Tunisie : L’artisanat remis au goût du jour, grâce à des créateurs talentueux (Reportage)

05-03-2021

Alors que l’artisanat traditionnel tunisien semble stagner en matière de design, un autre mouvement artisanal moderne est en train de naitre, dans les « concepts store », ou la commercialisation résiste mieux à la crise économique actuelle, liée à la pandémie du Covid-19.

Grâce à de jeunes créateurs talentueux, ce secteur est en train de vivre une réelle évolution. Ces derniers s’inspirent dans leurs œuvres,  d’un héritage culturel ancestral, ayant imprégné pour longtemps des articles fortement utilisés par les Tunisiens, qui apporte à leurs styles un coup de fraicheur et de modernisme.

Diplômés d’écoles d’arts, ou encore de commerce, ces jeunes artistes ont su révolutionner des œuvres simplistes traditionnelles, en les transformant en des pièces uniques, faits mains, et cela tout en préservant l’identité et l’empreinte  tunisienne.

L’artisanat tunisien traditionnel serait-il contraint de sauter le pas, et de se moderniser, pour se sauver du marasme qui l’a frappé depuis l’apparition de la pandémie ? Des designers, artistes et créateurs tunisiens, nous répondent.

Meriem Ben Moussa, créatrice de bijoux, ayant un master en design produit, passionnée de bijouterie, elle a pu s’imposer dans ce secteur « masculin par excellence », grâce à des créations innovatrices et originales. Pour elle, la bijouterie artisanale est une richesse culturelle qui est en train de résister grâce à l’innovation, et le nouveau regard porté sur un matériau qui a été utilisé pendant longtemps d’une manière classique, redondante, qui n’exprime aucun sens de l’évolution.

« Si les artisans traditionnels sont tombés dans la redondance, c’est parce qu’ils refusent d’évoluer, et ne font aucun effort pour développer leur culture visuelle et s’ouvrir sur les tendances mondiales dans ce domaine. »

Selon cette jeune designer, le secret pour réussir dans l’artisanat, en général, et en bijouterie en particulier, est non seulement d’acquérir un savoir-faire infaillible en matière de techniques de création , mais aussi de ne jamais arrêter d’être curieux, de s’enrichir visuellement, et de ne jamais refuser l’évolution, comme font la plupart des bijoutiers de la médina, notamment ceux de la Berka (le souk de l’or) », déplore-t-elle.

Cette artiste dans l’âme nous a révélé que la médina est pour elle, une source inépuisable d’inspiration. «Quand je ne suis pas dans mon atelier, je sillonne les ruelles de la médina, à la recherche de nouveaux détails dans l’architecture des mosquées, cafés et maisons, pour les intégrer dans mes designs de bagues, colliers, bracelets, et boucles d’oreilles…Avec un concept minimaliste, j’opte souvent pour un mélange de styles, mariant des motifs arabesques, art islamique, ornements amazighs,  carreaux de céramique locale…Tout cela, pour créer un bijoux original, qui exprime l’attachement à notre identité, bien ancrée dans mes produits… ».

Wijdane Zammit,  designer, nous a confié qu’elle est du même avis.

Cette créatrice de mode qui s’inspire de l’artisanat tunisien dans ses créations, nous a confirmés également que les artisans traditionnels sont très enfermés sur eux, et refusent de progresser. «L’échange d’idées entre designers et artisans, est le seul moyen pour sortir de ce blocage vécu depuis des années par le secteur. Il faut savoir rénover, mélanger les styles et revaloriser des objets pour en faire des articles typiquement tunisiens, mais qui vont avec l’air du temps », recommande la jeune créatrice.

Cette talentueuse styliste , diplômée d’une école de mode à Tunis, nous a révélé qu’elle a pu intégrer dans ses créations, le Klim (tapis berbère), des œuvres de Picasso, illustrations personnalisées dans des manteaux, vestes et gilets, sacs…Wijden Zammit  a aussi apporté un air de fraicheur à la « Jebba de Djerba », en accentuant son côté confortable, tout en lui donnant une touche féminine et moderne au niveau du style, couleurs, matières et ornements…Selon elle, ses produits signés Wijden Zammit, ont trouvé un grand succès auprès des expatriés européens, vivant en Tunisie. Quant à la clientèle locale, elle a commencé ces dernières années à manifester un engouement spécial pour les créations tunisiennes, vu l’originalité des modèles…

Nous  avons aussi contacté Nour El Fil,  propriétaire de la marque« Feel N Fill » qui, après ses études à « Parsons School of Design » de New York, et à Nantes dans une école de commerce,  elle a lancé sa marque de meubles et d’articles de décoration en Tunisie. Parmi ses produits phares, deux créations inspirées de l’artisanat Tunisien ; un bougeoir en poterie de Sejnane, et des miroirs avec frange, inspiré de la « Chachia » (un chapeau traditionnel pour homme).

Pour cette jeune designer, la Tunisie regorge d’un patrimoine artisanal très riche, mais mal exploité. « Avec les artisanes de Sejnane, nous avons pu intégrer de nouveau matériaux et modèles à un bougeoir, emblématique de leurs créations. Il a été transformé à un objet futuriste, exotique, qui se marie avec des intérieurs chics, très modernes…

Par ailleurs, la poterie tunisienne emblématique de l’artisanat de la région du Cap Bon, a connu également un nouvel élan, grâce à de nouvelles méthodes de commercialisation sur les réseaux sociaux, qui servent de vitrines pour les produits artisanaux, nous a expliqué le créateur du groupe « Poterie Terracotta », Fehri Ladhib.

« Les artisans traditionnels doivent chercher d’autres alternatives pour sortir de la crise. Ils sont appelés à s’adapter à  l’évolution du marché, à innover, et surtout à gagner la confiance du client tunisien. Avec des prix gonflés présentés aux touristes, affichés sur des articles dont tout le monde connait le coût de fabrication, les clients locaux ont déserté les commerces de l’artisanat. L’arnaque a gangréné les souks, ce qui a accentué également la crise dans ces endroits », nous révèle Fehri Ladhib.

Ce diplômé de l’institut des hautes études Commerciales de Carthage a souligné aussi que les Tunisiens ne sont pas attirés par la poterie traditionnelle archaïque, destinée généralement aux touristes en quête d’authenticité. « La clientèle locale cherche en revanche, l’innovation par exemple dans les services à table de couscous. Les motifs minimalistes, mais traditionnels retrouvent un grand succès, notamment dans la haute saison de vente, à l’approche des fêtes, l’été ou encore en fin d’année.

 

Emna Bhira