Tunisie/ Tourisme : Une reprise relative, freinée par l’absence des Russes et Algériens

01-07-2022

Avec ce début du mois de juillet et donc le démarrage de la saison estivale, les hôtels s’apprêtent à accueillir des milliers de touristes.

Des établissements ont même déjà affiché complet pour cet été, ce qui présage une relance du secteur touristique, vitale pour l’économie du pays, notamment après deux années de pandémie qui  l’ont lourdement fragilisé.

Pour en savoir plus, nous nous sommes adressés à deux professionnels du secteur, Abdessattar Badri et Khaled Gnaba.

La saison la plus difficile depuis des années

Plages de sable blanc, soleil et bon vivre sont les principaux atouts dont disposent la Tunisie, ayant fait d’elle une destination prisée des touristes. Après une saison record en 2019, la pandémie de Covid-19 a pendant deux années consécutives, mis à mal ce secteur essentiel au développement économique du pays.

Aujourd’hui, les indicateurs semblent montrer une reprise, certes positive, mais à prendre avec des pincettes. C’est ce que nous a expliqué le Directeur Général de TTS, Abdessatar Badri, qui est  la plus grande agence de voyage du pays. Elle détient la majorité des marchés avec les plus célèbres Tour Operator du monde mais également la compagnie aérienne Nouvel Air.

« On ne peut pas dire que c’est une mauvaise ou une bonne saison. Je pense qu’il s’agit plutôt d’une saison transitoire et la plus difficile depuis des années. Au moins, au moment du Covid, on savait à quoi s’attendre. Aujourd’hui ce n’est pas le cas tellement les choses évoluent rapidement », nous dit-il.

En effet, au mois de mars dernier, la commercialisation n’était pas encore au beau fixe à cause des restrictions liées à la pandémie et à la guerre russo-ukrainienne. Un constat que nous confirme à son tour Khaled Gnaba, CEO de la société Meeting Point Tunisia. Cette agence est un relais local de plusieurs Tours Operators étrangers. Il travaille avec plusieurs pays, principalement l’Allemagne, la Suisse, l’Autriche et la France.

« Au mois de février on espérait faire au moins 50% des chiffres de 2019, qui est l’année de référence. Nous jaugeons la saison en fonction des Early Bookings. Si au mois de mars on arrivait a faire 30% de réservations en Early Booking, on aurai dit que la saison était à peu près bonne. Or en mars nous n’en avions aucune. On parlait encore du Covid et des restrictions. Et puis, en un mois et demi, on a eu un véritable boom de réservations.

D’après Mr Gnaba, cette accélération est due à plusieurs phénomènes. D’abord, la levée des restrictions sanitaires, le besoin de voyager après deux ans de pandémie et la proximité de la Tunisie avec l’Europe.

« Aujourd’hui nous avons de très bons chiffres sur la clientèle française notamment. Certains hôtels ont même activé les « stop sale » car complet. Il y a un bon retour des marchés classiques : français, allemand et anglais. Il y a également une amélioration, certes petite mais non négligeable, des marchés hollandais et belges grâce à des vols directs depuis Bruxelles et Charleroi. Et enfin, il y a aussi une relance très positive du côté portugais », assure Gnaba.

Les deux professionnels sont unanimes sur le fait qu’il faut assurer cette saison pour espérer avoir une bonne saison l’année prochaine.

Des hôteliers en difficulté

Dans une récente déclaration médiatique, le  président de la  Fédération Interprofessionnelle du Tourisme Tunisien (Fi2T),  Houssem Ben Azzouz a indiqué « qu’environ 50% des hôtels en Tunisie n’ont pas encore pu reprendre leur activité et rouvrir leurs portes aux clients pendant cette saison touristique ». Pour ceux qui ont pu rouvrir ou maintenir leur activité, le manque de ressources financières ne leur à pas permis de remettre à niveau leurs structures.

« En réalité, nos hôtels ne sont pas prêts pour une reprise à 100% après les deux années de Covid. Cela fait deux ans que les hôteliers souffrent et en l’absence de liquidités et autres aides, ils n’ont pas les fonds pour remettre à niveau leurs établissements », déplore Abdessatar Badri. « Aujourd’hui les agences de voyage et les hôteliers sont en train de gérer avec les moyens du bord pour assurer cette saison. La situation est encore floue. », a-t-il ajouté.

Ainsi, les professionnels du secteur ont été pris de court par la relance de l’activité touristique prévue pour cet été.

