Tunisie : La délicate mission de Kaïs Saïed aux Etats-Unis !

12-12-2022
Le président de la république a quitté ce matin la Tunisie, à destination des Etats-Unis.

Hasard du calendrier, la visite de Kaïs Saïed aux Etats-Unis intervient la semaine des législatives ; le scrutin de ce samedi 17 décembre qui donnera lieu à l’avènement d’une nouvelle assemblée des représentants du peuple, à même de remplacer le défunt parlement suspendu puis dissout, dans le cadre des dispositions exceptionnelles annoncées par le chef de l’Etat, un certain 25 juillet 2021, sur la base de l’article 80 de la constitution de 2014.

Kaïs Saïed a quitté ce lundi 12 décembre la Tunisie à destination de la capitale fédérale américaine, pour prendre part au 2ème sommet des leaders Etats-Unis/ Afrique organisé à l’initiative de Joe Biden à Washington.

La manne africaine n’en finit pas de faire saliver !

Le US/Africa Leaders Summit verra la participation d’une cinquantaine de chefs d’Etat et de gouvernement, autour du locataire de la Maison blanche.

Selon le langage diplomatique et policé, son objectif est de resserrer les liens entre la superpuissance mondiale et les pays du continent africain, sur les plans politique, et économique. Il planchera sur les crises qui secouent la planète, comme la crise alimentaire, celle énergétique, la relance de l’après-covid, la riposte à apporter aux futures pandémies pour éviter que cette région du monde ne soit si lourdement impactée, comme elle l’était pendant l’épidémie du Covid-19, etc.

Dans une logique pragmatique et de realpolitik, ce forum afro-américain inscrit les Etats-Unis dans la course à la conquête de l’Afrique ; un continent objet de toutes les convoitises vers lequel les grands de ce monde n’ont eu de cesse de se précipiter, ces dernières années, pour y prendre pied, y investir, commercer, et y promouvoir leur culture…

L’Europe, et particulièrement la France, mettaient depuis des lustres le grappin sur l’Afrique, la Chine ne cesse d’y consolider sa présence, idem pour le Japon, la Russie… la manne africaine n’en finit pas de faire saliver.

Bien entendu, dans leur opération charme à l’endroit des dirigeants et peuples africains, les puissants de la planète se garderaient de ne pas froisser leurs interlocuteurs, éviteraient toute attitude hautaine et arrogante, ainsi que de s’arroger en donneurs de leçons sur les questions qui fâchent, celles de démocratie et des droits de l’homme, où certains pays africains connaissent un déficit.

Ils s’efforceraient de se défaire de l’habit de conquérants, et de néo-colonisateurs, qui cherchent à asseoir leur mainmise sur le trésor africain, comme ils en étaient de tout temps tenté de le faire. A fortiori que les temps ont changé ; l’Afrique qui a tant souffert de la colonisation, de l’hégémonie, voire du pillage occidental a bien ouvert les yeux, et prend conscience de sa richesse non seulement matérielle, avec ses ressources naturelles et matières premières inépuisables, mais aussi humaine, et culturelle, face à un occident vieillissant, en manque d’imagination, qui se débat dans ses difficultés internes, n’a plus grand-chose à raconter au reste du monde, au modèle économique sclérosé et à bout de souffle.

L’Afrique, même si c’est plus du côte de la population que des élites, a beaucoup à offrir à une planète qui tombe de Charybde en Scylla. Sa force, et son atout fondamental résident dans sa jeunesse dynamique, créative, et intelligente.

Cette jeunesse, souvent trahie par ses dirigeants, qui s’évertue, par tous les moyens, de changer des réalités dures, de promouvoir des projets solidaires, de consacrer les valeurs d’entraide, et de cohésion dans des sociétés, souvent rongées par le désespoir et le dénuement…Une jeunesse à laquelle les médias s’intéressent peu, braqués, qu’ils sont, pour l’essentiel, sur les tragédies de migration clandestine.

