Centre-ville de Tunis : Une dégradation tous azimuts, Abderrahim invoque un manque de moyens (Enquête)
Saletés, détritus, bâtiments délabrés… La ville de Tunis ne cesse de se dégrader. Pourtant il s’agit de la capitale qui comme pour tous les pays du monde doit refléter le visage de la nation.
De nombreux habitants s’accordent à dire que cette régression est apparue depuis la révolution et qu’elle empire d’année en année. A qui la faute ? Citoyens, municipalité, manque d’ambition et de moyens… autant de facteurs qui nuisent au cadre de vie.
Nous avons arpenté la principale artère de la capitale, l’Avenue Habib Bourguiba censée être la plus belle avenue du pays… Nous nous sommes également entretenus avec la municipalité afin de savoir pourquoi en sommes-nous arrivés-là et quels sont les moyens mis en œuvre afin de redorer le visage de Tunis.
Tunis : Saleté, détritus et chaos
En ces jours de météo automnale, les premières gouttes de pluies ont enfin fait leur apparition à Tunis. Le vent qui souffle amène dans son tourbillon les feuilles des arbres mais aussi un nombre important de déchets qui jonchent rues et trottoirs.
Il suffit de marcher sur les pavés humides pour ce rendre compte à quel point la saleté a rongé le sol.
Très vite, la mélasse de pluie mélangée à la noirceur de la saleté souille les pieds et les chaussures.
Cela fait bientôt plus de deux heures que nous arpentons l’Avenue Habib Bourguiba et pourtant aucun agent d’entretien de la ville n’est venu nettoyer les trottoirs avec les camions à jets d’eau prévus à cet effet.
Nous demandons alors à l’un des serveurs des cafés qui occupe l’artère. Avec un sourire ironique, il explique que leur passage est très rare voire inexistant. Pourtant, cette avenue est un des symboles de la ville de Tunis. Certains la compareront aux Champs-Elysées Tunisien.
Au détour de nos allers et venues, nous apercevons des cantonniers, ceux chargés de vider les poubelles publiques. « Nous les vidons mais elles débordent très vite. Ils sont beaucoup à jeter leur papiers juste à côté de la poubelle. Nous faisons de notre mieux…mais il faut aussi que les citoyens fassent des efforts », nous indique l’un d’eux.
Malgré le peu de pluie tombée ce jour, les bouches d’égouts n’ont pas mis longtemps à déborder, laissant encore plus de détritus s’amonceler autour d’elles. Une image qui montre la vétusté des infrastructures qui pour certaines datent de la colonisations française.
Nous continuons à marcher vers Bab Bhar, principale entrée de la médina de Tunis avec son souk. Nous nous arrêtons au niveau des fameuses arcades dont les façades sont noircies par la pollution et qui n’ont, sans doute, pas reçu de coup nettoyage depuis longtemps.
En cette veille de rentrée scolaire, ce tronçon de l’Avenue est envahi par les Tunisiens en quête de vêtements et de fournitures à bas prix vendus par…les vendeurs à la sauvette.
Ces derniers ont complètement défiguré le paysage. Malgré l’interdiction de la vente à la sauvette, ils pratiquent leur activité sous les yeux de la police qui n’intervient pas et devant également les pas de portes des boutiques. Leurs produits sont mis à même le sol sur des draps… Leurs étals occupent plus de la moitié du trottoir cachant la superbe mosaïque encore intacte qui orne le sol. Un souk à ciel ouvert et une une anarchie qui ne dit pas son nom…
Quelle image donne-t-on de la capitale aux quelques touristes venus visiter Tunis ? Pas très reluisante certes… Un commerçant se souvient… « Avant la révolution, l’Avenue Habib Bourguiba était l’endroit le plus propre de la Tunisie…les rues et la voirie étaient entretenues, des agents de nettoyage étaient postés en permanence. Aujourd’hui c’est devenu une poubelle », déplore-t-il.
Des bâtiments à l’abandon, un patrimoine menacé
Autre constat flagrant, celui du délabrement de nombreux bâtiments du centre-ville. En effet, l’architecture coloniale a gardé une empreinte importante dans le paysage urbain de Tunis. Un patrimoine architectural datant pour beaucoup du début du XX ème siècle. Certains sont de véritables bijoux : hauts plafonds, faïences et carrelages artisanaux, escaliers en colimaçon.
Faute de rénovations et face à l’appétit des promoteurs immobiliers, de nombreux immeubles de style Haussmannien, art nouveau ou art déco pourraient disparaitre.
D’après un dernier recensement de 2019, au moins 160 présentent des risques d’effondrement.
Si certaines bâtisses ont subi des réparations qui ont dénaturé leur architecture, d’autres à l’abandon sont devenues aujourd’hui des squats ou des décharges.
