Tunisie : La situation politique « exceptionnelle », et l’absence d’un accord avec le FMI à l’origine de l’abaissement de la note souveraine (Saïdane)

30-01-2023

C’est un nouveau coup de massue pour l’économie tunisienne… L’agence de notation Moody’s a de nouveau abaissé la note souveraine de la Tunisie pour la placer à « Caa2 » avec perspectives négatives, à une seule place du défaut de paiement.

Plusieurs raisons sont imputées à cette décision, la plus importante étant celle de l’absence d’un accord définitif avec le Fonds monétaire international (FMI).

Qu’est-ce que cela signifie ? Quelles sont les conséquences et les implications ? La situation est-elle rattrapable ? Des questions auxquelles l’expert économique Ezzeddine Saidane a bien voulu répondre pour Gnetnews.

La dixième révision à la baisse pour la Tunisie depuis 2011

Les agences de notation ont un rôle essentiel sur le marché financier international pour apprécier la capacité des pays à rembourser leur dette extérieure. Il s’agit d’un outil nécessaire aux investisseurs, aux institutions financières ou même aux entreprises commerciales qui approvisionnent le pays en question afin de jauger la situation globale d’un pays.

Cette notation se fait sur 50% de pondération sur la base de la situation politique du pays. « Si le pays n’est pas dans une situation politique stable avec un gouvernement fort et qui peut entreprendre les réformes nécessaires, cela affecte la notation », nous explique Ezzedine Saïdane.

Les 50% restants concernent tous les autres ratios dont la croissance économique, l’inflation, les déficits du budget de l’Etat et de la balance des paiements, le niveau de chômage, le niveau des réserves en devises, etc…

Aujourd’hui cette nouvelle notation est la dixième révision à la baisse de la note de la Tunisie depuis 2011. « En 2010, la Tunisie avait une notation BBB+ avec perspectives positives. Nous étions à un pas de la notation A », rappelle Ezzedine Saidane.

Par ailleurs, l’échelle de Moody’s est composée de 20 notations. A cet égard, la Tunisie se trouve au niveau de la 18ème. Cette agence note 111 pays dans le monde et la Tunisie se trouve à la 100ème place, soit à une place de la faillite.

Les raisons de l’abaissement de la note souveraine de la Tunisie

D’après Ezzedine Saidane, la principale raison de cette nouvelle baisse de la note tunisienne concerne l’absence d’un accord définitif avec le FMI.

« Elle n’a pas pu mobiliser les ressources extérieures nécessaires pour financer le budget de 2023 et le programme de réformes sur la base duquel le gouvernement est arrivé à obtenir l’accord technique avec le staff technique du FMI  le 15 octobre 2022. Le FMI avait également demandé à la Tunisie de publier son budget 2023, signé par le président de la république, et ce avant la fin de mois de novembre, mais cela n’a pas été fait en bonne et due forme.  La lettre d’intention n’a pas non plus été signée par le président… toutes ces raisons font que le dossier de la Tunisie a été purement et simplement rejeté« .

L’autre raison invoquée par l’économiste est celle de la situation politique « exceptionnelle » qui perdure en Tunisie. « Les élections législatives ne vont pas permettre au pays de sortir de cette situation qualifiée d’exceptionnelle, mais qui perdure et qui visiblement va encore continuer ».

Saidane indique à cet égard que le nouveau parlement aura trois défis important à relever. D’abord un pouvoir extrêmement limité à en croire la nouvelle Constitution, une légitimité remise en question en raison du faible taux de participation au scrutin et enfin un pouvoir législatif intiment lié au pouvoir de la deuxième chambre (celle des districts et des régions), dont l’élection, le fonctionnement, les relations avec le parlement et le pouvoir restent encore dans le flou le plus total.

