Carthage : La cité punique menacée par l’habitat anarchique, Hayet Bayoudh se bat pour la sauver !
L’avenir de Carthage en péril… Appartements, villas, kiosques à journaux, cette ville phénicienne mondialement connue pour ses sites accueillant des ruines antiques est en train de voir une partie de son héritage punique envahie par des constructions anarchiques érigées aux abords des zones archéologiques, voire même au-dessus.
Un combat qu’a décidé de mener d’une main de fer la municipalité de Carthage, avec à sa tête Hayet Bayoudh. « Sauver Carthage! », c’est le slogan qui a été choisi pour mener cette guerre. Nous l’avons rencontré…
Contexte
La ville de Carthage est située dans la banlieue nord de Tunis. L’ancienne cité punique, détruite puis reconstruite par les Romains constitue aujourd’hui l’un des quartiers les plus huppés de la capitale.
Elle abrite notamment le Palais présidentiel, l’Ecole nationale de police mais surtout des sites archéologiques des plus connus au monde.
Classée au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1979, elle a fait l’objet de fouilles de grande ampleur qui ont mis à jour une cité antique majestueuse, fondée par la fameuse Reine Didon.
Ainsi, les deux tiers de la ville ont été classés, le tiers restant constitue une zone résidentielle de 18.200 habitants.
« Même si cela peut paraître bizarre, la ville de Carthage est considérée comme une ville pauvre », nous explique Hayet Bayoudh, Maire de la ville depuis 2018. En effet, la majorité de la superficie de la ville étant classée zone archéologique, cela laisse peu de place au développement commercial, industriel ou même touristique. « A Carthage, il n’y a qu’un seul hôtel », précise-t-elle.
Pour palier à ce manque à gagner, l’Etat équilibre le budget municipal grâce à des subventions et une taxe de droit d’entrée de chaque touriste.
La préservation des sites archéologiques de la ville apparaît donc ici comme étant une priorité pour la survie de Carthage. En effet, depuis les années 90 et encore plus depuis 2011, des constructions, souvent anarchiques, aux abords ou à même de ces sites pourraient faire perdre à la ville son classement au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Le Cirque Romain
Le 24 février dernier, le gouverneur de Tunis, Chedly Bouallegue, a présidé une réunion consacrée à l’examen d’une assistance à la municipalité de Carthage pour mettre en exécution les décisions de démolition, et la préservation des monuments de Carthage contre les violations récurrentes.
« Ces démolitions concerneront tous les contrevenants sans aucune discrimination », affirme Hayet Bayoudh.
La zone la plus préoccupante demeure celle de l’emplacement du Cirque Romain. Un monument extraordinaire encore enfoui mais reconstitué par l’UNESCO, comme dans la photo ci dessous.
Situé à Carthage Byrsa, le cirque de Carthage serait la plus grande arène de courses de chars au monde après le Circus Maximus de Rome.
Les 2/3 du terrain appartiennent à des particuliers mais sont considérés comme inconstructibles. Si jusqu’en 2011, cette zone a pu être protégée, la révolution et le laxisme des autorités qui en a découlé ont permis la constructions d’habitations complètement illégales, sans permis de construire.
Nous nous sommes rendus sur place… La zone est aujourd’hui devenue une déchetterie à ciel ouvert. « Ce sont pour la plupart des cages à pigeons, c’est à dire des petites maisons collées les unes aux autres qui ont été construites sans aucune autorisation. Il y en a environ une centaine et sont toutes sous le coup d’une décision de démolition », nous explique la Maire de Carthage.
Ajouté à cela, les détritus ménagers mais aussi les déchets provenant de sociétés de construction qui viennent déverser leurs gravats sur la zone du site.
Un spectacle affligeant que la municipalité tente combattre, bien souvent seule. « Ni l’Institut National de Patrimoine, ni le ministère des affaires culturelles n’a daigné faire quelque chose. Plusieurs fois, nous avons démoli, mais ils reviennent reconstruire tout de suite après ».