Et ce sans parler des trésors qui se trouvent à l’intérieur de la Médina qui constituent le patrimoine consulaire européen de l’époque de Beys, que nous avons déjà traité dans un précédent reportage.
Quels projets pour Tunis ?
« Ce n’est pas un manque d’ambition mais un manque de moyens », nous dit Mme Souad Abderrahim, Maire de la ville de Tunis depuis 2018.
Selon elle, « la municipalité ne peut pas tout faire ». Dans un premier temps, elle confirme que la situation de la ville de Tunis s’est détériorée… mais elle impute la cause à une mauvaise gestion, datant d’une trentaine d’années avant son arrivée.
En ce qui concerne la propreté qui apparait comme étant le principal fléau, la maire fustige l’incivilité de certains citoyens, commerçants et entreprises qui ne font pas l’effort de préserver le cadre de vie. « La ville de Tunis ne dispose que de 60 agents relevant de la police environnementale, ils ne peuvent pas tout contrôler », confie-t-elle.
Par ailleurs, elle indique que les finances de la commune ne permettent pas de recruter plus d’agents chargés du nettoyage des rues. Le service de la propreté dispose de 1800 employés ; plus des 2/3 sont sur le terrain. « Après la révolution, la ville de Tunis a procédé à de nombreux recrutements. C’étaient essentiellement des personnes en âge avancé, qui aujourd’hui souffrent de problèmes de santé dus à la vieillesse et des maladies chroniques », souligne Mme Abderrahim. A noter que Tunis est constitué de 15 arrondissements et 2,6 millions d’habitants.
Sur la question des bâtiments délabrés, la première magistrate de la ville explique qu’elle a, à maintes reprises, tiré la sonnette d’alarme. « Depuis 2015, il y a un projet de loi devant être examiné à l’Assemblée pour clarifier à qui revient la responsabilité de la réfection des bâtiments appartenant à l’État ».
A cet égard, elle explique que les bâtisses appartenant à la municipalité sont bien sûr sous sa responsabilité. Elle évoque dans ce sens, un projet datant d’il y a 30 ans, qui aujourd’hui représente un manque à gagner de millions de dinars chaque année. « Il y a une trentaine d’années, la municipalité a contracté un énorme crédit afin de racheter les pensions (Oukelas) et reloger les gens dans des conditions dignes grâce à des travaux de réhabilitation. Mais, malheureusement, la majorité des locataires n’ont jamais payé de loyer et la dette s’est agrandie », dévoile Mme Abderrahim.
Pour ce qui est des bâtiments appartenant à des propriétaires privés, la municipalité ne peut pas grand chose…
La maire indique, par ailleurs, que dans les médinas de Tunis, des bâtiments historiques appartenant à la ville ont pu être réhabilités grâce à des partenariats public-privé (7 au total). C’est le cas par exemple de l’Église Saint-Croix située dans le rue de la Mosquée Zitouna qui a été transformée en centre culturel.
Autre problème ayant perturbé les plans de réhabilitation de la ville : la pandémie de Covid-19 qui, affirme-t-elle, a causé une baisse des recettes de la municipalité . « Les restaurants, les hôtels, les cafés, les commerces ont été fermés pendant une longue période et ils n’ont pas pu honorer leurs taxes auprès de la mairie. Il faut aussi savoir que de nombreux habitants ne s’acquittent pas de la taxe municipale, communément appelée « Zebla et kharrouba« .
Malgré un manque criant de budget, la municipalité de Tunis a tout de même réussi à finaliser quelques projets d’embellissement : le jardin Ibn Khaldoun sur l’avenue Habib Bourguiba, le parc Habib Thameur dans le quartier du Passage, les forêts de Ouardia et Kabaria ainsi que quelques routes, trottoirs, terrains de sport et parcours de santé comme à Cité Ettahrir. « Avec la pandémie nous nous sommes rendus à quel point les espaces verts et sportifs étaient importants pour le bien être des habitants ». Les souks de Sijoumi, de Jbel Lahmar et de la Médina ont été réhabilités ou en cours de réfection.Â
Enfin pour ce qui est des grands projets, la maire de Tunis a l’ambition de créer le Port de Tunis. Un méga-projet qui relierait la capitale à la mer comme c’est le cas à Barcelone par exemple. « Toutes les parties prenantes ont donné leur accord de principe. L’étude et en cours et nous sommes à la recherche de financements », conclue-t-elle.
Wissal Ayadi
Les responsables de cette situation catastrophique de la ville de Tunis sont en premier lieu la revolution quia mis fin à un système établi et à l’ ugtt qui par sa politique de défense aveugle des ouvriers à totalement détruit l’ amour du travail