La Tunisie remplit-elle les conditions pour l’annulation de sa dette extérieure ?

08-06-2023

Le président Kaïs Saïed appelle clairement à l’annulation de la dette extérieure de la Tunisie et sa conversion en projets de développement spécifiques. Une déclaration faite lors de sa rencontre avec Giorgia Meloni, la présidente du Conseil  italien, en visite à Tunis ce mercredi 6 juin. 

Une dette colossale qui pèse sur l’État tunisien et dont les prochaines échéances de remboursement sont importantes, notamment en 2023. Pour le moment, 27,4 % des montants dus ont été honorés. Sans un accord d’un programme de financement avec le FMI, l’étau risque de se resserrer sur les finances du pays qui peinent à rester à flot pour éviter le défaut de paiement. 

La question est de savoir si cette annulation est possible? Quelles en seraient les conditions mais aussi les risques et les conséquences? Hamza Meddeb, chercheur au Carnegie Middle East Center a bien voulu analyser pour GnetNews cette annonce,  mais aussi expliquer le processus d’une telle opération. 

Qu’est ce que la dette extérieure ?

La dette extérieure de la Tunisie revêt trois natures. La première est la dette bilatérale, qui est contractée auprès d’autres Etats. Il y a également la dette multilatérale qui provient des institutions financières internationales comme le Fonds Monétaire International, la Banque Mondiale, la Banque Africaine de Développement, etc… Et enfin la dette vendue sur les marchés internationaux sous forme de bons de trésor et achetée par des investisseurs internationaux. 

Le service de la dette extérieure est la somme versée annuellement par un pays pour rembourser le capital emprunté et les intérêts.

La structure de la dette tunisienne est à environ 50% contactée auprès des partenaires multilatéraux, à 25% auprès des partenaires bilatéraux et entre 18 et 20% sur les marchés internationaux. 

Hamza Meddeb indique à cet égard que l’annulation de la dette concerne essentiellement la dette bilatérale. 

Un peu d’histoire… 

Afin de comprendre le processus d’annulation de la dette d’un Etat il est important de faire un petit bond dans le temps. Ainsi, Hamza Meddeb, nous explique que la première fois que la question de l’annulation de la dette a été évoquée dans le monde remonte aux années 90 afin de venir en aide aux pays pauvres. « A l’époque il s’agissait de soutenir surtout les pays du continent africain, afin de les aider à surmonter leurs difficultés financières et dont le service de la dette a totalement accaparé le budget des Etats, ne laissant plus les investissements dans les secteurs les plus importants (éducation, santé notamment) se faire », nous dit le chercheur. 

C’est donc en 1996, que le G7 a lancé une initiative destinée aux pays pauvres très endettés (PPTE, HIPC Heavily Indebted Poor Countries en anglais). Elle vise à assister les pays les plus pauvres du monde en rendant leurs dettes internationales « soutenables », les rendant éligibles et surtout prioritaires à l’annulation  de la dette. 

C’est en 2005 que le premier programme d’annulation de dette a été approuvé par le G7. « Un tel processus suppose un accord à l’unanimité entre les créditeurs du G7 ou du G20. A l’époque une quarantaine de pays ont pu en bénéficier », précise Meddeb.

La question de l’annulation de la dette est ensuite revenue sur la table au moment de la crise du Covid-19 où les créditeurs ont opté finalement pour un rééchelonnement pour ces pays et non une annulation totale en raison d’une crise financière mondiale et des désaccords entre les pays occidentaux et la Chine. 

L’annulation de la dette tunisienne est-elle faisable ? 

Compte tenu des éléments mentionnés ci-dessus, la question est de savoir si la Tunisie remplit les conditions pour l’annulation de sa dette extérieure. D’après Hamza Meddeb il sera très difficile d’obtenir cette « faveur ». 

En effet, le chercheur rappelle dans un premier temps que le Tunisie ne fait pas partie des pays pauvres très endettés (PPTE) mais qu’elle se situe dans la catégorie des pays a revenu intermédiaire tranche inférieure (Low middle income countries en anglais). « Si l’annulation de la dette de la Tunisie est accordée, cela va encourager d’autres  pays de cette catégorie à bénéficier du même mécanisme et cela n’arrange pas les créanciers », nous dit Meddeb. 

Par ailleurs, ce dernier évoque également l’aspect politique de l’annulation de la dette. En effet, le chercheur nous explique qu’une demande d’annulation de la dette d’un pays suppose une stratégie claire et une vision pour le redressement du pays et de bonnes relations avec les institutions financières. « Les pays dont la dette est annulée doivent être engagés pleinement dans un processus de redressement de leur économie avec dans la plupart des cas un programme de financement du FMI et donc vers la mise en place de réformes. Or, dans le cas de la Tunisie, nous voyons bien la position de Kaïs Saïed rejetant ce qu’il considère comme étant des « diktats » du FMI entrant ainsi dans un bras de fer avec l’institution de Bretton Woods », souligne-t-il. 

Hamza Meddeb relève également l’importance de la réaction des marchés internationaux quant à une telle demande. « Cela dépend de comment ils traduiront la demande d’annulation de la dette. Est ce qu’il s’agit d’une réelle volonté de redresser le pays ou est ce qu’il s’agit d’une preuve d’un pays en grande difficulté financière les poussant à brader leurs bons du trésor au profit d’autres fonds d’investissement sournois ? », s’interroge-t-il. 

A cet égard, il convient de noter qu’en 2005, sur 73 pays éligibles à l’annulation de la dette, seuls 46 ont répondu de manière favorable, car un tel mécanisme pourrait impliquer une une dégradation de la note souveraine et rendre les sorties sur les marchés plus compliquées. La proportion de la dette achetée par les marchés dans l’ensemble de la dette pourrait expliquer la réticence de certains pays pauvres à demander l’annulation de la dette.  

Wissal Ayadi