attiré plusieurs citoyens», rajoute-t-elle.

Dr.Mhamdi a rappelé également que le sujet de la vaccination est très délicat, et qu’il faut en parler dans les médias avec beaucoup de précaution. Le moindre jugement négatif sur un vaccin quelconque pourrait provoquer la réticence massive de la population, a-t-elle averti.  « Il est important d’unifier les discours sur la question vu que que certains médias ne font que véhiculer des messages décourageants sur la vaccination, en parlant des effets indésirables ou encore en discréditant certains laboratoires », précise-t-elle.

Un confinement général de 2 semaines

L’idéal pour casser la courbe des contaminations, verticale en ce moment, serait de décréter un confinement général de deux semaines, comme l’a prôné pas mal de fois le comité scientifique. Cette recommandation a été proposée aussi, vu la dégradation de la situation sanitaire, et étant donné que  les limites des services de réanimation et des circuits Covid ont été largement dépassées, indique Dr.Lamia Kallel, signalant que cette proposition a été rejetée pour des raisons économiques et, pour prendre en considération les tranches les plus fragiles de la société.

« Tout de même, le confinement ciblé décrété dans les régions les plus touchées par le virus, ainsi que l’interdiction des déplacements entre ces gouvernorats, auront sans doute des effets pour réduire les contaminations, à condition que ces mesures restrictives soient respectées et appliquées fermement. Sans cela, les citoyens ne trouveront plus de place pour se faire soigner dans les hôpitaux ».

D’après la présidente du CROM, le corps médical s’attend au pire dans les deux semaines qui suivent, c’est pour ça d’ailleurs qu’il y a eu la mise en place des hôpitaux de campagne dans quelques régions du pays, à titre préventif,  au cas où les futurs patients Covid ne pourront plus être pris en charge dans des établissements sanitaires saturés.

A titre d’exemple, l’hôpital de la circonscription  de Krib (Siliana) atteint sa capacité maximale de 100 %.

« Nous avons 12 lits d’oxygène tous occupés, et nous continuons à recevoir quotidiennement en moyenne une trentaine de cas positifs. Mais quand nous voyons que les Souks sont encore ouverts, des friperies qui regorgent de clients sans masque, et des rues surpeuplées, dans un gouvernorat où la commission de lutte contre les catastrophes a décrété un confinement général depuis le 20 juin, nous n’y pouvons rien. La vaccination serait notre bouée de sauvetage, car l’indiscipline des citoyens causera l’irréparable », a-t-elle conclu.

Emna Bhira