Tunisie : Réouverture des salles de spectacle, l’obligation du Pass sanitaire diversement appréciée
C’est parti pour la saison culturelle. Après des restrictions et des arrêts successifs, les salles de spectacles, tous types confondus, commencent à accueillir le public. Depuis le 26 septembre, les espaces culturels fermés ou ouverts ont repris leurs activités. Une reprise marquée par une grande vigilance, et un respect strict des mesures de prévention, avec en sus, l’obligation de présenter le Pass sanitaire à l’entrée. Une condition diversement jugée par les professionnels du secteur.
Les personnes souhaitant se rendre aux manifestations culturelles doivent dorénavant présenter un Pass vaccinal prouvant qu’ils ont reçu leurs 2 doses de vaccin. La capacité d’accueil à l’intérieur comme à l’extérieur devra être de 50%. S’y ajoute le contrôle et le suivi de l’application des protocoles sanitaires, par les structures organisatrices à l’échelle centrale et régionale.
Des mesures dissuasives pour le public
Ce protocole sanitaire rigoureux imposé par le ministère des affaires culturelles, reprenant littéralement les conditions exigées par le communiqué de la présidence du 24 septembre, dans le but de garantir les meilleures conditions sanitaires pour le public comme pour les employés du secteur,  inquiète les propriétaires des salles de spectacles, et les organisateurs des manifestations culturelles, qui estiment que ces décisions, sont susceptibles de freiner l’affluence du public.
Le propriétaire d’une salle de cinéma au centre-ville de Tunis, R.L, rappelle que 35% des Tunisiens ont reçu leur 2ème dose, soit 3 millions de citoyens seulement, le Pass sanitaire pourrait avoir l’effet contraire. « Faire fuir les 6 % du public qui fréquente encore les salles », a-t-il déploré.
« Notre salle de 500 chaises est fréquentée quotidiennement par une trentaine de clients, durant les heures de pic entre 11h et 17h. Nos recettes sont au plus bas, et le MAC n’a pas tenté d’aider les propriétaires de salles en cette deuxième année de crise sanitaire. Notre secteur a été le premier à fermer ses portes à cause du Covid-19, et le dernier à reprendre ses activités, après les restaurants, bars, et hôtels ! Sans oublier que jusqu’à maintenant, le Pass sanitaire n’a été évoqué que dans le cas des manifestations culturelles. Que dire de son utilisation dans le transport public, les grandes surfaces et les établissements touristiques…L’Etat est en train de tuer à petit feu ce secteur déjà fragilisé, et puis stigmatisé en ces temps de crise…. ».
La culture, « un organe sclérosé de l’Etat »
Le propriétaire a aussi rappelé que l’obligation du Pass sanitaire coïncide avec l’approche de la saison culturelle suspendue depuis 2 ans « Bientôt nous allons célébrer les journées cinématographiques de Carthage (JCC), les Journées théâtrales de Carthage (JTC), les journées musicales aussi (JMC). Mais, nous n’avons pas encore reçu de communiqué officiel du ministère de tutelle, ou du ministère de la santé, qui confirme le démarrage de l’application du nouveau protocole sanitaire. Faut-il utiliser un QR code pour le Pass sanitaire, ou présenter un SMS à l’entrée, comment vérifier les falsifications ? Plusieurs questions qui se posent déjà à ce sujet.
Encore une fois l’Etat a échoué dans ses choix politiques vis-à -vis de la culture, s’est élevé Abdelkader Ben Said, réalisateur et professeur de théâtre. « Ce Secteur a été considéré pour longtemps comme secondaire pour les décideurs. La crise sanitaire nous a confirmé ce constat », a-t-il souligné.
« Pas d’indemnisation ou d’aide pour les gens du secteur durant les confinements et les couvre-feux successifs. Des acteurs, musiciens, chanteurs, organisateurs d’évènementiel,  se sont retrouvés au chômage. Maintenant, même si l’Etat a conscience que seulement 35% des Tunisiens sont vaccinés, on ose nous imposer d’autres mesures restrictives susceptibles d’étouffer le secteur. Imposer un Pass sanitaire alors que l’immunité collective n’est pas atteinte est une décision pleine de  contradictions. ».
D’après Abdelkader Ben Said, la Tunisie tente de suivre le modèle des pays développés, mais en vain. « Les pays occidentaux ont opté pour le Pass vaccinal une fois la population a atteint un taux de vaccination de 70%. Ce n’est pas le cas de la Tunisie. Le nouveau protocole sanitaire est mal adapté à notre réalité, notamment celle du secteur culturel. D’ailleurs depuis les années 60, et les temps de Bourguiba, et de Chedly Klibi, la culture est désormais un organe sclérosé de l’Etat, qui peine à survivre et à surmonter les dégâts des politiques », conlut-il.
D’autres personnes actives dans le secteur, ont accueilli le nouveau protocole sanitaire avec moins de scepticisme, comme Zouhair Wardi un des organisateurs du festival de musique soufi et mystique, « Rouhaniyet », qui sera le premier à reprendre ces activités cette année, du 04 au 07 novembre 2021, à Nefta (Tozeur).
Dans un entretien accordé à Gnetnews, il a souligné que le programme du festival sera adapté au contexte sanitaire. « C’est une question cruciale pour nous tous que ce soit pour les organisateurs, personnel, chanteurs et musiciens ou encore au public. Les personnes souhaitant y assister et ayant reçu leur deuxième dose, bénéficient de la gratuité d’entrée. Dans les cas contraires, l’accès sera interdit aux non vaccinés », annonce-t-il.
Selon Zouhair Wardi, l’obligation du Pass sanitaire serait un moyen pour imposer le vaccin à toute la population. Celui qui n’en a pas risque de ne plus pouvoir circuler librement, dans la mesure où il peut mettre en péril la santé d’autrui ».
S’agissant des 4 spectacles quotidiens programmés dans le cadre du festival, ils seront tenus par alternance, dans des horaires et endroits différents ( à Dar El Ouadi et au théâtre), indique-t-il.
Un SMS doit être présenté à l’entrée
Rabiaa Guerfali directrice régionale des affaires culturelles, a rassuré que le département souhaite réussir ce retour à la normale grâce au Pass vaccinal.Â
Interrogé par Gnetnews, elle a précisé que l’intérêt général du pays nécessite ces mesures strictes.
« Pour les réfractaires, il est temps d’aller prendre sa dose anti-covid pour pouvoir bénéficier de sa libre circulation, surtout que le Pass sanitaire sera probablement utilisé bientôt dans les espaces publics », a-t-elle recommandé.
Au sujet du protocole sanitaire, elle a indiqué que le département a tenu à ce que les manifestations culturelles reprennent, en garantissant un minimum de sécurité sanitaire et une reprise respectable aux gens du secteur.  » L’obligation du Pass sanitaire joint à une capacité d’accueil fixée au début à 30%, avec une distanciation d’un mètre entre les personnes, nous ont parus inapplicables lors de notre réunion avec les membres du comité scientifique.Nous avons exigé une capacité d’accueil de 50 %, pour assurer un minimum de succès pour des manifestations culturelles fraichement de retour ».
La directrice des affaires culturelles régionales a rappelé que, le Pass sanitaire concerne le public outre le personnel, les administratifs, et toutes les personnes actives dans le secteur. Un SMS doit être présenté à l’entrée qui montre que le client a reçu ses deux doses, sauf dans les cas du vaccin unidose  (Janssen).
Emna Bhira