Tunisie/ Esthétique : Un secteur en crise, déserté par une clientèle désargentée

15-12-2021

Le secteur d’esthétique en Tunisie a été  frappé de plein fouet par la pandémie du Covid-19 en Tunisie. A cause de l’impossibilité d’appliquer les gestes barrières dans ce métier qui exige une proximité physique, les salons de coiffure ont du mal à retrouver l’affluence d’avant.

« En effet, la fréquentation n’augmente qu’occasionnellement, dans les périodes de l’Aid et de mariages…Pour les autres jours, nous misons sur les weekends, marqués par les préparatifs pour les sorties et les soirées…Sinon, en début ou en milieu de semaine, nos salons sont désertés. Les femmes préfèrent limiter leurs dépenses pour des choses qu’elles estiment désormais, secondaires avec la cherté de la vie… ».

C’est ce que nous a confié Imen Oueslati, une prothésiste angulaire, dans un centre de coiffure à la Soukra.

En expliquant la baisse de l’affluence, elle nous a indiqué que, hormis la crise financière et l’inflation ayant poussé les Tunisiennes à se serrer la ceinture, les femmes ont peur d’être contaminées par le virus.

 « Notre travail exige une proximité physique inévitable pour faire les soins des mains, la manucure et la pédicure. Pour limiter les risques, nous désinfectons  notre matériel à travers un stérilisateur UV après chaque utilisation, ce qui n’est pas le cas dans tous les salons…Pourtant cela reste insuffisant. Nous avons perdu plus que la moitié de nos clientes, depuis la pandémie ».

Les techniciennes esthétiques sont aussi  exposées, à leur tour, aux dangers du Covid-19, à part les autres maladies cutanées transmissibles comme les champignons les mycoses ou encore  l’hépatite… »Mais nous n’avons pas le choix, c’est notre gagne-pain. Pourtant nos salaires ont également baissé, et plusieurs de nos collègues ont été licenciés pour réduire les charges du salon », a-t-elle déploré.

La hausse des tarifs fait fuir la clientèle

D’après cette prothésiste angulaire, il n’y a pas que le virus qui a fait fuir une clientèle d’habitude soigneuse. La hausse des prix a causé la réticence des femmes à la recherche d’un bon rapport qualité prix.

« Le problème, c’est que les propriétaires du salon peinent à payer leurs loyers alors que la production est en baisse.  En plus, pour garantir un bon résultat esthétique et préserver leur santé, les meilleurs salons optent pour des produits importés et certifiés par des fournisseurs professionnels, dont les prix ont doublé, voire triplé depuis la crise sanitaire, ce qui se répercute naturellement sur les tarifs… ».

D’après cette technicienne, le prix d’une pose de vernis permanent dans notre salon, est passé de 30 dt au début de la pandémie à 45 dt cette année. Les capsules, le gel, et les poses en résine ou acrylique sont les plus chers, avant on le faisait à 60 dt. Actuellement, ces services coutent une centaine de dinars, sans compter les entretiens de remplissage à refaire mensuellement…Le prix d’un brushing est passé de 8/10 dinars, selon la longueur des cheveux. Il coute désormais 15 dinars fixes dans la plupart des salons. Sans oublier que les changements des tarifs, dépendent aussi de la notoriété du salon, du quartier, et de la région.

Afin d’éviter ces dépenses, il existe des clientes qui optent pour d’autres alternatives plus économiques.

Certaines font un lissage permanent qui tient plus de 6 mois, à base de protéine, kératine, ou de collagène dont les prix peuvent aller de 140 dt à 300 dt.

Selon Phédra, la patronne du salon,  à cause de la cherté de la vie, les femmes n’investissent plus autant dans l’esthétique. C’est devenu un luxe, que la majorité de la clientèle se permet occasionnellement.

Coiffeuse de formation, elle a souligné que les tendances et les techniques de coiffure se sont multipliées, entre teinture avec mèches californiennes, Contouring des cheveux, Tie and Dye, l’ombré Hair…Les coiffeurs reçoivent généralement une formation de grandes maisons de coiffures et de marques pour maitriser ces techniques. Ces tendances couteront par conséquent chers, même pour les clientes qui sont à l’affut des dernières tendances ».

Les formations pour rattraper le manque à gagner

Nous nous sommes aussi rendus au salon d’extension de cils de Myriam.S, située à la zone d’El Menzah.

A 16h, le salon était déserté. Une seule cliente était là pour faire l’entretien de sa pose en cils à cils.

« J’ai perdu plus que la moitié de mes clientes à cause de la pandémie »,  déplore-t-elle. Et, pour cause, il est impossible d’appliquer la distanciation sociale dans ce métier. « Pour faire un tatouage des sourcils ou encore l’extension des cils, je suis obligée de toucher la peau de mes clientes. Et ces actes suscitent la réticence de la plupart des gens. Malgré la vaccination massive et la baisse des contaminations, le danger est toujours là… « , souligne-t-elle.

Pour combler son manque à gagner, Myriam a multiplié les formations avec des prix cassés, vu que les Tunisiens se serrent de plus en plus la ceinture. « A 500 dt, les femmes peuvent s’initier à ce métier. Et, même ce tarif pour un diplôme certifié est considéré cher par pas mal de personnes. C’est la seule alternative que j’ai trouvée pour rattraper un manque à gagner de plus de 20 000 dt, en 2021. Transmettre mon savoir-faire à travers des cours restreints, m’aide à couvrir mes charges, le coût des produits et mon loyer de 900 dinars. C’est aussi un moyen pour aider les jeunes filles à sortir du chômage ».

A l’approche des fêtes de Noël et du nouvel an, les salons de coiffure et d’esthétique multiplient les promotions sur leurs soins, histoire de rattraper le manque à gagner enregistré ces deux dernières années. En revanche, ces baisses de prix demeurent inaccessibles pour les petites bourses. Les femmes font de plus en plus leurs mises en beauté chez elles, avec les moyens du bord.

Emna Bhira