Tunisie : La famille tunisienne attachée à ses séniors, pour rien au monde on ne les abandonnera (Reportage)

01-10-2021

Près de 23.5% des personnes âgées en Tunisie sont prises en charge à domicile par un membre de leurs familles, notamment celles atteintes d’Alzheimer. 30% de cette « majorité aidante », déclare avoir des problèmes conjugaux ou professionnels à cause de la maladie de leur proche allant jusqu’au divorce et à la perte d’emploi (22.5%).

C’est ce qu’a dévoilé Dr. Habiba Ben Romdhane, professeur en médecine lors de la conférence nationale organisée par le ministère de la femme et des personnes âgées,  sous le thème « Pour une retraite sécurisée post covid-19 », tenue à l’occasion de la journée internationale des séniors, célébrée le 1er octobre.

« Le vieillissement de la population s’accompagne d’une augmentation des incidences des pathologies dégénératives « dépendantes de l’âge » parmi lesquelles figure la maladie d’Alzheimer. Une maladie qui constitue un problème médical en raison des multiples et graves perturbations qu’elle engendre, en plus d’un problème social en raison de son impact sur les familles ».

L’espérance de vie à la naissance en Tunisie, qui est actuellement de 76 ans, s’accroîtra de 3 ans d’ici 2030 et le nombre des sujets âgés continuera à augmenter dans les 25 ans à venir. À partir de 2030, la classe d’âge des plus de 60 ans devrait représenter près de 18% de la population tunisienne, souligne Dr. Ben Romdhane.

Sachant aussi que 463.900 de ces séniors n’ont pas de retraite, et que 13.4% seulement de cette tranche d’âge bénéficie d’une couverture sociale,  l’hébergement des personnes dépendantes notamment durant la crise sanitaire du Covid-19, s’avère désormais une lourde tâche pour les couples. Assurer la sécurité d’un parent a souvent un prix, tensions conjugales permanentes, perte de l’intimité, et différends sur les finances, qui peuvent  engendrer la séparation, ou encore le divorce.

Une population stigmatisée durant la pandémie du Covid-19

 La pandémie du Coronavirus a fragilisé les tranches sociales les plus précaires, dont les séniors, a indiqué Slaheddine Ben Fraj, professeur en sociologie.

« Le virus a causé la stigmatisation de cette tranche d’âge, puisque le taux de mortalité touche 5 fois les plus de 80 ans. Les plus de 60 ans sont plus exposés aux cas sévères et aux complications du covid-19. En plus, 32 millions personnes âgées ont été contaminées dans le monde arabe. En Europe, 95% des décès des suites du Coronavirus concernent les plus de 60 ans. Ce taux est de 80% aux États-Unis et en Chine, d’après l’OMS. Sans  oublier que durant les pics pandémiques où le monde souffrait d’une pénurie d’oxygène, plusieurs séniors en ont été privés en cas de détresse respiratoire, pour que d’autres patients plus jeunes y bénéficient en fonction de leur âge ».

Pr. Ben Fraj a aussi précisé que la  gestion de la crise sanitaire a plongé, d’une manière indirecte, les personnes âgées dans la dépendance et la précarité.

« Les confinements non étudiés et successifs décidés dans plusieurs pays ont empêché les auxiliaires de vie et les aides-soignants d’assurer leur soins d’une manière continue. Cet enfermement a aussi augmenté le taux de violence exercé sur les personnes âgées. Par ailleurs, puisque le virus touche plus les séniors, certains pays ont réduit la circulation de cette population, qui s’est trouvée incapable de travailler, de recevoir des aides ou encore d’obtenir sa retraite. S’y ajoute, leur manque d’information au sujet des mesures de prévention et de protection, à cause de l’augmentation du taux d’analphabétisme.

Ces derniers, submergés par les campagnes numériques et par la digitalisation des services notamment la vaccination (EVAX), ils ont été mis à l’écart dans ce contexte sanitaire, a-t-il ajouté.

Des mères de famille racontent

D’ailleurs, c’est le cas Manel, aide-ménagère. Mariée et mère d’Adam, un garçon d’un an et demi, elle prend soin de son beau-père à domicile. Analphabète et son époux aussi, ils n’ont pas pu inscrire leur famille sur EVAX. « Non seulement nous ne sommes pas protégés contre le virus, mais aussi nous avons peiné à subvenir aux besoins médicaux de mon beau-père à cause du manque des moyens. Mon mari est au chômage, et je ne travaille que 3 jours sur 7, contre 150 dinars. En plus des pressions financières, et de la violence verbale et physique que je subissais, je n’en pouvais plus, j’ai dû quitter le domicile pour aller vivre chez ma sœur, nous confie-t-elle.

Naziha, une femme au foyer qui prend soins de sa belle-mère, nous a confié qu’il s’agit d’un travail à plein temps de prendre soin d’une personne âgée. « Étant sans enfants, la famille de mon époux nous a chargé de leur maman. Au début, j’ai accueilli l’idée avec grand plaisir, car j’avais de quoi remplir mes journées et quelqu’un qui atténuait ma solitude. Mais maintenant, après 10 ans de mariage, elle vit encore avec nous et son état de santé s’est dégradé. Démence, perte d’autonomie, et début d’Alzheimer, je passe ma journée à essayer de subvenir à ses besoins et à ceux de mon mari. Je ne pouvais plus sortir et la laisser toute seule. Je suis isolée avec elle, et ça commence à peser sur ma psychologie, surtout que personne ne m’aide…Ma vie a été consacrée à ma belle-mère, et pourtant je ne peux pas m’en détacher, malgré les conséquences sur ma vie conjugale, les tensions, la solitude et la dépression. « .

Basma, fonctionnaire, aussi mère de famille s’occupe depuis un an sa belle-mère handicapée, elle nous a indiqué que c’était plus difficile lorsqu’elle a été contaminée par le virus. « Je souffrais d’une fatigue et de douleurs atroces, et avec ça je prenais soin de tout le monde, sans l’aide de personne même en étant malade ».

« Mon plus grand souci était de contaminer la mère de mon époux. Nous vivons à l’étroit, dans un s+2, avec deux salaires qui nous permettent à peine de finir le mois. Mais que faire, ce serait inhumain de ma part de revendiquer son départ. C’est la volonté de Dieu, conclut-elle. C’est aussi la grand-mère de mes enfants. Mon seul reproche, c’est que j’ai besoin de l’aide de mon mari, qui me laisse livrée à moi-même. Il s’agit sans doute d’une charge psychologique pénible à supporter…Je ne sais pas si je vais tenir à long terme », nous dit-elle.

Emna Bhira