Tunisie : Saïed professe, les partis se querellent, le peuple inspire !

22-10-2019

A l’heure où les déclarations et contre-déclarations se succèdent sur la formation du futur gouvernement, le président élu, Kaïs Saïed, a affirmé hier, lundi 21 octobre que le peuple a commencé à écrire une nouvelle histoire, loin des calculs et des arrangements politiques.

Le nouveau locataire de Carthage, dont l’investiture est prévue demain mercredi 23 octobre, ne semble avoir d’yeux que pour le peuple, qui lui a largement accordé sa confiance, avec un score très honorable, à l’élection présidentielle (72,71 %). Il se garde jusque-là de se prononcer sur le débat qui fait rage sur la formation du futur gouvernement et sur la bataille que se livrent les partis politiques, sur celui qui le dirigera, sa composition, le partage des portefeuilles entre les différents partis, etc. Saïed qui semble encore grisé par l’effet d’un succès électoral hors norme, et inédit de par ses tenants et aboutissants, réitère son attachement à une seule légitimité, celle du peuple qui l’a propulsé au sommet de l’Etat, pour veiller à sa destinée.

Ce président qui voudrait être au-dessus des partis, des appartenances politiques, des idéologies et des clivages déclinera, selon toute vraisemblance, demain à l’hémicycle les contours de son quinquennat. Il ne reviendra pas sur son programme, parce qu’il n’en a pas, ni sur ses promesses, parce qu’il n’en a pas fait ; mais sur sa conception de la gouvernance et du pouvoir qui devra partir de la base, au sommet ; et du local au central.

Le nouveau locataire de Carthage est aujourd’hui dans une autre logique, qui n’est pas celle de ceux qui vont partager avec lui le pouvoir exécutif, ni de ceux qui incarneront le futur parlement qui aura à plancher, discuter et à voter les projets de lois, y compris ses initiatives législatives. La nature de ses rapports avec la Kasbah et le Bardo reste à découvrir, mais tout porte à croire, qu’elle ne sera pas simple.

Otages des quotas partisans
Les partis politiques qui sont tenus de composer le prochain gouvernement sont, eux, dans des logiques différentes, et restent, bon gré, mal gré, otages du principe des quotas partisans.

Avec sa victoire relative aux législatives, à l’issue desquelles, il a obtenu 52 sièges, le mouvement Ennahdha revendique son droit à diriger le prochain gouvernement, et promeut le nom de son président. Mais, ce n’est qu’une simple manœuvre pour augmenter les chances de Rached Ghannouchi d’occuper le perchoir.

Parallèlement, le mouvement met en avant d’autres noms en mesure d’occuper la primature, comme Zied Ladhari, Abdellatif Mekki et Samir Dilou.

N’ayant pas de majorité absolue, le mouvement a besoin d’alliance à même d’entourer son gouvernement d’un large cordon politique nécessaire pour sa stabilité. Sauf que les partis qui sont censés faire partie de la coalition gouvernementale ont des conditions jugées irrecevables par Ennahdha.

Après Mohamed Abbou qui a exigé les portefeuilles de la Justice, de l’Intérieur et de la Réforme administrative, le mouvement Echaâb refuse toute participation à un gouvernement formé et dirigé par Ennahdha, et réclame « un gouvernement du président », c’est-à-dire, un cabinet dont la formation sera confiée au président, ou du moins, sur la composition duquel, il aura pesé de tout son poids.

Les concertations officielles ayant déjà démarré, c’est un dialogue de sourds qui semble prévaloir sur la scène politique, la position de Qalb Tounes ne fait qu’accentuer la cacophonie.

Le parti de Nabil Karoui deuxième force parlementaire (38 sièges), cherche, manifestement, à entrer dans le gouvernement, et à dissuader Ennahdha à renoncer à la décision de l’exclure des concertations autour de sa formation. Le mouvement lui oppose jusque-là une fin de non-recevoir, histoire d’entamer ce mandat électoral sur de nouvelles bases, différentes de celles de 2014.

Tunisie, inspiratrice de l’acte II du printemps arabe ?!
La cuisine politique bouillonne, chaque parti tente de tirer la ficelle à lui et à fixer le plafond de ses revendications haut, pour peser sur les rapports de force qui se redessinent. Le discours des uns et des autres de rompre avec le passé et d’ouvrir une nouvelle page, n’empêche pas les mêmes querelles de refaire surface.

Si ces palabres continuent, et si les tractations pour la formation du futur gouvernement s’éternisent, cela serait la preuve que les partis politiques sont en déphasage avec deux réalités : La première est la situation critique du pays qui ne pourrait souffrir que ce passage à vide s’inscrive dans la durée, et qui requiert qu’un gouvernement soit formé et opérationnel illico presto. Et la deuxième est le rejet par le peuple du système en place avec ses compromissions et ses calculs partisans étriqués, dans la mesure où il n’a donné un blanc-seing à aucun parti, d’où le parlement effrité qui est sorti des urnes, et le risque d’instabilité qui s’en suit.

En votant massivement pour Kaïs Saïed, les Tunisiens ont plébiscité l’antisystème, un choix qui séduit partout les peuples arabes dans ce qui semble être l’acte II du printemps arabe…Au Liban, en Algérie et ailleurs, les peuples sont en train de se rebeller contre les régimes politiques en place, symboles de corruption, de clientélisme, d’affairisme…refusent la politique du fait accompli qui les a longtemps étranglés, appauvris, et saignés à blanc, et se battent pour se réapproprier leur présent et leur avenir, en mandatant des dirigeants intègres, sensibles à leurs préoccupations et leurs souffrances, et censés leur apporter le changement escompté.

H.J.