Palestine : La position de la Tunisie est « un changement historique fort », « la ligue arabe à côté de la plaque »

18-10-2023

« Nous œuvrons à ce que la Palestine soit indépendante, et à ce qu’elle parvienne à évacuer ceux qui assassinent tous les jours les enfants  palestiniens ». Ce sont les mots prononcés par le président de la république.

Il a par ce discours réitéré son soutien indéfectible à la cause palestinienne, se disant persuadé que toute « la Palestine sera libérée du dernier soldat sioniste ».

La Tunisie se démarque ainsi de sa position historique ainsi que de celle de l’initiative de paix arabe et d’une solution à deux Etats.

Adnen Limem et Béchir Jouini, tous deux spécialistes en relations internationales, nous livrent leur analyse. 

Les trois positions de la Ligue Arabe

La Ligue arabe, depuis sa naissance en 1945, a été toujours traversée par des divisions. Elle renferme deux positions diamétralement opposées, et une troisième que l’on peut qualifier de neutre.

La première est la ligne  dite de normalisation, encouragée notamment ces dernières années, par les accords d’Abraham, initiés par l’ex-Président américain Donald Trump. Les Etats qui soutiennent cette ligne à l’image de certains pays du Golfe, d l’Egypte ou encore du Maroc envisagent la question du conflit israélo-palestinien, selon leurs propres intérêt nationaux, qu’ils soient économiques ou politiques », nous confie Adnan Limem, professeur universitaire et spécialiste des relations internationales. 

Et la deuxième est celle qui rejette tout rapprochement avec l’entité sioniste soutenant la résistance et la libération de la Palestine.  « Ces Etats sont engagés en faveur de la cause palestinienne comme l’Algérie, le Liban, l’Irak, la Syrie et maintenant la Tunisie. Il s’agit pour ces pays d’une question existentielle qui transcende les intérêts nationaux. 

Ils incarnent une tendance qui appelle à la justice dans le traitement de la question palestinienne » , nous dit l’expert.

Enfin, la troisième catégorie regroupe des Etats, dits passifs. « Ce n’est pas une question de neutralité car aucun pays n’est neutre sur la question palestinienne », poursuit Limem.

La position de la Tunisie n’est pas un changement de cap

Selon l’expert en relations internationales Bechir Jouini, la Tunisie, à travers la position de Kaïs Saïed, a voulu monter d’un cran par rapport à celle prônée jusqu’à présent par la Ligue Arabe, se ralliant notamment aux lignes soutenues par d’autres pays voisins comme l’Algérie ou la Libye.

« La position de la Tunisie n’est pas un changement de cap, c’est un changement historique fort. Il s’agit d’un langage qui peut paraître populaire et qui en réalité audible par l’opinion publique arabe », nous dit-il.

De son côté, Adnan Limem indique que la position du chef de l’Etat peut être considérée comme plus avant-gardiste, marquant une rupture qui est déjà fondée sur une position de principe. « Le discours de Kaïs Saïed appelle à la libération de toute la Palestine, s’affranchissant de la légalité internationale, en considérant qu’Israël ne la respecte pas non plus », relève-t-il. 

« Il remet les choses dans leur contexte historique et revient aux impératifs qui transcendent la légalité internationale et qui relève de la justice élémentaire », ajoute-t-il. 

Dans un récent entretien avec Ahmed Hachani, Kaïs Saïed a réitéré cette position: « l‘on vit un tournant historique à l’intérieur et à l’extérieur, toutes les forces nationales, à l’intérieur, devront être au rendez-vous avec l’histoire ; toute conscience vive dans le monde, devra se tenir aux côtés du droit du peuple palestinien, en vue de recouvrer son droit spolié sur l’ensemble de la terre de la Palestine », a-t-il dit. 

« Kaïs Saïed soutient toute action qui va dans le sens du rétablissement de la justice. Il soutient des actions. Pour lui ce n’est pas une question de soutien ou non au Hamas, mais ce qui lui importe c’est que les terres spoliées reviennent aux Palestiniens, peu importe la méthode », souligne Adnan Limem.

Le Ligue Arabe doit s’unir et se prononcer clairement

Réunis le 11 octobre dernier au Caire, siège de la Ligue arabe, les ministres des Affaires étrangères arabes ont condamné le siège imposé par Israël à Gaza, réclamant l’acheminement « immédiat » d’aide aux 2,3 millions de Palestinien soumis à des raids intensifs de l’armée israélienne.

Pour autant, les dissensions au sein de la Ligue Arabe sur la question du conflit israélo-palestinien continuent d’affaiblir cette institution, qui pâtit déjà d’une faible influence dans la région.

« Sur la question de la Ligue Arabe, je pense qu’elle est à côté de la plaque. Elle est beaucoup trop influencée par les pays qui ont du poids et notamment l’Egypte. Ainsi, la fracture qu’il y a au sein de la Ligue ne lui permet pas vraiment de peser dans les discussions, ni  de se mettre d’accord sur une position claire et affranchie », affirme Bechir Jouini.

Selon  Adnen Limem, la Ligue Arabe est en porte-à-faux par rapport au pouls de l’opinion publique. « La tendance dominante au sein de la Ligue est celle de la première catégorie d’Etats qui sont sur la ligne de la normalisation des relations avec l’entité sioniste. Avec cette tendance, il n’y a rien d’important ou de bon à espérer. Elle montre ici une déclaration d’impuissance et de désintérêt », déplore-t-il. 

Ainsi quelle marge de manœuvre ont les pays arabes esseulés, comme la Tunisie, l’Algérie, ou la Libye, face à la position dominante au sein de l’organisation panarabe ? Sur cette question, Adnen Limem est claire, ils ne pourront pas entraîner d’autres Etats sur un changement de cap. 

 » Je ne pense pas que les Etats esseulés puissent entrainer d’autres Etats dans leur position. Le sort de la question palestinienne ne sera pas fixée par la Ligue Arabe. Ce sera fait par les combattants palestiniens et de la stratégie d’ensemble de l’axe de la résistance. On parle du Hamas en tant que mouvement de libération nationale. Et dans l’Histoire, ces mouvements ont tous été qualifiés de terroristes. Or le Hamas fait partie d’un axe, celui de la résistance, qui est composé de membres qui pèsent comme le Yemen, le Liban, à travers le Hezbollah qui est prêt à entrer en guerre, ou encore la Syrie », note Limem.

« La ligue arabe n’interviendra pas militairement. La seule chose qui peut être envisagée, si la situation dégénère, est une intervention de la Syrie et du Hezbollah qui a déjà commencé à intervenir militairement », a-t-il ajouté.

Deux Etats, accords d’Oslo…sont-ils définitivement enterrés?

Aux vues de l’ampleur du confit au Proche-Orient, il est certains que certaines variables ont changé la donne, remettant en cause notamment les différentes initiatives en vue d’une paix, juste et durable.

« On parle encore de l’autorité palestinienne en tant qu’unique représentant du peuple palestinien, or tout cela est très vieux jeu est dépassé. Israël, elle même, n’applique pas ses impératifs pourtant ratifiés dans les accords d’Oslo, violant littéralement le droit international. La solution à deux Etats est elle aussi dépassée.  Israël a crée une situation de fait qui rend l’existence d’un Etat palestinien viable impossible », rapporte Adnen Limem.

Wissal Ayadi