« Les hôtels ont du mal à faire face à l’inflation et notamment l’augmentation du prix des matières premières. Les problèmes financiers ont un impact sur le service qui est la composante la plus importante de notre activité. Il faut également que l’Etat soit à la hauteur des enjeux du secteur touristique. C’est à lui de garantir la propreté des villes, des plages, la mise à niveau de l’aéroport, la sécurité etc… Or aujourd’hui, nous sommes encore loin des standards proposés dans d’autres pays voisins comme l’Egypte ou le Maroc », souligne Khaled Gnaba.

De son côté,  Abdessatar Badri affirme que les exigences de la clientèle étrangère ont évolué. « Par exemple, ils veulent désormais séjourner dans des hôtels qui suivent des protocoles permettant de protéger l’environnement avec un label « green ». Donc il faut qu’on s’adapte et pour cela il faut investir ».

Réductions allant jusqu’à 20%

L’absence des touristes russes et la fermeture de la frontière algérienne constituent un manque à gagner pour de nombreux hôteliers. Il est à noter que la Tunisie accueillait  annuellement entre 5 et 6 millions de touristes algériens.

« L’absence du marché algérien se fait beaucoup ressentir surtout qu’il est moins exigent du point de vue qualité que la clientèle européenne par exemple. Donc en ces temps difficiles, les touristes algériens auraient pu constituer une vraie manne pour l’économie du secteur. Il y a certains hôtels et agences de voyage dont 80%/90% de leurs ventes se font avec le marché algérien », affirme le DG de TTS.

Il en va de même pour la clientèle russe. Suite à l’afflux de touristes russes ces dernières années, certains professionnels se sont spécialisés dans ce créneau. « Les hôtels qui avaient misé sur les clientèles russe et algérienne sont aujourd’hui obligés de faire des réductions allant jusqu’à 20% afin de sauver la saison.

Un quota maximum de 20% pour le marché local

Avec ces deux dernières années de pandémie, la clientèle tunisienne a été un pilier pour la survie de certains établissements. En effet, en l’absence de touristes étrangers, les hôteliers ont du s’adapter en proposant des offres en adéquation avec me marché local.

« C’est vrai qu’on a beaucoup entendu dire que la clientèle locale permet de sauver en partie la saison, mais en réalité elle ne la sauve que ponctuellement, à savoir pendant la  saison estivale, les vacances scolaires et les fêtes de fin d’année. Mais un hôtel a besoin de vivre toute l’année », souligne Abdessattar Badri.

Pour appuyer son propos, ce dernier prend l’exemple de la ville de Tabarka. Une destination prisée par les Tunisiens mais qui n’est promue par aucun tour opérateur étranger. Une situation expliquée principalement par l’absence d’aéroport à proximité, faisant d’elle une destination ponctuelle pour le marché local uniquement. « Aujourd’hui les hôteliers de Tabarka souffrent parce que ce sont les TO et les aéroports qui livrent les hôtels. Les clients étrangers peuvent venir toute l’année afin d’assurer la survie des structures hôtelières et les emplois », explique le professionnel.

Par ailleurs, à la fois Khaled Gnaba et Abdessattar Badri font un constat qui peut paraître amer pour certains mais qui est une réalité que l’on ne doit pas nier. Selon eux, afin de fidéliser la clientèle étrangère, il faut que les hôtels trouvent un compromis entre marché local et tours opérateurs. « Un hôtel connu pour une clientèle européenne doit garder un certain ratio. Quand une centaine de clients étrangers se retrouvent avec 300 clients locaux, nous nous retrouvons avec beaucoup de problèmes à gérer. Idem pour les clients étrangers eux-mêmes. Par exemple on ne peut pas avoir 50% d’allemands et 50% de russes dans le même hôtel. Il s’agit de faire de la gestion pour éviter les réclamations et pouvoir fidéliser », dévoile Badri.

Dans ce sens, Khaled Gnaba estime qu’il faut limiter la clientèle locale à 20% dans les hôtels. « Ce sont des mots durs, mais c’est une réalité. Il s’agit juste d’une question d’équilibre pour fidéliser la clientèle étrangère, indispensable au développement du secteur touristique en Tunisie ».

Le client Tunisien est considéré comme étant du « super dernière minute », tandis que les tours opérateurs, eux, pratiquent le « Early Booking », ce qui permet aux agences et hôtels de disposer d’avances financières pour garantir un fond de roulement pour la mise à niveau des services.

Wissal Ayadi