Entretien avec Raoudha Gafrej autour du code des eaux en Tunisie

24-04-2024

Depuis 2008, la Tunisie s’est engagée dans un processus de révision de son Code des Eaux, crucial pour la gestion efficace et durable de cette ressource vitale. Récemment, le chef du gouvernement, Ahmed Hachani, a présidé une séance de travail autour du nouveau code de l’eau présentant ses principaux axes.

Cependant, malgré des années de travail et plusieurs versions examinées, le chemin vers un code exhaustif et adapté aux enjeux actuels reste semé d’embûches.

Raoudha Gafrej, experte internationale dans le domaine de la gestion intégrée des ressources en eau et de l’adaptation au changement climatique nous livre son analyse sur la question.

Un processus long et complexe
La révision du Code des Eaux a connu de nombreux rebondissements. A l’étude depuis 2008 et initialement soumis en 2020 à l’Assemblée des représentants du peuple, le processus a été interrompu par la dissolution de l’ancienne Assemblée en juillet 2021. Depuis lors, le dossier a été repris par différents organes, la texte a été examiné, tout, récemment en séance ministérielle.

Raoudha Gafrej, experte en eau, souligne que malgré les avancées, certaines lacunes persistent dans le processus de révision. « La dernière version du code, discutée en Conseil ministériel restreint, a été élaborée sans la consultation des experts du domaine ni de la société civile. Certaines institutions publiques n’ont même pas été informées. Cette approche limite la portée du code, laissant de nombreux aspects fondamentaux non abordés », déplore-t-elle.

Plusieurs questions fondamentales non mentionnées

Mme Gafrej met en lumière plusieurs points cruciaux qui nécessitent une attention particulière. La distribution équitable de l’eau potable, et la couverture de l’assainissement notamment dans les zones rurales reculées, demeure un défi majeur. « Les infrastructures actuelles ne permettent pas à la Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux (SONEDE) ni à l’Office national de l’assainissement (ONAS) d’assurer une couverture adéquate, ce qui souligne l’importance d’une réforme structurelle et qui n’a pas été mentionné dans le nouveau projet de Code », nous dit-elle.

L’absence de dispositions concernant la gouvernance de l’eau et la régulation du secteur est également préoccupante. Raoudha Gafrej souligne, à cet égard, la nécessité de créer de nouvelles institutions pour la gestion de l’eau comme l’instance de régularisation totale indépendante ainsi que des conseils régionaux dédiés à cette question. Cette dernière évoque également la gestion des périmètres irrigués privés, qui opèrent souvent sans contrôle et qui requiert une réglementation plus stricte.
 
« L’étude Eau 2050 avait à ce sujet préconisé la création d’une institution spécialisée d’appui aux périmètres irrigués privés et de la promotion des contrats de gestion de nappe. Il s‘agit de faire signer un contrat aux utilisateurs de la nappe afin de distribuer les quantités au mieux et de limiter le forage de puits illicites qui rongent les nappes phréatiques », souligne l’experte.

Par ailleurs, Raoudha Gafrej déplore également l’absence de mention quant aux infractions relatives au Code des Eaux « Comment seront réglés les problèmes de forage illicite, quelles seront la nature et les tarifs des amendes ? Personne ne le sait, or c’est une question fondamentale », insiste-t-elle.

Adaptation aux changements climatiques

Bien que la prise en compte des changements climatiques dans la dernière version du code soit une avancée positive, Gafrej estime que cela reste insuffisant. « La Tunisie fait face à une sécheresse persistante, nécessitant une approche proactive et continue de la gestion de l’eau. Cela fait 30 ans que le pays est en situation de stress hydrique avec moins de 500m3 d’eau par personne. Rien qu’en janvier 2024, la Tunisie était à 60% de déficit pluviométrique.
 
Même avec le dessalement d’eau de mer et la réutilisation des eaux usées traitées nous sommes toujours en dessous de ce seuil. Donc le texte doit être adapté à ce contexte  de situation critique permanente », conclut l’experte. 

La révision du Code des Eaux en Tunisie est un processus complexe et crucial pour l’avenir du pays. Malgré certaines avancées, des efforts supplémentaires sont nécessaires pour garantir une gestion équitable, durable et résiliente des ressources en eau. La prise en compte du concept de l’empreinte eau est une nécessité absolue pour dépasser la gestion de l’eau de surface qui ne représente qu’une portion très faible des prélèvements d’eau.
 
Les recommandations des experts et une consultation plus large de la société civile sont essentielles pour élaborer un code pleinement adapté aux défis du XXIe siècle.

Wissal Ayadi