Tunisie : Les propriétaires des jardins d’enfants ne décolèrent pas, la révision du nouveau cahier des charges n’est pas exclue !

15-03-2022

Un nouveau cahier des charges pour les Jardins d’enfants a été publié au JORT au mois de janvier dernier. Ce dernier doit régir les condition d’ouverture de ces établissements qui sont soumis à la tutelle du ministère de la Femme, de la Famille, de l’Enfance et des Séniors.

Ce nouveau texte a provoqué un véritable tollé dans le secteur des jardins d’enfants. Pour les syndicats et les promoteurs, il est intenable et irréalisable dans le temps imparti. en effet, les autorités leur ont donné un délai d’une année pour répondre aux nouvelles conditions.

Pour en savoir plus nous avons interrogé plusieurs professionnels.

Pas de concertations

« Ce nouveau cahier des charges ne répond pas à la réalité du terrain, ni aux besoins des promoteurs et des parents ». C’est le constat fait par Mme Nebiha Kammoun Tlili, présidente de la chambre syndicale nationale des crèches et des jardins d’enfants relevant de l’UTICA.

Elle explique dans un premier temps que la publication de ce nouveau texte est en totale contradiction avec les nombreuses réunions auxquelles elle a assisté avec la direction de le l’enfance. « Nous avons été trahis par le directeur de l’enfance. Le cahier des charges n’a rien à voir avec les procès verbaux que nous avons signés, lors des réunions de concertations », affirme-t-elle.

D’abord, Mme Kammoun déplore l’adoption de l’obligation de distanciation de 200 mètres linéaires  entre les jardins d’enfants au lieu de l’utilisation d’une limitation basée sur le périmètre. « Nous nous étions pourtant mis d’accord avec les services du ministère à ce sujet…mais nous avons été trahis encore une fois ».

L’autre problème concerne les nouvelles conditions quant à l’infrastructure des jardins d’enfant. « Ceux qui ont des JE depuis de nombreuses années ne peuvent pas s’embarquer dans des travaux. Que doivent-ils faire ? Abandonner leur fonds de commerce ? Chercher un autre local ? Il faut savoir que 80% des jardins d’enfants sont des biens loués. Appliquer ces conditions en une année c’est quasiment impossible. », souligne Mme Kammoun. Elle explique que si ce cahier des charges reste en l’état, de nombreux établissements seront obligés de mettre la clé sous la porte.

A cet égard, et à titre d’exemple, l’ancien texte prévoyait un espace de 1,5 m par enfants… Dans le nouveau, le ministère impose des salles de classe de 16m2. « Si nous n’avons pas de salles de cette taille qu’est ce qu’on doit faire ? On démolit ? On pousse les murs ? », s’insurge la représentante syndicale.

Mais le point, qui a fait le plus grincer des dents est l’autorisation, de nouveau, pour les associations d’ouvrir des jardins d’enfants. « En 2015, la présidence du gouvernement avait interdit aux associations d’ouvrir des jardins d’enfants. Cette décision visait notamment les associations coraniques et les jardins d’enfants coraniques suite aux nombreux problèmes qu’il y a eu dans ces établissements ». Mme Kammoun fait notamment référence à l’affaire de l’école coranique de Regueb à Sidi Bouzid où les propriétaires de l’établissement ont été accusés, entre autres, de traite humaine.

Un manque de soutien de la part de l’Etat

Fatma Behi, est une jeune entrepreneuse. Elle espère à la rentrée prochaine inaugurer son jardin d’enfant dans le quartier de La Marsa à Tunis…Mais pour elle, le nouveau cahier des charges n’a fait qu’alourdir la procédure. « je suis confrontée à de nouvelles lourdeurs administratives alors que je n’ai même pas encore ouvert le jardin d’enfant », déplore-t-elle.

