Tunisie/ Division du peuple : Est-ce un signe de démocratie, ou un risque d’affrontement ? (Reportage)

04-10-2021

Depuis plusieurs semaines, les manifestations pro et anti Saïed se relayent sur l’Avenue Habib Bourguiba. Tantôt ceux qui appuient les mesures exceptionnelles prises par le chef de l’Etat au soir du 25 juillet et tantôt ceux qui, au contraire, crient au coup d’Etat et à une manœuvre pour un retour à la dictature. Le peuple tunisien semble être divisé en deux camps, lesquels s’opposent dans la rue à qui aura le plus grand rassemblement.

Assiste-t-on ici à une démonstration de démocratie ni plus ni moins, ou plus grave, à une division qui risquerait de dégénérer et de faire apparaître les premiers signes d’une guerre civile ?

Au lendemain de la grande manifestation qui a eu lieu le dimanche sur la principale artère de la capitale, nous avons adressé, ce lundi 04 octobre, cette question aux Tunisiens.

Nous avons recueilli leur avis sur la nomination, il y a quelques jours, de Najla Bouden à la tête du prochain gouvernement.

Culture démocratique

La plupart des Tunisiens que nous avons pu interroger, estime que les dernières manifestations des pros et anti Kais Saied font preuve d’une culture démocratique ancrée dans la société tunisienne. « Ceci ne peut être qu’un indicateur positif, puisqu’aucun partisan n’a été opprimé en exerçant son droit de s’exprimer librement dans un cadre légal. Les autorités ont ainsi bien joué leur rôle en assurant la sécurité des manifestants », a souligné un des passants.

En revanche ce dernier craint que cette polarisation d’opinion ne devienne plus extrême engendrant ainsi la division du peuple. « Depuis la révolution, nous avons assisté à la naissance d’une nouvelle catégorisation sociale selon les tendances politiques de chacun. A cause de l’influence politique des partis et des médias, l’unité des Tunisiens est mise en péril », analyse-t-il.

Un cadre de banque à la retraite rappelle, quant à lui, que la démocratie est basée sur la divergence d’opinions. «  C’est la règle du jeu. Le fait que les Tunisiens soient instruits, nous a sauvés d’un éventuel glissement vers une guerre civile,  menée par deux camps, ceux qui approuvent les mesures exceptionnelles de Kais Saied, et ceux qui accusent le président de la République de s’arroger les pleins pouvoirs ».

Les médias ne cessent d’alimenter la dissension et les tiraillements politiques provoquant ainsi l’indignation, au lieu d’adopter un discours qui  favroise l’unité et qui met la stabilité et l’intérêt du pays en premier, souligne-t-il.

Éviter les querelles partisanes

Sur un autre sujet, concernant les priorités de la nouvelle cheffe du gouvernement Nejla Bouden, la première femme à occuper ce poste en Tunisie et dans le monde arabe, ce banquier à la retraite a recommandé de s’attaquer aux questions prioritaires : « Revaloriser le travail et la productivité notamment dans la fonction publique, combattre la contrebande en la réintégrant dans le circuit  légal, et réduire le taux de chômage des diplômés ».

Pour d’autres,  les priorités de Nejla Bouden sont d’ordre social et économique. Comme ce citoyen qui a invité la future cheffe du gouvernement à éviter les querelles partisanes, pour se concentrer sur des objectifs communs du peuple. Pour lui, la société tunisienne a besoin d’être plus soudée. Le gouvernement doit travailler dans ce sens, et déjouer toute tentative de querelle partisane ».

D’autres sont moins enthousiastes par cette désignation. « En ce moment le pays a besoin d’un expert en économie, pour nous sortir du surendettement. Pourtant, Kais Saied a choisi une diplômée en géologie, pour gérer deux crises sans précédent, sanitaire et économique. Il s’agit d’un trop plein de responsabilités, pour une femme », dénonce-t-il.

Pour notre interlocuteur, qui s’attendait à ce qu’un homme avec une expérience en finances,  soit  à la tête du prochain gouvernement, une femme ne saurait pas remplir cette responsabilité. « Nous savons tous la place de la femme dans notre société. J’ai des doutes qu’elle puisse réussir à gérer ce poste managérial », extime-t-il.

Reportage réalisé par Emna Bhira et Wissal Ayadi