L’occident, et dans le cas d’espèce les Etats-Unis, chercheraient à s’adresser à ce vivier, que représenterait la jeunesse africaine. Joe Biden proposera à ses interlocuteurs africains le Know-how, l’expertise, et l’appui technique pour encadrer cette jeunesse, cristalliser ses aspirations et lui mettre le pied à l’étrier, ainsi que des investissements et des projets américains pour optimiser et valoriser les potentialités africaines…, ce dont les dirigeants du continent raffoleront pour combattre un chômage toujours galopant dans leurs contrées. La Tunisie pourrait profiter de cette potentielle offre américaine, en sachant vendre son modèle, ses atouts et les compétences de sa jeunesse.

Des rapports crispés !

Autrement, Kaïs Saïed aura pour mission prioritaire de défendre sa vision et son bilan trois ans, après son accession à la fonction présidentielle, et une année et demie après avoir décrété l’Etat d’exception.

Il est vrai qu’au cours de la dernière période, les rapports entre les Etats-Unis et la Tunisie étaient quelque peu crispés. L’administration américaine a perçu dans la démarche du président en exercice de détricoter le processus politique engagé après le 14 janvier, une régression par rapport aux acquis démocratiques cumulés tout au long de ces dix ans de transition, même si celle-ci était, par moments, chaotique.

La dissolution de l’Assemblée, ainsi que du Conseil supérieur de la Magistrature, l’abrogation de la constitution, et la promulgation d’une nouvelle, la révocation de 57 magistrats, la modification de la loi de l’instance électorale, l’exclusion, de facto, des partis de la vie politique, la propension à accaparer tous les pouvoirs et on en passe…ont suscité des grincements de dents chez nos partenaires américains, même s’ils ne manquent pas, à chaque fois de rappeler les liens d’amitié solide entre les deux pays et de réitérer leurs engagements aux côtés de la Tunisie, notamment pour consolider sa démocratie, mener à bien sa transition économique, ainsi qu’en matière sécuritaire et de lutte contre le terrorisme et la criminalité.

Kaïs Saïed qui devrait avoir, selon toute vraisemblance, en marge du sommet des discussions avec les hauts responsables de l’exécutif, voire du Congrès américain (chambre des représentants et sénat), aura l’impérieuse mission d’expliquer le bien-fondé de ce qu’il appelle « le processus rectificatif » enclenché il y a à peu près une année et demie, de montrer que ce processus va bon train et est sur le point d’être couronné dans quelques jours par les législatives, d’affirmer son attachement à la liberté, à la démocratie, et d’en souligner le caractère irréversible.

Il dira que son engagement était tenu en respectant le calendrier politique qu’il avait annoncé il y a une année ou presque, avec la promulgation de la nouvelle constitution, la tenue du référendum du 25 juillet, et l’organisation des législatives du 17 décembre.

Saïed devra également, s’arrêter à la crise économique aiguë que traverse la Tunisie, accentuée par une conjoncture internationale difficile aggravée par la guerre russe en Ukraine, et au plan de réforme du gouvernement afin d’y faire face.

Le chef de l’Etat solliciterait, à coup sûr, le soutien des Etats-Unis, qui siègent au conseil d’administration du FMI pour la finalisation de l’accord signé entre la Tunisie et l’institution de Bretton Woods, au niveau des experts.

Les Américains, connus pour leur capacité d’assimilation des réalités des pays, l’écouteront attentivement. Mais, ils ont et auront aussi toujours une oreille attentive à ce que dit l’opposition. Là le tableau présenté n’est pas du tout reluisant, il n’y qu’à se référer au discours de l’opposant historique, et du leader politique, Ahmed Néjib Chebbi, samedi 10 décembre, lors du rassemblement du front de Salut national.

En guise de réponse aux  révélations de l’opposition et à la veille de son déplacement américain, Kaïs Saïed a choisi darpenter les quartiers déshérités d’el-Mnihla pour montrer à celui qui l’ignorerait, que la priorité en Tunisie est éminemment socioéconomique, et pour tourner en dérision l’opposition qui « jouerait la comédie sur les planches ».

Tant que la rupture est aussi radicale entre pouvoir et opposition, tant que les rapports sortent d’un cadre de rivalité politique conventionnelle, à une scission  où l’on essaie de s’annihiler les uns, les autres ; le message donné à l’étranger manquerait, forcément, de réalisme et de crédibilité. Vivement un apaisement et une entente nationale dans un pays qui a besoin de tous ses enfants pour se relever, sortir de l’ornière et se reconstruire.

H.J.