Tunisie : Nouba, El Hadhra, Mezoued… Des styles musicaux qui conquièrent les cœurs et les esprits
Les chants soufis, Stambeli, Hadhra, Nouba, Mezwed, Rboukh…des styles musicaux de la chanson populaire tunisienne qui séduisent de plus en plus la jeunesse tunisienne. Avec des concerts aux rythmes dansant et « châabi », les spectacles affichent souvent « complet ». Les tickets sont vite « Sold Out » quelques jours après l’ouverture des guichets. Et les spectateurs de toute tanche d’âge et appartenance sociale ratent rarement ces rendez-vous musicaux, aux rythmes de l’âge d’or de la scène musicale populaire tunisienne des années 80 et 90…Nostalgiques, ou en quête d’authenticité, de divertissement ou de défoulement, le retour remarquable, ce courant esthétique et musical festif, connait une expansion significative, au détriment de la musique tunisienne classique comme le Maalouf…
Près de 12 000 spectateurs ont répondu présent au spectacle inaugural « Ocheg denya », du festival international de Carthage 2022. Ce dernier est inspiré de la « Nouba » et du feuilleton à succès portant le même nom, du jeune réalisateur Abdelhamid Bouchnak. Des milliers de personnes ont assisté également au même spectacle, tenu dans un hôtel de la zone touristique de Gammarth, ce 18 juillet…
A l’honneur, des chanteurs de renommée de la chanson tunisienne comme Lotfi Bouchnak et du Mezwed voire du chaâbi, comme Salah El Farzit, Samir Loussif, Moncef Abdla, Abdel Wahab Hannachi…
D’où provient cet engouement pour ce style musical en particulier ? S’agit-il d’une tendance populaire passagère ou d’un réel phénomène social ? Des musicologues ont accepté de répondre à nos questions.
Souheil Harkati professeur de musique a évoqué une crise identitaire de la jeunesse tunisienne.
« Durant cette dernière décennie, nous avons été envahis par de multiples cultures étrangères qui ont influencé nos gouts vestimentaires, culinaires et même nos mentalités. La forte présence de la culture turque dans nos médias, outre la question de l’identité qui a été posée longuement entre 2011 et 2014 lors de la rédaction de la constitution tunisienne par l’assemblée nationale constituante…Ces débats ont incité l’opinion publique et les jeunes en particulier à s’accrocher encore plus à leur identité, à découvrir leur culture locale, authentique et tunisienne. D’où l’intérêt accordé à la Médina de Tunis, le retour de la Chachia, dengri, « Maryoul Fadhila », comme des phénomènes de mode très appréciés…De même pour la musique tunisienne…. », nous explique-t-il.
Emir Bouzaabia artiste, musicien et chanteur, a évoqué un patrimoine musical ancré dans la mémoire collective de la population. « Le plus grand spectacle de la Nouba réalisé dans les années 1990 par Samir Agrebi, au théâtre de Carthage, a permis d’installer le Mezoued dans le paysage culturel national. Il s’agit d’un spectacle historique ayant marqué toute une génération…Cette Nouba a métamorphosé le rapport des spectateurs à ce genre musical populaire, qui a été longtemps stigmatisé par les médias tunisiens », indique-t-il.
D’après le musicien, ce spectacle est resté répertorié dans la mémoire collective, malgré une rupture qui a duré des années. « Le retour à El Hadhra, Ziara et aux rythmes du Mezoued également, a déclenché cette nostalgie à l’âge d’or d’une musique populaire qui réunit chants soufis, spirituels mais jubilatoires, des textes d’adoration des saints tunisiens, et d’autres mélodies tunisiennes, profanes sur des thématiques sociales, à la fois sensationnelles et sentimentales ».
Cette musique populaire à la fois festive et rythmique, répond parfaitement aux attentes des spectateurs, qui sont à la recherche d’authenticité et qui souhaitent célébrer cet héritage culturel musical enraciné dans notre culture. Entre musique orientale et occidentale, les Tunisiens préfèrent réagir fièrement à cette musique locale, qui les fait danser, les divertit et qui valorise leur appartenance culturelle et régionale, explique Emir Bouzaabia.
« Les jeunes ne se reconnaissent pas dans les rythmes du Malouf en revanche. Cette musique arabo-andalouse n’a pas su convaincre cette tranche et les séduire, comparé à la musique populaire, car souvent jugée élitiste. Un autre fait qui a contribué à son effacement par rapport au « Chaâbi », c’est son aspect classique et stagnant. Les compositions et partitions de ce style à caractère oral, ont été longtemps protégées par « La Rachidia ». Le Malouf été rarement modernisé ou revisité, pourtant il fait usage de langue dialectale tunisienne. Avec des spectacles exigeant une trentaine de violonistes, un code vestimentaire soigné et classique, installent une ambiance sophistiquée, voire mondaine. Cependant les jeunes de nos jours, ouverts à la musique polyphonique occidentale et orientale, au rap, et à l’électronique…rejettent les mélodies monotones, et n’arrivent pas à s’y identifier… ».
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E.B