Sur la photo ci-dessous, une carte satellite montre l’étendue de ces constructions anarchiques entre 2011 et 2020.
Pourtant depuis 2012, ces propriétaires font l’objet d’une procédure d’expropriation au nom de l’intérêt général. « L’Etat laisse faire, et la municipalité reste impuissante », déplore Hayet Bayoudh.
Bir Ftouha/El Mâalga: un héritage de l’ancien régime
El Mâalga est un autre quartier de Carthage également visé par un problème de construction sur une zone classée, appelée Bir Ftouha. Dans les années 90, cette dernière a été déclassée du patrimoine national sous l’ère Ben Ali.
Cette procédure a permis la vente de ces terrains à des particuliers et la construction de luxueuses villas et appartements… En 2011, juste après la Révolution, un décret a permis le reclassement de ce quartier, mettant un terme à toute tentative de construction. Ainsi la délimitation du territoire archéologique est revenu à la version de 1985, soit deux ans avant l’installation du président déchu au pouvoir.
Si une partie du quartier est habitée depuis avant 2011 et donc intouchable, les autres propriétaires qui ont tenté de construire après 2011, ont vu leur rêve tomber à l’eau. Aujourd’hui, des dizaines de maisons encore en chantier sont à l’abandon dans l’attente d’une solution.
« Il existe une commission dédiée à ce dossier qui s’efforce de trouver un accord avec les malheureux propriétaires. Un rapport a été établi, mais il n’est toujours pas signé », nous dit la maire de Carthage.
Les menaces de l’UNESCO
Aux commandes de la ville depuis 2018, Hayet Bayoudh n’a cessé d’alerter les autorités sur les menaces qui pèsent sur Carthage… Pour cela, elle s’appuie sur les derniers rapports des missions réalisées par l’UNESCO en 2012 et 2019.
L’institution craint pour l’avenir de cette cité punique à cause justement des constructions anarchiques.
« Cela fait 10 ans que l’UNESCO nous demande de faire un plan de protection et de mise en valeur », nous dit-elle. Mais, pour cela, Mme Bayoudh nous explique qu’il faut d’abord réaliser un TPD, c’est à dire une étude topographique qui va permettre de définir une délimitation du territoire archéologique. Cette procédure doit être entreprise conjointement entre le ministère des Affaires culturelles et le ministère de l’Equipement. Sauf qu’ un différend existe encore entre les deux départements qui n’arrivent pas à s’entendre sur la réelle délimitation. « Ce blocage est encore plus accentué du fait de l’instabilité politique qui existe dans le pays. C’est compliqué d’entreprendre des démarches quand tous les 6 mois nous changeons de gouvernement et de ministres », accuse Hayet Bayoudh.
En attendant, la maire continue de se battre avec les moyens du bord. Elle peut compter sur la réactivité de la société civile de Carthage qui l’alerte à chaque fois que la patrimoine archéologique est menacé. Elle a également chargé la police municipale de faire des rondes pour essayer d’identifier d’éventuelles infractions… mais le peu de personnel dont elle dispose ne suffisent pas à contrer les hors la loi.
Mme Bayoudh appelle les autorités à lui venir en aide. A cet égard, elle demande à ce que la police nationale effectue des rondes nocturnes régulières car la plupart des constructions illégales se font de nuit et les jours fériés. Elle appelle également l’Institut National de Patrimoine a sécuriser les sites classés pour éviter toute forme de dégradation et d’intrusion.
Pourtant ce ne sont pas les projets qui manquent autour de ces sites archéologiques. La mairie de Carthage envisage d’aménager aux abord du cirque romain un espace de loisirs et de promenade afin de promouvoir l’activité touristique et culturelle de la ville.
Wissal Ayadi
Il faut faire connaître ces sites et les entourer d une barrière.