« Caa2 »: Les conséquences

Dans un premier temps Ezzedine Saidane indique que l’Etat risque de ne pas trouver les ressources nécessaires pour couvrir ses dépenses courantes pour 2023. « Si on regarde le budget de 2023, il est prévu que la Tunisie ait besoin de 25 milliards de dinars de crédits nouveaux, dont 15 milliards de dinars en devises. Le service de la dette pour l’année 2023 s’élève à 30% du budget, soit 21 milliards de dinars dont un peu plus de 12 milliards qu’il faut couvrir en devises », relève-t-il.

Avec la notation « Caa2 », la Tunisie aura beaucoup de mal à accéder au marché financier international. Ainsi, d’après Saidane les chances d’arriver à un accord avec le FMI deviennent encore plus faibles et il en va de même pour la mobilisation de ressources auprès des partenaires bilatéraux et multilatéraux.

L’abaissement de la notation de la Tunisie peut également engendrer des pénuries plus fréquentes, notamment en termes de carburant et produits de bases. Dans ce sens, l’expert économique rappelle que les entreprisses publiques sont dans une situation financière extrêmement difficile, la crise des finances publiques ayant été exportée sur celles-ci. « L’Etat n’est pas en train de payer le du des entreprises publiques provenant de la caisse de compensation car il n’en a pas les moyens. De plus avec cette nouvelle notation les fournisseurs étrangers vont être de plus en plus exigeants. S’il n’y a pas un paiement cash ou anticipé il n’y aura pas d’approvisionnement et donc des pénuries plus fréquentes et plus longues ».

Il faudra aussi s’attendre à une baisse plus accélérée des réserves de change. Selon les derniers chiffres publiés par la Banque Centrale, la Tunisie dispose de 97 jours d’importations (contre 136 à la même période en 2022).

« L’incapacité d’un pays à mobiliser des nouveaux crédits implique automatiquement une consommation accélérée des réserves de change », rappelle Saidane.

Autre conséquence, les banques tunisiennes auront de plus en plus de mal à traiter les opérations de commerce extérieur avec leur correspondants et notamment les opérations d’importation à cause de la notation de la Tunisie. A cet égard, l’expert rappelle un principe général selon lequel aucune institution ne peut avoir une notation supérieure à celle de l’Etat. Par conséquent, la dégradation de la note de la Tunisie est accompagnée d’une dégradation de celle de la Banque Centrale.

Une hausse des départs de compétences tunisiennes vers l’étranger et aussi  celle de l’immigration clandestine pourront également être observées.

« Dans ces conditions là, la Tunisie ne va pas pouvoir créer ni de la croissance, ni de la richesse, ni de l’emploi », ajoute Ezzedine Saidane.

« La Tunisie au Club de Paris en 2023…c’est fort probable »

La semaine dernière à la veille de l’annonce de la notation souveraine de la Tunisie par Moody’s, la Cheffe du gouvernement, Najla Bouden, s’est entretenu avec le Directeur Général du Trésor Français, qui est le Président du Club de Paris, Emmanuel Moulin.

Pour rappel, le Club de Paris est, comme souligné sur son site, « un groupe informel de créanciers publics dont le rôle est de trouver des solutions coordonnées et durables aux difficultés de paiement de pays endettés. Les créanciers du club de Paris leur accordent un allègement de dette pour les aider à rétablir leur situation financière ».

Cette réunion a eu lieu en l’absence de la ministre des Finances et du Gouverneur de la Banque Centrale. « La Tunisie n’est-elle pas en train de se préparer à l’entrée au Club de Paris et auv rééchelonnement de la dette ? », s’interroge Saidane. Une question qui se doit d’être posée quand on sait que la prochaine notation à la baisse signifiera le défaut de paiement.

« La seule lueur d’espoir peut provenir d’un sursaut pacifique pour essayer de calmer la vie politique et évoluer vers une situation plus stable pour permettre aux forces vives du pays, avec le gouvernement actuel ou un autre, peu importe, d’aller vers une grande opération de sauvetage et non pas de redressement de l’économie, des finances publiques et des entreprises publiques… Mais tous les signes ne nous montrent pas que nous allons vers cette logique », conclu Ezzedine Saidane.

Wissal Ayadi