En effet, si avant les promoteurs pouvaient déposer une demande d’accréditation à tout moment, désormais il y a un délai et il est fixé entre les mois d’avril et mai. Ainsi, si Fatma veut que son rêve devienne réalité, elle n’a plus que quelques semaines devant elle pour finaliser toutes ses démarches.

« Nous connaissons très bien les problèmes et les lenteurs de l’administration pour vous fournir des documents administratifs…alors il sera difficile de tenir les délais. De plus quand on dépose notre demande en avril, nous ne pouvons commencer à travailler qu’en septembre. Mais au moment du dépôt de dossier, nous devons tout de même fournir les contrats de travail des animatrices qui vont travailler dans le jardin d’enfant. Je dois donc faire passer des entretiens et signer des contrats 6 mois avant de pouvoir ouvrir. Il n’y a aucune logique! », lance-t-elle.

Concernant le programme, Fatma Behi déplore le manque de clarté du nouveau texte. En effet, il est stipulé que toutes les activités de la maternelle devront être mises en œuvre dans le cadre du cursus scolaire officiel du ministère en charge de l’enfance et conformément aux normes des établissements d’enseignement préscolaire et interdit ainsi  l’adoption de cursus et programmes étrangers quelle qu’en soit la source. « Ici à La Marsa, il y a une forte demande pour un enseignement bilingue, voire trilingue. Moi je comptais m’inspirer du système de l’éducation nationale française pour l’enseignement du français », souligne Fatma.

Des milliers de cadres éducatifs obligés de passer un diplôme

Pour Rim Trabelsi, directrice depuis 10 ans d’un jardin d’enfant à El Omrane à Tunis, ce cahier des charges est un coup dur le secteur. « Avec la pandémie de Covid-19, nous avons eu beaucoup de difficultés à nous relever. Et là on nous impose encore des conditions irréalisables ! », affirme-t-elle.

« Pour ce qui est du personnel, jusqu’à présent nous avions la possibilité de recruter des animatrices qui ont au minimum un niveau bac. Dans le nouveau cahier des charges, on demande à ces personnes qui travaillent parfois depuis une vingtaine d’années de passer un diplôme pour pouvoir continuer leur activité. Or leur expérience en jardin d’enfant est mieux appréciée que celle des jeunes diplômées », a-t-elle ajouté.

Elle explique par ailleurs qu’il est aujourd’hui de plus en plus difficile de trouver du personnel qualifié. Mme Trabelsi indique à cet égard que l’Institut Supérieur des Cadres de l’Enfance de Dermeche ne fait pas sortir assez de diplômés pour le recrutement dans les jardins d’enfants. De plus pour la plupart, leur projet est soit d’ouvrir elle même un établissement ou de trouver une place dans l’administration.

« Cela fait deux mois que je cherche une animatrice et je n’ai eu aucune candidature ».

Enfin, la directrice du Jardin d’enfant nous dit que ce cahier des charges va être encore plus difficile à tenir pour les petits jardins d’enfants situés dans les zones défavorisés. « Leurs tarifs sont très bas et ne peuvent pas appliquer tout ce qu’on leur demande, comme par exemple les caméras de vidéo-surveillance. Il faut compter au minium 4000DT pour une installation de caméras ».

Pour autant, les professionnels du secteur ne comptent pas en rester là, car ils ont tous refusé d’appliquer ce nouveau cahier des charges, au risque de se voir infliger une obligation de fermeture.

Après un courrier fait à la ministre de la Famille, de la Femme, de l’Enfance et des Séniors, Mme Amel Belhaj Moussa, cette dernière a accepté de rencontrer les représentants syndicaux. « Elle a été compréhensive. Elle a déclaré que l’essentiel était de faire en sorte que ce cahier des charges soit raisonnable et réalisable pour les jardins d’enfants. Elle n’a pas d’objections quant aux changements de quelques articles, sauf l’article de la distanciation car il s’agit, selon la ministre, d’une recommandation du conseil de la concurrence », conclut Mme Nebiha Kammoun Tlili.

Wissal Ayadi